Développé par le studio italien LKA et distribué par Wired Games, le jeu indépendant Martha is Dead a fait parler de lui quelques mois avant sa sortie pour ses scènes d’excessive violence, partiellement censurées sur Playstation. Sans ce buzz de dernière minute, le jeu aurait sans doute fait une sortie discrète, à part pour les amateurs d’horreur psychologique qui pouvaient suivre le développement du titre depuis quelques années. Mais passons outre la polémique autour de Martha is Dead, pour découvrir un thriller psychologique italien de qualité !
Le jeu a été testé sur Xbox Series S (version donc non censurée).
Y aura pas Martha le retour
Martha is Dead débute avec Giulia K., jeune enfant à qui sa nourrice lisait des légendes folkloriques particulièrement effrayantes, comme celle de la Dame blanche. Une histoire bien connue où une jeune femme est trompée par son amant : de désespoir, elle se noie dans un lac, et depuis, pour se venger, entraînera parfois d’autres jeunes filles dans les eaux noires pour les noyer. Aussi fascinée qu’effrayée, la petite Giulia adore cette histoire.
Mais le temps passe et nous sommes en 1944, en Toscane. Giulia et sa sœur jumelle, Martha, vivent dans la maison toscane prêtée par leur nourrice. Elles y passent leurs journées avec leur mère italienne et leur père allemand, un haut gradé nazi, vivant au rythme des nouvelles de la Seconde Guerre mondiale apportées par la radio et les journaux. Malgré leur isolement dans cette campagne italienne, les combats font d’autant plus rage qu’ils se trouvent à un point stratégique militaire, disputé par l’armée italienne et les Alliés, aidés de partisans italiens. Plus qu’un véritable arc narratif, la Seconde Guerre mondiale est une toile de fond qui permet d’évoquer les atrocités des combats, les dilemmes de Giulia et la difficulté du quotidien, sans cesse mis à mal par un couvre-feu de plus en plus pesant.
Tout bascule quand un matin, Giulia rejoint sa sœur au lac où elles ont prévu de passer la matinée ensemble. Martha flotte à la surface du lac, noyée, avec les vêtements de sa sœur. Giulia la ramène sur le rivage, paniquée ; au même moment, ses parents arrivent et la confondent avec sa jumelle. Giulia devient ainsi Martha, et l’héroïne s’enfonce dans son mensonge – trop profondément pour ensuite revenir en arrière… Dès lors, dans les jours qui suivent, Giulia mène l’enquête pour savoir la cause de la mort de sa sœur : suicide, meurtre, victime de la Dame blanche ?
Un thriller psychologique, plus qu’une histoire d’horreur
Giulia usurpe donc l’identité de sa sœur, tant par égoïsme, car sa jumelle a toujours été la favorite de ses parents, que par souhait d’éviter un second choc à sa famille. Ce n’est pas sans en payer le prix : elle doit désormais faire semblant d’être sourde et muette, Martha l’étant depuis la naissance.
Pour avancer dans l’histoire, les joueurs et joueuses sont invités à explorer la maison, la chambre commune des jumelles, et à parcourir la campagne toscane. Celle-ci est ensoleillée et paraît idyllique, bien loin de la guerre, mais l’Histoire interférera à plusieurs reprises avec la quête personnelle de Giulia, amenant sang et mort à ce paysage paradisiaque. De la présence de partisans – qu’on peut choisir d’aider ou non, sachant que le père de Giulia est un nazi haut placé – aux légendes de la Dame Blanche, le jeu offre différentes directions à l’intrigue, proposant quelques quêtes annexes supplémentaires.
Enquêter sur la mort de Martha amène ainsi Giulia à se replonger dans l’histoire familiale et à se remémorer des souvenirs, notamment grâce à un théâtre de marionnettes qu’elle peut utiliser pour rejouer des scènes d’enfance. Par ailleurs, la jeune fille est une grande adepte de la photographie, et son appareil photo permet d’immortaliser quelques scènes-clés pour le jeu, ou bien de découvrir les traces surnaturelles laissées par la Dame Blanche. Un côté artistique mis en valeur tant par son importance pour l’intrigue – les photos permettent de rétablir la vérité sur certains événements – que pour le côté très vintage de la prise des photos et du développement à effectuer en chambre noire. On joue avec plaisir avec les différents filtres et types de clichés, pour garder un souvenir des décors italiens emplis de charme.
Au fil des heures, le jeu s’aventure bien plus dans la psychologie des personnages, que du côté horrifique. Martha is Dead garde toutefois une trace de surnaturel, puisque Giulia pourra également tirer des cartes de tarot divinatoire chaque jour, et utiliser son jeu de cartes pour entrer en contact avec la Dame Blanche – qui nous offrira quelques sursauts. Mais c’est avec son intrigue familiale, sa quête d’identité et de vérité, que le jeu offre son véritable potentiel. L’histoire expose les conséquences de l’usurpation d’identité de Giulia, de son amitié avec un partisan, et surtout, la reconstitution de ses souvenirs fait revenir de terribles secrets à la surface.
Des thèmes matures et à ne pas mettre entre toutes les mains
Martha is Dead s’impose avant tout comme un jeu d’atmosphère, à la direction artistique ensoleillée mais avec des moments terriblement glauques et macabres. Le studio n’a jamais nié sa volonté de proposer un jeu mature avec des scènes dérangeantes, déconseillant d’ailleurs son jeu aux personnes sensibles à la vue du sang, de la mutilation, etc, avertissement présent également au début du jeu. C’est pourquoi Sony a d’ailleurs modifié certains passages sur Playstation, qui deviennent « non-jouables » ou censurés, et que les joueurs et joueuses peuvent passer. Dès les premières heures du jeu, on a ainsi une scène de cauchemar où Giulia découpe le visage de sa sœur morte, pour s’en faire un masque de peau. On peut s’interroger sur la nécessité d’un tel type de censure, considérant qu’il s’agit d’un cauchemar et d’une représentation du changement d’identité de Giulia. Néanmoins, il est certain que le jeu n’est pas à mettre sous les yeux des âmes sensibles par son côté graphique et macabre. Martha is Dead dérange, mais on est prévenu dès le début.
Mais la volonté de mettre mal à l’aise fait partie des intentions du créateur du jeu, pour aborder une histoire psychologique plus profonde qu’elle n’en a l’air. Il est impossible d’en parler sans spoiler. Cependant, en dépit de sa noirceur, Martha is Dead vaut la peine d’y jouer pour son intrigue très personnelle et ses mystères à résoudre. Sans cesse au long du jeu, on cherche le fin mot de l’histoire, les événements s’enchaînant avec plusieurs rebondissements, avec assez de mystère pour se composer sa propre interprétation de l’histoire. La fin nous permet en effet de revoir l’intrigue sous un nouvel angle, nous amenant à réfléchir sur la part réelle de l’histoire et sur ce que Giulia a peut-être imaginé…
Une aventure où la noirceur sert les propos du jeu
A l’instar d’autres titres avant lui, Martha is Dead se sert de l’horreur pour parler d’autres thèmes bien plus humains : la guerre, les dilemmes moraux, les tragédies familiales, la maladie mentale, les mauvais traitements, la dépression… On peut parfois regretter que le jeu nous laisse avec une telle énigme à la fin, nous laissant un peu frustrés et perplexes sur ce que l’on peut comprendre du jeu. Et en même temps, il est toujours admirable d’avoir un jeu qui fait preuve d’autant d’audace dans ses thèmes, nous laissant l’interpréter sans nous prendre par la main, restant en équilibre avec son propos et son histoire.
Martha is Dead instaure une ambiance très noire et macabre, aidé de séquences cauchemardesques ou sanglantes ; une ambiance par ailleurs contrastée pendant les trois quarts du jeu par les paysages toscans, ensoleillés et sereins à souhait. La passion portée au jeu par ses développeurs se ressent parfois par des aspects plus « secondaires », comme les séquences du théâtre de marionnettes, le récit de la Mort ou le jeu du tarot divinatoire, où la direction artistique est mémorable, à la fois belle et ancrée dans l’époque de l’intrigue.
Le titre ne brille pas par la variété de son gameplay : il se rapproche énormément du walking simulator rigide avec sa vue subjective, et avec une maniabilité parfois fragile. De plus, il est parfois sujet à des bugs (manque de luminosité et contraste dans certaines zones, chutes dans le vide sous le jeu…), mais se démarque par sa beauté et son atmosphère. Il offre un thriller psychologique au suspens bien mené et où le contexte de la Seconde guerre mondiale, s’il reste en arrière-plan, est intégré avec intelligence, mêlant petite et grande Histoire avec finesse, avec une VO italienne parfaitement maîtrisée par Joy Saltarelli. Cependant, la fin déconcerte et laisse un peu sur sa faim. Le jeu n’échoue pas à nous faire réfléchir et à nous hanter après l’avoir fini, mais il lui manquait peut-être un peu plus de liant, de maîtrise et d’explicite pour réussir à nous emmener totalement. Martha is Dead est néanmoins une expérience singulière à la direction artistique réussie, dévouée à l’histoire personnelle de Giulia et à la thématique de la maladie mentale.
- Marthia is Dead est disponible depuis le 24 février 2022 sur PC, Xbox et PS4-PS5.