La série des Mana (ou Seiken Densetsu) a une histoire compliquée avec l’Europe. Parfois sortis dans nos contrées, d’autres fois non, les jeux de la saga créée par Koichi Ishii ont pourtant su laisser une trace dans les communautés d’amateur·ice·s de J-RPG. On pense évidemment à Secret of Mana (Seiken Densetsu 2) qui reste encore aujourd’hui le plus gros succès critique de la série, mais aussi à sa suite Trials of Mana (Seiken Densetsu 3) que l’on a pu redécouvrir récemment avec un portage du jeu de l’époque ainsi qu’un remake. Toujours avec la volonté de remettre au goût du jour son vieux catalogue, ou pour simplement sortir de nouveaux titres à moindre coût, Square-Enix ramène à la vie ce bon vieux Legend of Mana. Un épisode sorti en 1999 sur PlayStation qui a débarqué dans une nouvelle version le 24 juin dernier sur PC, Nintendo Switch et PlayStation 4.
Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’une clé du jeu par l’éditeur. Jeu parcouru sur PlayStation 5 dans sa version PlayStation 4.
L’arbre Mana a disparu, provoquant de nombreuses peurs dans le monde de Fa’Diel. Pour le faire renaître le héros ou l’héroïne doit reconstruire le monde et aider les habitant·e·s à s’épanouir et atteindre leurs objectifs.
Une non-linéarité étonnante
Qu’il est difficile de résumer l’histoire de Legend of Mana. Contrairement aux autres titres de la saga (et à la plupart des jeux vidéo) son récit n’est en aucun cas linéaire. Le jeu est en effet découpé en 67 « événements » qu’il convient de réussir, c’est-à-dire 67 quêtes qui offrent chacune quelques bouts d’histoire et de compréhension sur un univers que l’on doit reconstruire pas à pas. Et c’est un choix malin, car la renaissance de l’arbre Mana passe à la fois par l’entraide, l’amour et la possibilité d’assouvir les désirs des uns et des autres, mettant le héros ou l’héroïne (on peut choisir d’incarner l’une ou l’autre) dans la peau d’une personne prête à aider son prochain de manière désintéressée, avec l’unique objectif de redonner vie à un monde qui tombait en lambeaux à la disparition de l’arbre Mana. La symbolique est forte pour une série qui a toujours raconté ses histoires par le prisme de ce fameux arbre, qui symbolise l’essence et l’énergie du monde et qui permet au monde de vivre et de respirer, un peu comme l’Amazonie dans la réalité. Fondement de tous les jeux de la saga, l’arbre Mana voit son rôle ici inversé puisque plutôt que de donner vie à ses habitants, l’arbre est sauvé par la volonté et leur amour. Il y a quelque chose d’un peu innocent et naïf dans cette histoire, mais elle fait encore sens aujourd’hui tant on peut y voir un sous-texte écologique, où le destin de la population mondiale est intimement lié à la manière dont la nature est traitée.
Ce découpage en 67 événements n’en fait pour autant pas un jeu à l’histoire étriquée. Si la critique lui a souvent été faite à l’époque de sa sortie, le récit du jeu n’est pas moins solide que les titres les plus populaires de la saga. Legend of Mana nécessite néanmoins de raccrocher les indices entre eux, de reconstituer un gigantesque puzzle -de la même manière que les personnages reconstruisent le monde- où les rôles des protagonistes se dévoilent tout doucement, dans de très courtes quêtes, l’espace de quelques phrases lancées dans le désordre. L’histoire se révèle finalement en trois arcs distincts, ainsi que quelques arcs secondaires qui permettent d’étoffer l’histoire. C’est plutôt fascinant, d’autant plus que l’on joue un rôle actif avec une grande carte du monde à reconstituer nous-même, en plaçant des « reliques » au hasard ou selon un plan précis, pour faire apparaître villes et donjons. Là aussi le titre prend à rebours la tradition des J-RPG où le héros ou l’héroïne voyage et découvre le monde, puisque c’est aux joueur·euse·s de créer la carte à leur convenance. Mais y aller au hasard n’est pas toujours une bonne idée puisqu’il est nécessaire de suivre un ordre précis, et de placer les villes et donjons au bon endroit si l’on souhaite pouvoir compléter l’intégralité des quêtes. Inversement, certains placements permettent de terminer le jeu beaucoup plus vite en se concentrant sur les quêtes les plus essentielles.
Relique d’un autre temps
Malgré ses idées et son caractère atypique, Legend of Mana n’en reste pas moins un successeur d’une longue lignée de « Action-RPG » où les combats se jouent en temps réel dans un monde en deux dimensions. A l’image notamment de Secret of Mana, le titre se joue assez simplement avec une touche d’attaque normale et une attaque forte, associée à des raccourcis pour lancer des compétences et magies. Un gameplay plutôt agréable malgré les problèmes inhérents au genre et à la saga, avec ses hitbox douteuses et la perspective parfois traître. Toutefois cela permet d’offrir un jeu très dynamique, avec des combats vite expédiés dès lors que l’on comprend les subtilités de l’esquive et la possibilité de bloquer un ennemi en le tapant à la chaîne et au bon rythme. Les combats ne sont jamais vraiment difficiles, à l’exception de certains boss qui demandent d’être plus vigilants, toutefois ce remaster du jeu nous rappelle vite que ses combats ne sont que secondaires : il est en effet possible de les désactiver dans les options en ne jouant que les combats essentiels à la progression de l’histoire. Le bon point c’est que l’on peut complètement se focaliser sur la reconstruction du gigantesque puzzle que constitue son récit, sans perdre de temps dans des combats qui, soyons honnêtes, perdent vite en intérêt tant ils sont simplistes. Un mode coopération permet toutefois de jouer les combats à deux sur la même console.
La progression en niveaux et en compétence du personnage est d’ailleurs assez similaire en intérêt, très transparente et facile à appréhender, de même que la gestion de l’équipement. Tout se fait en toile de fond sans jamais avoir à se creuser la tête, à tel point que les mécaniques de forge et d’élevage de familiers ne sont jamais très utiles. Et on peut le comprendre, car le jeu cherche avant tout à se concentrer sur son cheminement atypique et sur la difficulté à réussir une partie complète en terminant tous les événements. Trouver le bon ordre des quêtes nécessite de s’y reprendre à plusieurs fois, ou bien d’avoir une solution sous la main pour s’éviter quelques regrets au moment de lancer une quête qui, plus tard, révèle en avoir bloqué une autre qui aurait pu permettre d’obtenir quelques bouts d’histoire en plus.
Digne représentant des J-RPG en 2D
S’il y a bien une chose que je regrette de cette époque, des années 80 à 90, c’est ces J-RPG en 2D qui savaient montrer des mondes aux atmosphères envoûtantes. Legend of Mana est l’un d’eux, avec ses villes et donjons qui offrent sans cesse un renouvellement visuel et des ambiances terriblement réussies. Sa direction artistique est une réussite, à l’image des autres titres de la saga des Mana, dans un monde où se mélangent humains et anthropomorphes et diverses créatures, tous et toutes unies derrière des légendes que le jeu sait raconter avec beaucoup de bonnes idées. Ce remaster accentue encore un peu plus la beauté des décors grâce à un travail de restauration, même si l’on aurait aimé que les personnages bénéficient du même soin plutôt que de les reproposer quasiment à l’identique. Sachant que les pixels bien visibles des personnages, qui étaient de toute beauté sur des écrans à tube cathodique à la fin des années 1999 dans une définition inférieure, passent un peu moins bien de nos jours sur des écrans modernes. Enfin, la direction artistique se pare aussi de superbes titres musicaux attribués à la compositrice Yoko Shimomura, qui depuis a été dans la lumière principalement pour son travail sur les Kingdom Hearts, mais qui proposait déjà avec Legend of Mana une très belle bande originale.
Legend of Mana n’est certainement pas le point d’entrée le plus évident à la saga, on conseillera plus facilement la Collection of Mana qui regroupe les épisodes principaux (aux cheminements plus linéaires et classiques) ou le remake de Trials of Mana. Néanmoins Legend a son charme, son univers bien à lui et ses idées qui savent surprendre au moment opportun. Sans en faire un immanquable du genre, il est très facile de se laisser séduire par sa proposition atypique, son bon esprit et son sous-texte plein de cœur. Un bon jeu pour l’été.
- Legend of Mana est sorti le 24 juin 2021 sur PC, Switch et PlayStation 4