Mighty Mothers – Tome 1 | Quand on a tout à perdre

par Anthony F.

Des mères célibataires aux tendances assassines, en voilà une proposition inattendue. Eiji Karasuyama (Lesson of the Evil) imagine en effet un quotidien où une petite bande de mères vivent une double vie, entre leur quotidien entre travail et enfants, et des missions opérées pour une étrange organisation afin de se débarrasser de quelques malfrats. Un seinen en trois volumes, dont le premier vient de sortir ce 1er mars 2023 en VF chez Mangetsu. Attention, c’est un manga pour public averti, doté d’images très violentes.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Double identité

© EIJI KARASUYAMA (NIHONBUNGEISHA)

Le quotidien que raconte l’auteur pour ces mères célibataires est difficile. A l’image d’une société japonaise qui a encore du mal à accepter qu’une femme puisse élever seule son enfant, le manga raconte leurs déboires et les obstacles qui se dressent face à elles pour pouvoir subvenir aux besoins de leur petite famille. Qu’il s’agisse de boulots mal payés ou d’un entourage peu compréhensif, tout sert de contraste avec leur double identité : la nuit, elles traquent des gangsters et trafiquants en tout genre. Indiqué sur son quatrième de couverture comme « pour public averti », le manga ne prend pas de pincettes quand il nous emmène dans l’horreur d’une pègre japonaise traquée par ces quelques femmes. Les gangsters pourchassés par ces mighty mothers sont de la pire espèce, versant dans le trafic d’être humains, le trafic d’organes, le manga montrant des images très crues, entre des personnes réduites à l’état d’esclaves ou encore un viol. C’est une tournure assez surprenant que prend le récit à ce moment-là, alors que les premières pages suggèrent quelque chose de presque comique, au moment où l’on découvre le quotidien des héroïnes.

Néanmoins au-delà de la violence, c’est des scènes d’actions prenantes que Mighty Mothers parvient à offrir, où ses héroïnes changent du tout au tout pour « punir » les malfrats responsables des pires horreurs. L’une d’entre elles revêt une apparence d’une sorte de kunoichi avec sa tenue noire et près du corps, l’autre attaque ses ennemis au sabre, revêtue d’un yukata arrangé à sa sauce et d’un masque hannya, ou encore une autre experte dans l’art du déguisement pour tromper ses proies. À ce moment, l’auteur fait comprendre que l’on a affaire à une équipe d’élite, surentraînée, dont le quotidien n’est pour certains qu’une couverture. Pourtant, il y a quelque chose de sensible et de bien amené autour de leur vie civile, jouant à fond sur l’invisibilisation des mères célibataires, dont personne ne pourrait se douter et imaginer qu’elles soient capables de telles choses une fois la nuit tombée. Sorte de super-héroïnes modernes, elles incarnent la force de femmes qui ont tout à perdre : leur vie, mais aussi l’avenir de leur enfant.

Double propos

© EIJI KARASUYAMA (NIHONBUNGEISHA)

Et c’est ce point qui donne une belle force au manga. Raconter une histoire d’assassines n’a rien de bien original, mais y ajouter ce détail en plus, faisant de ce groupe d’assassines des mères célibataires, ajoute une portée émotionnelle intéressante. Car au-delà de la violence et de l’action plutôt réussie, le manga possède aussi un propos pertinent sur les difficultés quotidiennes de mères célibataires, les défis qui se posent à elles avec les difficultés financières, la nécessité de faire garder leurs enfants, être présentes pour leur éducation malgré le temps passé à gagner des sous, le regard des autres et la pression de la société qui les entourent. Sans aller très profondément sur ces sujets, le simple fait de les amener dans son récit donne au manga de Eiji Karasuyama un petit truc inattendu. D’autant plus qu’il trouve un vrai bon équilibre entre le quotidien, celui de mères célibataires et de leurs enfants, entre garderie à gérer et leurs job la journée, réunions entre elles et relations avec leurs collègues, et puis les soirées passées à traquer des criminels, et à les tuer froidement en incarnant d’autres personnes.

Sortie inattendue, Mighty Mothers apporte une proposition intéressante qui devrait aisément tenir en haleine pour ses trois tomes. Le premier arrive déjà à placer un contexte intéressant, même si la narration est au début un peu confuse avec des personnages à la caractérisation hasardeuse. Néanmoins, tout son propos sur les mères célibataires, leur double vie et leurs impératifs est plutôt bien senti, cela offre une lecture assez sympathique bien qu’assez peu légère, à cause de thématiques extrêmement dramatiques et une dose de violence surprenante. Ce ne sera probablement pas le manga de l’année, mais c’est une lecture qui vaut quand même le détour, rien que pour l’originalité de sa proposition et la sympathie qu’attirent ses héroïnes.

  • Le premier tome de Mighty Mothers est disponible en librairie aux éditions Mangetsu depuis le 1er mars 2023.

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