Les jeux vidéo en Full Motion Video (FMV) ont surtout connu un âge d’or dans les années 90, avec des histoires originales ou bien dérivées de licences cinématographiques. Interactifs, ce sont des jeux mettant en scène de véritables séquences filmées avec des acteurs, dont le gameplay s’apparente le plus souvent au point & click ou à des choix narratifs. Cependant, même si l’on peut parler d’un « âge d’or » en terme de productions de l’époque, il s’agissait souvent de jeux dignes des séries B, avec des effets incertains et des jeux d’acteur inégaux, sans compter des histoires parfois bancales. Toutefois, depuis quelques années, le genre essaye de se réinventer, comme le prouvent certains titres récompensés comme Her story, Telling Lies, Erica ou Late Shift. C’est d’ailleurs au studio gallois Wales Interactive que nous devons plusieurs jeux FMV ces dernières années et dont la dernière production, I Saw Black Clouds, est sortie le 30 mars 2021.
Cette critique a été rédigée grâce à une clé PS4 envoyée par l’éditeur.
Un film interactif de genre, entre réalisme et fantastique
I Saw Black Clouds nous invite à découvrir Kristina (Nicole O’Neill), une jeune femme apprenant le suicide d’une de ses amies, Emily (Carla Cresswell). De retour dans son village natal pour l’enterrement, elle se met à enquêter, persuadée qu’une histoire encore plus sombre est à l’origine de la mort d’Emily…
Pour créer ce jeu, Wales Interactive s’est associé à la compagnie Ghost Dog Films, particulièrement attirée par les productions mêlant les influences anglaises et le cinéma d’horreur japonais ou coréen. Un style prompt à proposer un thriller psychologique, et c’est sur ce chemin que s’aventure directement I Saw Black Clouds. Le suicide d’Emily cache en effet une histoire intrigante, dont les aboutissants différent totalement selon les choix du joueur.
Le jeu est empreint des différents codes du cinéma de genre. I Saw Black Clouds cherche à instaurer une atmosphère inquiétante et pesante, prenant place dans un petit village où de sombres événements se déroulent, où les personnages ne sont pas ce qu’ils prétendent être, et ce jusqu’à notre héroïne, qui réserve quelques surprises. Malheureusement, cela se ressent aussi dans la production qu’on sent manquer de budget, que ce soit pour les effets spéciaux, les décors, ou le manque d’une véritable mise en scène malgré quelques bonnes idées.
Comme dans tout FMV, le gameplay de I Saw Black Clouds demeure limité. On fait avancer l’histoire en choisissant entre plusieurs actions, plusieurs paroles, plusieurs embranchements. Certains choix ne sont qu’un prétexte à allonger une scène de quelques secondes, ou bien à influencer la personnalité de Kristina. Celle-ci, face à la mort de son amie, a en effet trois manières différentes de réagir : la culpabilité, le déni ou l’acceptation, reprenant en partie le célèbre modèle du deuil de Kübler-Ross (déni, colère, marchandage, dépression, acceptation). D’autres choix permettent d’influer sur sa relation avec deux personnages secondaires : son amie Charlotte (Rachel Jackson), et une connaissance d’Emily, un jeune homme un peu perturbé nommé Jack (Aaron Jeffcoate). Enfin, les réponses influencent également en temps réel sur les traits d’honnêteté, de force, de tact, de moralité et d’introspection de Kristina. Toutes ces variations n’ont qu’un seul but : vous amener à découvrir les multiples scènes du jeu (plus de 500 au total) et ses différentes fins, au nombre de quatre. L’intérêt ici est évidemment la rejouabilité du titre, d’autant qu’après avoir terminé le jeu une première fois, vous pouvez passer les scènes déjà vues.
Car ce qui ancre aussi le jeu dans le cinéma de genre, c’est le parti pris de son histoire avec ces quatre fins. Et selon vos choix, vous pourrez basculer dans une version totalement surnaturelle de l’histoire, avec des éléments d’horreur que l’on sent effectivement inspirés du cinéma japonais, ou bien dans une version réaliste de l’intrigue, mais pas moins sombre et cruelle. On n’en dira pas plus pour conserver tout l’intérêt de l’histoire. Il est en tout cas fascinant de se voir proposer deux principaux axes, correspondant chacune à une version différente du récit avec des interprétations différentes, permettant de déjouer parfois les attentes et d’offrir un aspect surnaturel ou psychologique vraiment bienvenu, et dans mon cas, auquel je ne m’attendais pas malgré les indices disséminés ici et là.
Des intentions inventives qui pâtissent du manque de moyens
Avec ce double axe tantôt réaliste, tantôt surnaturel selon ses choix (ou même, mélangeant les deux), on a l’impression d’avoir le droit de décider de la direction de l’histoire, comme en réaction à ces films au synopsis prometteur, mais dont l’intrigue ne prend pas le chemin qu’on aurait voulu voir. L’intérêt de I Saw Black Clouds revient aussi à l’évolution psychologique de Kristina, qui aurait certes pu être encore plus approfondie, mais qui permet d’évoquer les réactions face au deuil, la résilience face à des événements traumatiques, ou de comment la mort d’un proche peut nous hanter et nous changer.
Malgré cette volonté de proposer une histoire aux embranchements radicalement différents, le jeu ne séduit pas autant qu’il le pourrait. On ressent un manque de budget qui aurait pu donner une toute autre envergure aux maquillages, décors et aux paysages, voire davantage les mettre en valeur, d’autant que Wales Interactive semble prendre à cœur de proposer des jeux se déroulant au Royaume-Uni et que cela se ressent dans les accents des personnages, dans l’atmosphère des lieux. C’est le montage même du jeu qui pose problème, avec des coupes décalées de quelques secondes tant au niveau sonore que visuel, occasionnant des « blancs » maladroits et empêchant une véritable immersion dynamique. Le casting se révèle honnête et très correct dans son ensemble, avec parfois un peu de surjeu ou de manque de naturel, mais cela n’empêche pas de suivre les rebondissements de façon plaisante. Il est tout de même dommage que ces défauts nuisent à l’ensemble de l’histoire, qui se révèle entraînante à condition de se laisser prendre au jeu et d’avoir en tête ce côté série B.
I Saw Black Clouds n’est peut-être pas le meilleur jeu de Wales Interactive, car il est empreint de défauts de montage et aurait mérité un meilleur budget pour être à la mesure de son ambition. Mais on peut saluer sa volonté de créer des histoires intrigantes et mystérieuses avec un cachet anglais caractéristique, et de renouveler le genre FMV souvent mal-aimé. Le jeu, d’une durée de moins de deux heures lors d’un premier run, a néanmoins de quoi proposer un moment plaisant.
- I Saw Black Clouds est disponible sur PS4, Steam, Xbox One et Nintendo Switch, et le sera également sur PS5 et Xbox Series S/X.