Like a Dragon: Ishin! | La survie par l’honneur

par Anthony F.

En février 2014, alors que la PlayStation 4 n’avait que quelques mois, le Ryu ga Gotoku Studios sortait un spin-off à sa saga des Yakuza (désormais renommée Like a Dragon dans nos contrées) sous-titré « Ishin! » à la fois sur la nouvelle console de Sony, mais également sur une PlayStation 3 en fin de vie. Un jeu qui reprenait la formule de la saga principale, c’est-à-dire une aventure très scénarisée associée à un monde ouvert où fourmillent les activités et histoires secondaires, afin de renforcer l’immersion dans son univers. Jamais sorti en dehors des frontières du Japon, il a fallu attendre le regain de popularité de la saga en occident ces dernières années pour que SEGA et le Ryu ga Gotoku Studios reviennent sur ce jeu, en nous proposant, neuf longues années plus tard, un remaster qui est sorti ce 21 février 2023 sur PC, Xbox One, Xbox Series X|S, PlayStation 4 et PlayStation 5. À noter : le jeu bénéficie de sous-titres en Français.

Le jeu a été parcouru sur PlayStation 5 pendant 34 heures, avec une quête principale terminée et 91% des histoires secondaires effectuées.

Réinvention d’une icône

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La particularité des spin-off de la série Like a Dragon vient de leur manière de traiter l’histoire. En reprenant des figures historiques mais en leur collant, physiquement, les personnages principaux et secondaires de la saga et leurs voice actors, le Ryu ga Gotoku Studios fait les choses à sa sauce avec un tantinet d’ironie. En effet, celui que l’on connaît habituellement sous le nom de Kazuma Kiryu, héros de la série principale, se fait là connaître sous le nom de Ryoma Sakamoto, le nom de l’un des samouraïs les plus connus de l’histoire japonaise. Sorte de héros de son temps (selon les récits qui en sont fait), il apparaît là sous un caractère semblable à celui de Kazuma Kiryu, avec ses forces et faiblesses habituelles, tout en jouant son rôle pendant la période du Bakumatsu. Une époque tendue, faite de guerres intestines avec un shogunat à l’aube de sa disparition, avec une politique isolationniste largement remise en cause pour commercer avec l’étranger (des étrangers, principalement britanniques et américains, sacrément malmenés dans le jeu). Et de fait, le shogunat s’attire les foudres d’autres factions idéologiques dites « patriotes » ou « nationalistes » comme les Ishin Shishi, tandis que certains membres historiques du Shinsen gumi voient là une occasion de gagner du pouvoir. Le jeu nous fait vite intégrer le Shinsen gumi, où le héros, Ryoma Sakamoto pouvoir y trouver l’assassin de son père qui lui a échappé un an plus tôt. C’est alors que l’on découvre, sous les traits des personnages récurrents des Like a Dragon, toute la bande de membres du Shinsen gumi qui ont été déjà racontés par de nombreuses oeuvres au cinéma, à la télé ou en mangas : Toshizo Hijikata, Isami Kondo, Okita Soji, Nagakura Shinpachi… Des noms connus pour les personnes qui aiment ce pan d’histoire, à tel point qu’il y a quelque chose de transcendant à vivre leur destin, quand bien même celui-ci est adapté très librement.

Le Shinsen gumi est dépeint comme un groupe au leadership variable, fait de membres aux caractères affirmés prêts à dégoupiller à chaque instant pour grignoter du pouvoir. Des opportunistes pour la plupart qui échappent au récit hagiographique auquel certaines oeuvres nous habituent parfois sur leur compte. Inévitablement, ils sont plutôt racontés comme une bande de yakuzas : des gens qui se cachent derrière un code d’honneur tout en fomentant des luttes intestines qui n’a que peu d’égards pour la population. Pour les gens qui aiment les oeuvres qui racontent cette période, c’est donc un vrai plaisir, avec une interprétation de personnages comme Toshizo Hijikata ou encore Soji Okita parfois surprenante. Alors que j’étais en pleine lecture des derniers tomes en date de Chiruran au même moment, c’était intéressant d’opposer les visions des deux oeuvres sur ces personnages. L’histoire met toutefois beaucoup de temps à se lancer et les retournements de situation qui viennent se greffer sur d’autres retournements virent parfois au comique : c’est certes une habitude avec Yakuza, mais là ça va encore un peu plus loin. C’est pas déplaisant à suivre, avec un fort côté série télévisée, mais j’ai pris plus de plaisir à suivre les quêtes secondaires. Pourtant l’histoire principale a ses bons moments. Le fait d’intégrer le Shinsen gumi exerce son petit effet de fascination, il y a aussi un côté très romantique à la quête de Ryoma Sakamoto, en quête d’honneur et de paix, avec une pointe d’amour qu’il trouve auprès d’une femme rencontrée pendant le jeu. Évoluer au sein d’un Kyoto d’antan apporte son lot de déambulations charmantes dans de vieilles rues, avec une ville à laquelle on s’attache vite grâce à la profusion « d’amis » que l’on peut se faire parmi la population (notamment les commerçants). Un système d’amitié qui se développe à mesure des visites, jusqu’à déclencher des quêtes ou évènements particuliers. Si la ville n’est pas excessivement grande, elle n’en reste pas moins pleine de vie, foisonnant de marchés, de restaurants, de bars, de commerces divers ou encore de salons de thé et autres joyeusetés du côté du quartier des plaisirs. Et on va pas se leurrer on part vite en quête des mini-jeu un peu bêtes ici et là pour voir dans quelles situations loufoques on peut mettre notre héros, samouraï ténébreux et pas très rigolo.

Rigidité d’une autre époque

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Si son histoire est séduisante, malgré ses rebondissements qui n’en finissent plus, c’est sur son système de jeu, et particulièrement de combat, que Like a Dragon : Ishin! accuse son âge. Pour bien comprendre, il faut se remémorer l’historique de la série : c’est en 2016 que la saga a connu un véritablement bon en avant avec Yakuza 6, qui proposait un nouveau moteur de jeu. Baptisé « Dragon Engine« , celui-ci a permis de considérablement fluidifier l’action. Et ce grâce à plusieurs artifices, comme des personnages un peu plus libres de leurs mouvements et moins figés, des animations largement revues et des temps de chargements réduits au maximum (notamment dans les nombreux combats de rue). Mais Ishin! est antérieur à cela, pensé et développé sur l’ancien moteur. Si le Ryu ga Gotoku Studios a réalisé le portage sur un nouveau moteur, l’Unreal Engine 4, il a très largement conservé sa structure d’origine avec les limitations de l’époque. Le jeu souffre ainsi de chargements trop fréquents, à chaque début et fin de combat de rue, mais aussi des combats moins palpitants avec un personnage rigide comme à l’époque. Pourtant Ishin! avait une particularité, celle de reposer essentiellement sur l’utilisation d’armes. Bien que l’un des styles de combats permet d’utiliser les poings, ceux-ci font très peu de dégâts et ne servent vite plus à rien, alors on jette plutôt un œil du côté des trois autres styles de combat. D’abord le style « bretteur » pour attaquer au sabre dans ce qui ressemble le plus à l’idée de ce qu’on se fait d’un samouraï, « danseur endiablé » qui permet de mélanger sabre et revolver, et enfin un dernier style qui n’utilise que le revolver. La diversité d’approche s’apprécie, mais l’ensemble est bien trop mal équilibré, notamment face aux boss où seul le style « bretteur » est véritablement viable, en se focalisant sur une poignée de techniques qui fonctionnent mieux que les autres. C’est là aussi un problème propre aux jeux Yakuza/Like a Dragon d’antan : il y a un manque criant d’équilibrage qui provoque des combats assez peu intéressants face à des boss qui s’affrontent toujours de la même manière, en usant des rares techniques qui fonctionnent, tandis qu’eux sont démesurément puissants.

Côté progression, on trouve quelque chose d’assez classique avec une évolution du personnage par niveau général, et ensuite par le déblocage d’orbes spécifiques à chaque style en les utilisant, afin d’attribuer ces orbes à des aptitudes spécifiques à chaque style. Cela a le mérite de récompenser l’utilisation de certaines techniques, puisqu’en jouant bretteur on débloque assez vite des orbes spécifiques à cette manière de combattre, mais c’est à double tranchant : face à l’inutilité globale du combat à poings nus, voire uniquement au revolver, ces deux styles de combat sont particulièrement pénibles à faire progresser. Ce n’est évidemment pas nécessaire pour aller au bout du jeu, mais ça ne facilite pas les choses des personnes qui voudraient compléter le jeu à 100% de son contenu. Heureusement, ce contenu encore une fois pléthorique ne nécessite globalement pas d’utiliser ces styles de combat, en proposant plutôt des activités secondaires plus ou moins farfelues, plus ou moins émouvantes, mais qui permettent toujours de raconter le quotidien des habitants de la ville. Ces quêtes secondaires apportent un vrai plus, j’ai passé énormément de temps dessus en délaissant parfois l’histoire principale, même s’il faut finir par avancer l’histoire principale pour débloquer de nouvelles quêtes secondaires. Cette immersion dans le quotidien des habitants pour, souvent, des futilités, permet de donner beaucoup de cœur et de vie à cette petite ville où l’on évolue, la rendant rapidement attachante. Et c’est un vrai bon point, car on sait que l’affect joue beaucoup dans les Yakuza, avec un quartier habituel que l’on retrouve à chaque épisode. En délocalisant son action dans une ville du passé, il était important que l’on trouve vite de nouvelles marques et une nouvelle tendresse pour ce lieu que l’on ne connaît pas. Enfin, on peut noter un autre mode quasi-secondaire : au bout d’un moment il est possible via une quête secondaire de débloquer notre propre maison, où l’on rencontre une jeune femme qui reprend les traits de Haruka (les fans de la série la reconnaîtront de suite). Cette maison permet de réaliser un mini-jeu de potager et de cuisine afin de pouvoir revendre nos cultures et nous enrichir plus ou moins rapidement. Pas parfait, cet à-côté se place totalement dans la mouvance de ces dix dernières années où les jeux de ferme ont connu un regain d’intérêt, et il permet d’apporter un peu de douceur de temps en temps.

Il ne rend pas honneur à sa direction artistique

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Visuellement daté malgré un passage sur Unreal Engine 4, il n’y a pas de miracle pour ce Like a Dragon: Ishin! rapport à l’original. La faute à des textures qui s’affichent tardivement (un des grands maux éternels de l’Unreal Engine), des animations d’un autre âge et une mise en scène parfois assez risible. Pas sur les scènes cinématiques, mais plutôt sur les petites cutscenes de dialogues qui sont trop statiques, datées de l’époque où les discussions avec les PNJ des Yakuza se faisaient avec des bulles de dialogue et des personnages qui se regardent dans le blanc des yeux sans bouger ni bénéficier de voix. C’est sûrement un peu fainéant, et ça fait tache pour les personnes qui auraient découvert la série plus récemment avec des épisodes comme Yakuza : Like a Dragon ou les Judgment, mais le jeu a au moins le mérite d’offrir des scènes cinématiques assez sublimes lors des missions principales. Mais aussi des visages toujours aussi convaincants, qu’il s’agisse de personnages créés pour la série ou des visages d’acteurs et actrices qui ont prêté leurs traits. Et les limites techniques de ce remaster sont d’autant plus dommageables qu’elles ne rendent pas service à un jeu qui avait beaucoup à offrir grâce à sa direction artistique. Celle-ci offre une vraie identité à chaque quartier de Kyo, qu’il s’agisse du quartier général du Shinsen gumi, de l’allée marchande près d’un petit port, de l’avenue principale, de ruelles sombres et pleines de criminels ou du quartier rouge où se font concurrence les maisons closes. On se sent vite sous le charme d’un univers qui évoque beaucoup d’autres œuvres, mais qui se fait pourtant rare, sous cette forme d’action-aventure, en jeu vidéo.

Témoin d’une autre époque où les jeux Like a Dragon étaient différents, ce remaster de l’épisode Ishin! manque l’occasion de faire entrer le titre dans la nouvelle ère que l’on a connu d’abord avec Yakuza 6, puis avec Yakuza: Like a Dragon. Le jeu est daté visuellement mais aussi sur ses mécaniques, pourtant on se laisse prendre au jeu, car ce remaster est inespéré. Sorti il y a déjà trop longtemps au Japon, on avait du mal à encore croire à l’arrivée du titre dans nos contrées, alors le fait pouvoir y jouer cette année en version française suffit assez largement me combler de bonheur. D’autant plus que son histoire reste tout à fait agréable à suivre, et son contenu secondaire m’a complètement happé, à tel point que je suis parvenu à lui pardonner ses errements techniques, même s’il y a une forme de regret pour un titre qui méritait probablement un peu mieux pour l’occasion. Maintenant, il ne reste plus qu’à espérer que SEGA continue d’explorer ses titres jamais sortis en occident et songe à amener chez nous l’autre spin-off de la saga, un certain Yakuza Kenzan!.

  • Like a Dragon: Ishin! est disponible depuis le 21 février 2023 sur PC, Xbox One, Xbox Series X|S, PlayStation 4 et PlayStation 5.

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