Qu’on se le dise, je ne pars pas bien motivé à l’idée de lire le cinquième tome de Kaiju n°8. Le coup de cœur originel a laissé place par la suite à une déception face à une récit sans folie, sans grands coups d’éclat, sans ce petit plus qui en ferait un shonen à part. Mais il serait dommage d’abandonner si vite une œuvre qui a suscité autant de curiosité avant sa sortie, en espérant fermement que les choses s’améliorent enfin avant que Kaiju n°8 rejoigne une longue liste de mangas vite oubliables. Alors, est-ce qu’on peut enfin y croire ?
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.
Acte de bonté
A la fin du dernier tome, nous en restions à la capture de Kafka Hibino, le héros, par les forces de défense. Alors que sa double identité, mi-humaine mi-kaiju, était révélée, celui-ci devait rendre des comptes à son escouade. Si dans l’ensemble il a obtenu le soutien de celles et ceux qui le cotôient au quotidien, les choses sont plus difficiles pour la hiérarchie qui a le sentiment d’avoir été flouée par celui qui pourrait être lié à l’ennemi. Dès les premières pages de ce tome 5, le grand chef des forces de défense donne une chance à Kafka Hibino en le provoquant dans une sorte de duel où celui-ci doit montrer sa capacité à maîtriser le kaiju qui sommeille en lui. Un exercice compliqué, violent pour le jeune homme, à qui l’on demande là de prouver son humanité alors que ces derniers mois, il n’a cessé de protéger ses camarades. Et la confrontation tourne plutôt mal, mais le leader permet tout de même à Kafka de faire ses preuves en l’intégrant à la première division, un groupe d’élite qui concentre les soldat·e·s les plus puissant·e·s, avec l’objectif de tirer partie de ses capacités de kaiju pour mieux contrer un ennemi toujours plus puissant et plus intelligent. Car il n’y a désormais plus aucun doute sur le fait qu’il existe de nombreux monstres qui, comme Kafka, sont capables d’alterner entre apparence humaine et monstrueuse, disposant d’une force sans égal. Cette escouade concentre, également, les personnes les plus à même de neutraliser Kafka s’il venait à perdre le contrôle, tandis qu’iels peuvent s’appuyer sur ses capacités très spéciales pour faire face à des ennemis dont la puissance semble se démultiplier.
Cela occasionne d’ailleurs des dialogues un peu ridicules, le manga continuant d’insister sur sa volonté de « classer » la puissance des monstres, sous l’échelle de la « fortitude » censée symboliser leur capacité à faire des dégâts. Mais un peu à la manière du « it’s over 9000 » de Vegeta dans Dragon Ball Z, cela tourne vite au ridicule et ne fait absolument pas sens, à tel point qu’il commence à être pénible au milieu de l’action de toujours tomber sur un dialogue qui va nous balancer l’échelle de fortitude du nouveau monstre apparu. Pourtant, mis à part cet écart qui dure depuis le début du manga, le tome 5 regorge de bonnes idées qui permettent enfin à la narration de retrouver des couleurs. Notamment grâce à l’arrivée de Gen Narumi, un commandant atypique, un peu foufou, qui fait du bien à une galerie de personnages qui était jusqu’alors un peu morne. À cela s’ajoute aussi la nouvelle situation de Kafka, alors que son secret n’en est plus un, qui permet au récit d’aller sur de nouveaux terrains et d’envisager une nouvelle dynamique avec les autres personnages.
Une population enfin concernée
Mais ce que que j’ai vraiment apprécié dans ce cinquième tome, c’est que Kaiju n°8 s’intéresse enfin au peuple tokyoïte qui subit les attaques répétées des kaiju. On y découvre en effet des personnes apeurées, déboussolées alors qu’une attaque a lieu, où elles n’ont pour consigne que de rejoindre le refuge le plus proche pour tenter de survivre. Un revirement pour un manga qui a trop souvent montré la ville comme un terrain de jeu complètement vide, se limitant à de simples évacuations en toile de fond sans trop chercher à mettre un visage sur ces personnes dont le quotidien est rythmé par les incursions de monstres. Pour un manga qui propose des combats à l’échelle de quartiers, souvent détruits par des attaques dévastatrices, cela sonnait un peu creux, comme si personne n’existait en dehors des unités de combat. Certes, ça ne dure qu’un chapitre où le problème est vite balayé d’un énième « tout le monde a été évacué », mais c’est déjà ça de pris. Surtout que Naoya Matsumoto a un vrai talent dans sa mise en scène de la ville, l’autrice tirant pleinement partie de quartiers de Tokyo pour poser un contexte plus réaliste à une histoire qui lorgne vers le fantastique. Bref, il y a de bonnes idées, qui seront, je l’espère, exploitées plus longuement à l’avenir.
J’avais presque abandonné Kaiju n°8 au terme de son quatrième tome, pas bien passionnant, et trouvant déjà les limites d’un récit qui s’embourbait dans une narration poussive et sans moments d’éclat. Mais cette suite donne presque envie d’y croire, d’abord pour l’évolution de la situation du héros, qui bouge enfin un peu maintenant que le secret de sa nature de kaiju n’en est plus un, mais aussi parce que l’autrice semble enfin s’intéresser à ce qui se passe en dehors des forces de défense. La ville paraît plus vivante, véritablement habitée, et cela donne évidemment plus de force émotionnelle à un manga qui en manquait cruellement. En effet jusque là les attaques de monstres sur Tokyo n’avaient pas de grande conséquence, la ville n’étant qu’un amas de ruines, vidée de sa population, toutefois mettre en scène la fuite de ces personnes permet enfin de montrer qu’il y a de véritables conséquences à ces attaques. Sans être pleinement convaincu, j’entrevois un petit espoir pour que le manga trouve enfin son rythme de croisière avec des enjeux mieux marqués.
- Le tome 5 de Kaiju n°8 est disponible en librairie depuis le 8 juin 2022 aux éditions Kazé.