Comme vous le savez, Mangetsu (re)publie régulièrement les œuvres de Junji Ito, accompagnées de postfaces très intéressantes pour comprendre l’œuvre du mangaka de l’horreur japonaise. Avec Sutures, on s’aventure toutefois sur un autre registre : il s’agit d’un recueil d’histoires courtes de Hirokatsu Kihara, que Junji Ito a ensuite illustrées lors de leur publication en 2010. Il s’agit donc d’une nouvelle facette du talent du mangaka, quand il s’essaye à illustrer l’univers d’un autre auteur.
Cet article a été écrit suite à un envoi de l’exemplaire papier par l’éditeur.
Dix incisions pour dix histoires. Ainsi se présentent, avec originalité, les dix récits de ce recueil, et un chapitre bonus est intégralement une nouvelle-manga par Junji Ito. De courts textes aux personnages anonymes (on ne connaît que la première lettre de leur prénom), flirtant avec l’étrange et la frayeur. On peut totalement parler de J-Horror, Japanese Horror, car Hirokatsu Kihara s’inspire du folklore japonais. Mais ne vous attendez donc pas à une résolution, ni une réponse toute faite, puisqu’il conclut chaque texte sur l’ambiguïté et l’absence de réponse concrète. C’est là que chaque récit offre un frisson délicieux, sans aucun doute.
Histoires de fantômes
Sutures est loin d’être avare en légendes spectrales. Plus de la moitié des récits évoquent l’apparition d’un spectre : dans des fêtes rituelles (Shichi-go-san, La fête des morts), pénétrant dans l’espace rassurant de la demeure familiale (Un jour de neige) ou de l’école (La bibliothèque, Danse folklorique).
A chaque fois, nous n’obtenons pas forcément de réponses. Certains esprits sont familiers, issus du passé, tandis que d’autres fois, on a affaire à des apparitions purement effrayantes. Cela ne peut durer qu’un jour ou sur plusieurs années, disparaître à la suite de rituels purificateurs, de fêtes ou bien sans aucune signification. En quelques phrases (chaque récit ne fait pas plus de quelques pages, savamment illustrées), Hirokatsu Kihara nous plonge dans un quotidien qui devient soudain oppressant, où le surnaturel s’invite brusquement, évoquant des personnes chères disparues, un futur coup de chance ou bien l’inexplicable. Ces petites histoires n’ont l’air de rien, mais combinées avec le dessin glaçant et horrifique de Junji Ito, on obtient des petits récits de noirceur.
Body horror, pantins et dédales
Outre les esprits, le recueil fait appel à d’autres faits tout aussi sinistres. Une femme où un visage humain apparaît, se déplaçant sur tout son corps ; une marionnette de Pinocchio animée par une étrange silhouette ; un hôtel lugubre où l’escalier s’allonge vers des personnes au visage dissimulé ; des orbes lumineux près d’un temple ou encore des lèvres géantes apparaissent sur une armoire… Voilà qui fournit de quoi alimenter quelques cauchemars. Par contraste, le quotidien tranquille des personnages et la simplicité des textes, soigneusement menés, rendent ces apparitions encore plus frappantes.

© Sutures, Junji Ito et Hirokatsu Kihara, Mangetsu, 2025
Comme à son habitude, Junji Ito sublime l’horreur par sa patte si reconnaissable. Des visages sans yeux, des personnages où l’effroi se lit dans leur regard, des silhouettes d’autant plus menaçantes qu’elles sont non identifiables, la déformation des corps ou leur exagération… Ses illustrations donnent chair à ces visions angoissantes, contribuant au malaise de la lecture de ces contes, d’autant que certains mots sont mis en scène de façon plus grande pour davantage interpeler. La juxtaposition des images et du texte n’est pas en reste, contribuant à des doubles pages permettant la frontalité de l’horreur.
Chaque récit explore un aspect différent de la peur et des légendes, de façon attendue ou parfois plus surprenante. A ce titre, La marionnette est sans doute mon texte préféré, avec la découverte de ce Pinocchio soigneusement enfermé au fond d’une boîte, et qu’une silhouette semble manipuler mieux que l’héroïne sur scène. Danse folklorique n’est pas en reste avec l’apparition de cette jeune fille que tout le monde semble vouloir connaître, et qui disparaît du jour au lendemain. Les rituels de purification qui apparaissent ici et là ne font pas de mal, au vu des ténèbres de ce recueil.
Divertissant, renouant avec le concept des histoires illustrées, et prompt à susciter quelques images angoissantes, Sutures est une agréable découverte de ce travail de collaboration entre Junji Ito et . Même si, personnellement, ce ne sera pas mon œuvre favorite de Junji Ito.
- Sutures est disponible depuis juillet 2025 aux éditions Mangetsu.