Au début de l’année 2011 commençait ce qui allait devenir une guerre sans fin. L’histoire d’un soulèvement populaire contre son gouvernement suite à l’arrestation arbitraire et la torture d’adolescents pour un tag dans une petite ville du sud-ouest de la Syrie. Treize ans plus tard, le pays est en partie détruit à cause d’une répression sans précédent : le pilonnage de villes résistantes par les armées syrienne et russe, la destruction de nombre de ses ruines antiques et de ses plus beaux monuments. La population en a payé un lourd tribut, mais n’a pas perdu ses rêves de liberté. Alors la jeune autrice Zoulfa Katouh, canadienne d’origine syrienne, a décidé de raconter sa vision d’un peuple résilient, en faisant le choix atypique d’aborder le difficile sujet de la guerre sous l’angle d’un roman young adult, avec ce que cela implique d’histoire d’amour et de jeunes protagonistes plein de rêves. Une lecture surprenante mais terriblement captivante. Le livre est sorti en fin d’année dernière aux éditions Nathan.
Destin d’une jeunesse qui rêve encore
Zoulfa Katouh écrit l’histoire fictionnelle, mais forcément inspirée des récits de survivant·e·s et de réfugié·e·s, de Salama, une jeune femme de 18 ans qui était en plein dans ses études de médecine lorsque la guerre est arrivée aux portes de sa ville, Homs, au début de l’année 2012 lors du siège de la ville par l’armée. Autrefois épicentre marchand, symbolisé par ses citronniers, mais aussi religieux avec de nombreuses cathédrales et mosquées, dont l’histoire remonte à l’antiquité, Homs n’est rapidement plus qu’une ville en ruines. Détruite par les bombes de l’armée, ses habitants se réfugient en partie dans la vieille ville. La faute aux circonstances, Salama se retrouve propulsée apprentie-chirurgienne à l’hôpital du coin, guidée par le Docteur Ziad qui manque sérieusement de bras. Elle se destinait pourtant à devenir pharmacienne, passionnée par les plantes et leurs propriétés médicinales, mais la guerre fait qu’elle doit donner un coup de main pour tenter de traiter, ou a minima soulager, les douleurs de personnes qui ont tout perdu. Elle-même a perdu sa mère dans une attaque, tandis que son père et son frère Hamza sont disparus, arrêtés par la police et probablement jetés en prison. Il ne lui reste plus que Layla, son amie d’enfance devenue sa belle-sœur alors qu’elle venait d’épouser Hamza. Autre intervenant, un certain Khawf, personnalité que seule Salama peut voir. Sorte d’hallucination venue de son esprit, de ses traumatismes ou bien manifestation d’un djinn, le mystère est entier. Là où les choses se compliquent d’autant plus, c’est que Layla est enceinte, et c’est sa grossesse qui va rythmer le livre : la chronologie des évènements s’étend en effet sur le temps de la grossesse, quelques mois où les circonstances s’enveniment d’autant plus que la guerre redouble d’intensité au terme de la première année. Une chronologie qui ne suit pas entièrement les évènements réels, au sens où comme s’en explique l’autrice dans ses notes de fin, elle a volontairement rapproché quelques évènements qui ont réellement eu lieu afin de les faire tenir dans l’espace chronologique de son récit, et ce afin de renforcer l’intensité de l’histoire, mais aussi de pouvoir mentionner quelques-uns des éléments marquants des deux ou trois premières années de la guerre civile syrienne.
Ce petit « arrangement » avec la réalité ne dénature en rien la sincérité du récit, qui n’en rajoute pas sur la violence des évènements tels qu’ils ont été rapportés par des personnes courageuses qui sont parvenues à faire sortir du pays des images et des témoignages à l’époque. Le récit est violent, parfois graphique, chose qui peut surprendre compte tenu du fait que le livre est labellisé young adult, mais il ne perd pas de vue ses intentions premières. Car il n’est pas question ici d’en faire une histoire documentaire, mais plutôt d’inscrire les rêves d’une jeunesse violentée -mais pas complètement abattue- dont les idées se propagent d’une personne à l’autre, avec un rêve commun de trouver la liberté. Ces rêves se traduisent en Salama dans le besoin de protéger sa belle-sœur enceinte, mais également de vivre une vie à laquelle elle ose parfois rêver. Une vie de paix, où elle peut écrire des petites histoires pour enfants, inspirée par le Studio Ghibli, une vie où elle peut faire pousser des fleurs dans son jardin et se balader en profitant des couleurs chatoyantes que les marchés de son pays offraient autrefois. Parce que l’autrice montre de manière très juste que ces victimes de guerre n’ont pas grand chose de différent des personnes du même âge qui vivent en sécurité en occident. Il s’agit de personnes qui partagent des référentiels communs, et cet élément est important dans le cadre du récit puisqu’il permet à son public, supposément jeune adulte, de s’identifier. Le livre parle aussi beaucoup de l’innocence gâchée et perdue, mettant en scène bon nombre d’enfants directement touchés par la guerre, par la perte d’êtres proches et la nécessité d’agir comme des grands alors qu’ils et elles devraient être à l’école. L’autrice est très pertinente, plus encore quand elle écrit avec douceur le quotidien simple de ces quelques personnes qui tentent de trouver un peu de joie et de bonheur au milieu des bombes, des rencontres fortuites et des relations qui se créent.
Un amour inespéré
Parce que l’espoir passe aussi parfois par les relations humaines, et parce que l’autrice voulait raconter les craintes et les envies d’une jeune femme de 18 ans comme les autres, malgré la guerre, une histoire d’amour occupe évidemment une partie très importante du récit. Cette histoire tourne autour de Salama et de Kenan, dont elle fait la rencontre lors d’une situation d’urgence, et auquel elle réalise être liée depuis longtemps, sans qu’elle ne le sache vraiment initialement. Leur passé commun les emporte dans une relation pleine d’innocence, mais qui touche et bouleverse aisément tant Zoulfa Katouh sait écrire les petites choses du quotidien, les petites attentions qui ancrent la relation dans le réel. Avec ses personnages, elle raconte aussi l’amour sincère porté à la Syrie, pour ce qu’elle représente, ce qu’elle était autrefois et ce qu’elle pourrait être à nouveau sans le joug d’un régime tyrannique. Le mélange des genres, entre récit de guerre, fait d’horreur et de violence, et celui d’un roman young adult plus classique avec sa gentillette histoire d’amour est étonnamment pertinent. D’abord parce que l’écriture de l’autrice est fluide, très référencée sur la culture syrienne (sans exclure les personnes qui n’ont aucun lien avec le pays), mais aussi parce que ce mélange avec le young adult permet d’aborder le sujet de cette guerre, ses conséquences et la violence subie par son peuple à un public plus jeune qui n’était pas nécessairement en âge de connaître ou de comprendre le conflit il y a treize ans.
Sur un plan personnel c’est un livre qui m’a ému, parfois aux larmes, puisque j’y retrouvais la résilience d’un peuple, de ma famille, en partie restée en Syrie, avec le même espoir de lendemains meilleurs. Avec le même attachement à une culture qui mérite de survivre à ces horreurs, une culture malmenée par des personnes qui n’ont plus aucune conscience des réalités et des beautés d’un pays à l’histoire bien plus importante que leurs intérêts personnels. La lecture est parfois difficile malgré son envie, essentiellement, de raconter une histoire d’amour, mais Tant que fleuriront les citronniers est une lecture marquante, qui interroge sans cesse sur l’âme de ses personnages, sur le courage, sur la peur, sur le besoin d’appartenance mais aussi sur les causes qui poussent des personnes à braver les plus grands dangers pour tenter de trouver un peu de sécurité à plusieurs milliers de kilomètres de leur pays. Un roman dense et intelligent, écrit à la première personne, dans les yeux d’une jeune femme qui n’était pas destinée à vivre tout ça.
- Tant que fleuriront les citronniers est disponible en librairie depuis le 7 septembre 2023 aux éditions Nathan.