Visual novel au goût de récit policier et de mystères, Root Film est le nouveau titre d’une série de jeux qui a débutée en 2016 avec Root Letter, développé par Kadokawa Games. Écrit par Hifumi Kono (que l’on connaît notamment pour Steel Battalion et Clock Tower), le jeu nous embarque pendant une grosse quinzaine d’heures sur les traces du Shimane Mystery Drama Project, une série mise de côté dix ans plus tôt et dont personne ne semble vouloir se souvenir. Sachez d’ailleurs pour commencer qu’il n’est pas nécessaire d’avoir joué au précédent jeu pour profiter de Root Film.
Critique réalisée à partir d’une clé envoyée par l’éditeur. Jeu testé sur PlayStation 5 en rétrocompatibilité PS4.
Un cinéaste nommé Max Yagumo, ancien grand espoir qui a fini par retomber dans un quasi-anonymat, se retrouve à la tête d’un projet censé faire revivre cette fameuse série abandonnée dans des circonstances qui restent à élucider. Déterminé à en apprendre plus, il profite de ses escapades et repérages en vue d’un prochain tournage pour se renseigner sur une affaire qui semble cacher quelque chose.
Tournages en pagaille
En sa qualité de visual novel, Root Film nous embarque dans un long tunnel narratif qui brille particulièrement sur sa mise en scène du suspense et des nombreux mystères qui empoisonnent la vie de ses personnages. Max Yagumo, cinéaste qui se prend vite pour un enquêteur, se retrouve en effet face à une série de meurtres qui semblent étroitement liés à cette vieille série dont la production avait tourné court pour des raisons obscures. L’occasion de partir dans une sorte de road trip à l’occasion du repérage pour le prochain tournage, mais surtout pour rencontrer toute une galerie de personnages tout droit sortis d’un roman d’Agatha Christie, avec une pointe de policier que ne renierait pas Arthur Conan Doyle. Il y a en effet cette influence remarquable des classiques des histoires à mystères où le meurtrier est révélé après une enquête, parfois un peu tirée par les cheveux, à grands coups de révélations opportunes alors que tout le monde est réuni dans une pièce par ce réalisateur qui s’est probablement trompé de métier. Le jeu emprunte d’ailleurs beaucoup aux histoires du personnage d’Hercule Poirot dans ces séquences, où l’on doit choisir les bonnes phrases et éléments de preuve pour confondre le ou la meurtrière. Des moments jubilatoires où l’on semble incarner soudainement un personnage fort d’un esprit de déduction presque inhumain, jusqu’à ce qu’on réalise que les mécaniques propres au jeu font que l’on ne peut pas vraiment se tromper. Mais qu’importe : Root Film excelle dans sa mise en scène du suspense, des mystères et de leur résolution, et c’est bien là ce qu’on vient y chercher.
Et le jeu le doit tout particulièrement à ses personnages, tou·te·s imprégné·e·s de ce goût du show avec leurs styles hauts en couleur, leurs interventions bien senties et les punchlines qui se multiplient. Si les dialogues ne sont pas tous à la hauteur, ce qui est tout de même dommage pour un visual novel dont la nature même repose sur le texte, il y a toujours quelque chose de particulièrement attirant dans ce que ces personnages ont à dire. Qu’il s’agisse d’échanges tout ce qu’il y a de plus léger, d’explications sur le lieu où l’on se trouve (et on en visite du pays, dans ce road trip), d’éléments importants pour l’enquête ou de révélations inattendues, il y a toujours une sorte de mise en scène grandiloquente qui célèbre leur caractère presque improbable. Celle-ci passe essentiellement par des images où les expressions se délient, associées à des décors à la qualité certes inégale mais toujours empreints d’une ambiance dépaysante et parfois même déroutante, mais aussi une musique omniprésente et réussie qui sait appuyer là où il faut. Plutôt amusant, le jeu joue tant avec les codes du visual novel que des romans à énigmes, et il le fait bien.
Des hauts et débats
Calmons nous un instant toutefois, car tout n’est pas rose dans cette aventure faite de meurtrier·ère·s amateur·ice·s de stratagèmes inutilement compliqués. Car du haut de sa grosse quinzaine d’heures de jeu, Root Film subit parfois ce phénomène des jeux un poil trop longs pour leur bien en peinant à maintenir le cap. Cela provoque quelques moments de flottement, des baisses de rythme que l’on attribue le plus souvent à la manière de raconter son histoire. Celle-ci est dans l’ensemble plutôt passionnante, mais le jeu lui accole difficilement quelques éléments de gameplay qui sont censés impliquer les joueur·euse·s de manière plus concrète que d’autres visual novel qui se limitent à dérouler leur texte. Ces séquences, ce sont celles où l’on doit choisir notre prochaine destination sur une carte parmi une liste de lieux à visiter. Ces phases, récurrentes tout au long du jeu, ont le mérite de nous laisser libre de nos mouvements et proposent même quelques personnages optionnels à trouver si l’on se rend au bon endroit au bon moment. Mais cela provoque aussi des allers-retours pas nécessairement pertinents où l’on se contente de retourner encore et encore dans chaque zone dans l’espoir de déclencher le prochain dialogue. Quand cela marche et qu’on enchaîne de manière fluide les découvertes il y a un vrai plaisir à parcourir la carte, mais quand il s’agit de revenir dans un lieu précis parler une quatrième fois au même personnage après avoir visité un autre lieu pour qu’il déclenche enfin la suite, c’est plutôt pénible. Cela a tendance à alourdir la narration, une narration qui fonctionne pourtant très bien dans tout le reste du jeu.
Car bien que l’on pourrait aussi lui reprocher certaines résolutions d’enquêtes dont le cheminement logique n’est pas toujours évident, il faut bien avouer que Root Film adapte particulièrement bien un genre de récit que l’on aimerait voir plus souvent. Il y a quelques temps le récit à énigmes faisait un retour fracassant au cinéma (vous vous souvenez, les salles obscures, petit ange parti trop tôt) avec À couteaux tirés (2019, Rian Johnson), et Root Film semble vouloir apporter ce même goût du mystère et de la mise en scène Agatha Christienne sur un medium qui a tendance à en manquer. Oui, on ne savait pas que cela nous manquait, mais maintenant on le sait. L’exercice de style sied parfaitement au genre du visual novel, et je vous vois venir de suite : cela est tout de même assez différent d’un Phoenix Wright qui lui recherchait plutôt l’utilisation de preuves et l’effet théâtral des procès. Certes, on reste sur du jeu de niche qui aura bien du mal à susciter des vocations parmi les autres studios de développement tant le genre du visual novel reste très lié au marché des jeux vidéo en Asie, mais il faut bien parfois saluer les tentatives de faire du jeu vidéo autrement, surtout quand cela débarque aussi chez nous. À noter toutefois que, malheureusement, il faut se contenter de textes en Anglais. Mais il est tout de même très appréciable de voir un doublage Japonais intégral, qui permet à chaque personnage de prendre vie avec des acteur·ice·s convaincant·e·s.
En s’adressant autant aux habitué·e·s des visual novel qu’aux personnes qui ont une certaine attirance pour l’univers des roman à énigmes, Root Film opère un mélange des genres aussi surprenant que malin. Ses quelques errements en matière de rythme n’entachent en rien une expérience qui tire son épingle du jeu avec un bon sens de la mise en scène, et surtout grâce à sa galerie de personnages avec qui on se plait à interagir. Un jeu à part où tout n’est pas parfait, mais où la bonne volonté se ressent à chaque instant, même pendant les séquences les moins réussies.
- Root Film est sorti le 19 mars sur Nintendo Switch et PlayStation 4.