Quand j’étais adolescente, j’ai plongé dans l’univers de Bram Stoker, célèbre écrivain irlandais du XIXe siècle, avec son chef d’œuvre Dracula. Puis j’ai enchaîné avec ses œuvres complètes, contenant d’autres romans et surtout des recueils de nouvelles beaucoup moins connus, mais toujours imprégnés d’un surnaturel gothique et inquiétant, passant du macabre au merveilleux au fil des pages. Des années après, le souvenir de cette lecture passionnante demeure. Ses textes ont nourri mon imaginaire et mon style. Vous imaginez donc ma joie quand j’ai appris qu’une nouvelle inédite de l’auteur avait été retrouvée dans les archives de la bibliothèque nationale d’Irlande. Il ne reste donc plus qu’à voir si La colline au gibet, datant de 1890, valait la peine d’être déterrée…
Cet article a été rédigé suite à l’envoi d’un exemplaire papier de Gibbet Hill par les éditions Bragelonne.
Une nouvelle à découvrir ?

La peinture de Hindhead Hill de Joseph Mallord William Turner, le lieu ayant inspiré Bram Stoker.
Gibbet Hill est une très courte nouvelle – pas plus de trente pages – et il est toujours délicat de s’exprimer sur ce genre qui a tendance à marquer durablement… Ou bien à s’effacer de la mémoire peu de temps après sa lecture. Tout d’abord, il faut noter le soin apporté à cette édition : Bragelonne propose un texte bilingue (une page en anglais, une page en français) ce qui a le mérite de faire apprécier le style de Bram Stoker en version originale. Les illustrations internes de Mikaël Bourgouin d’un noir et blanc fin et travaillé, achèvent de nous plonger dans l’ambiance. Son sens du détail renforce l’atmosphère lugubre au récit. La couverture n’est pas en reste, avec une reliure bleue travaillée et qui contribue à faire de cette nouvelle un beau livre-objet.
Pour l’histoire, nous suivons un narrateur en promenade à Gibbet Hill (Surrey), un lieu mémorial devenu terrain de pique-niques et de flâneries pour les familles anglaises. Tout y invite en effet à la balade, entre monts et prairies boisées, où l’automne commence toutefois à prendre le pas sur la floraison. A cet égard, les descriptions bucoliques et axées sur la nature, sa beauté et son sentiment de rendre l’homme tout petit au milieu de cette beauté, rappellent le genre gothique, voire le romantisme. A dessein, puisque Bram Stoker appartient à ce courant littéraire mêlant aussi bien les beautés sombres de la nature que l’horreur et le fantastique.
Par la suite, le narrateur rencontre trois enfants, dont deux jeunes filles d’origine indienne, à qui il explique que le mémorial présent est celui d’un ancien marin. Mais le fantastique s’immisce alors quand les enfants se mettent à charmer un serpent, fascinant autant l’animal que le narrateur, vers une fin plus fantastique et plus funeste.
Un texte dans la droite lignée de Bram Stoker
Voilà, en peu de mots et sans trop vous divulgâcher la chute de la nouvelle, ce qu’est La colline au gibet. On y retrouve le style de Bram Stoker avec ce penchant pour la nature, mais surtout le fantastique qui s’immisce dans le quotidien. Le surnaturel transforme un petit paradis terrestre en un cauchemar, en faisant écho à une lutte entre le bien et le mal. Par ailleurs, la présence des enfants venus d’Inde est un reflet de l’exotisme propre en littérature au XIXe siècle, où le mal vient effectivement de l’étrange(r). Voyez Dracula qui vient de Transylvanie, ou le roman Le joyau des sept étoiles où la résurrection d’une reine égyptienne entraîne une malédiction sur les personnages. C’est aussi, davantage en corrélation avec son époque, une répercussion de la xénophobie du XIXe siècle, avec la domination britannique de l’Inde, et par conséquent, la peur d’être dominé en retour.
Ainsi, Gibbet Hill est une nouvelle à la fois caractéristique de son époque, mais aussi des thèmes chers à Bram Stoker. On y retrouve le surnaturel exotique, les personnages victimes de rêves/cauchemars, la présence du mal dans un lieu pourtant magnifique. Pour autant, cette nouvelle est-elle une bonne porte d’entrée vers son œuvre ? Si elle a un intérêt littéraire, elle en a beaucoup moins pour un lecteur ou une lectrice qui souhaite découvrir l’écrivain. L’histoire n’est pas particulièrement palpitante, ni marquante, comparée à d’autres nouvelles de l’Irlandais. Je la conseillerai, par curiosité, aux amateurices de Bram Stoker, mais beaucoup moins à ceux et celles qui l’envisagent comme une porte d’entrée vers l’auteur de Dracula.
Ici, au moins, me dis-je à moi-même, l’âme de l’homme s’élève enfin ; et dans cette transcendance de l’œuvre de la nature, le mal qui sévit en nos cœurs s’en trouve estompé.
À peine m’étais-je retourné, cependant, que je sursautai, car, comme par ironie du sort, se dressait là, près de moi, un lugubre rappel de la vilenie foncière et de la soif de sang de notre espèce – une pierre tombale au bord de la route, marquant l’endroit où, un siècle plus tôt, un pauvre marin cheminant péniblement depuis Portsmouth avait été assassiné.
- Gibbet Hill est disponible aux éditions Bragelonne depuis avril 2025.