On ne peut pas parler d’histoire des J-RPG sans aborder Final Fantasy. Saga fondatrice d’un genre à part entière aux côtés des Dragon Quest, la licence de Square Enix a traversé les époques jusqu’à devenir culte pour plusieurs générations de joueurs et de joueuses. Si certaines de ses composantes sont aujourd’hui parfaitement reconnaissables et sont inévitablement présentes d’un jeu à l’autre (comme ses chocobos, ses monstres ou encore les classes des personnages), leur création ne s’est pas faite du jour au lendemain. Et c’est là l’intérêt de se replonger à ses prémices grâce à Final Fantasy Pixel Remaster, une compilation des six premiers épisodes, qui est sortie récemment sur Switch et PlayStation 4 après un premier passage sur PC et mobile l’année dernière. Un portage qui vient avec son lot de nouveautés, notamment du côté de l’accessibilité.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire numérique par l’éditeur. La compilation a été parcourue sur PlayStation 4 en plusieurs dizaines d’heures (les trois premiers jeux terminés, les autres effleurés).
Ils ne font pas leur âge
Les premiers Final Fantasy, qui ont façonné les composantes essentielles et récurrentes de la saga, n’ont jamais vraiment quitté l’actualité. Les remakes et remasters en tout genre sont nombreux, et certains ont même amélioré l’expérience originelle, comme Final Fantasy I & II Dawn of Souls sorti à l’époque sur Game Boy Advance (ça ne nous rajeunit pas ces bêtises). Mais une chose n’avait pas encore été faite par Square Enix, c’est une volonté de proposer des expériences au plus près des jeux originaux, alors que l’histoire des remakes a toujours été de tenter de faire mieux et plus moderne. C’est pourtant la proposition de Final Fantasy Pixel Remaster, où l’éditeur et développeur japonais met de côté les ajouts des remakes successifs (cinématiques, réinventions visuelles, contenu secondaire étoffé…) pour, au contraire, revenir aux racines de la saga. En abordant ces six premiers titres via cette compilation, on se retrouve en effet face à quelque chose de très proche des expériences vécues par les joueurs et joueuses qui ont découvert les débuts de cette saga romanesque sur NES à la fin des années 1980. Une expérience un peu brut que la nouvelle compilation adoucit légèrement avec une refonte visuelle, mais à l’aspect pixel art pour ne pas trahir le style originel, une bande-son orchestrales (et la possibilité de choisir les musiques d’origine), ainsi que quelques paramètres d’accessibilité. Mais sur le fond l’aventure est identique, avec les mêmes monstres qu’à l’époque, la narration étriquée des premiers épisodes et l’impression, en passant d’un jeu à l’autre, de voir être posées une à une les pierres qui constitueront plus tard les fondations d’une série culte du jeu vidéo.
Cette volonté de coller à l’expérience d’origine n’empêche toutefois pas ce Pixel Remaster de rendre cette expérience plus douce. Bien maline sera la personne qui aurait l’idée, aujourd’hui, de découvrir les premiers épisodes NES et SNES dans les conditions d’origine. Si un Final Fantasy VI, également disponible sur cette compilation, n’a pas vraiment perdu de sa superbe au fil des années tant à sa sortie sur PS1 le jeu constituait l’aboutissement des épisodes précédents, les cinq premiers quant à eux ont pris un certain âge. Pas forcément sur leur narration, même si celle des trois premiers épisodes est loin des standards imposés plus tard par la saga, mais surtout sur leurs mécaniques qui nécessitaient d’y passer un temps important pour survivre aux donjons les plus difficiles en fin de jeu. Surtout pour des titres où les aller-retour sont nombreux, et les combats extrêmement présents. Alors le Pixel Remaster, à l’occasion de sa sortie sur PS4 et Switch, et contrairement à sa version sortie l’année dernière sur PC, profite de paramètres d’accessibilité qui permettent notamment d’augmenter, via un multiplicateur, les gils (l’argent des FF) obtenus, mais aussi l’expérience obtenue. De quoi rapidement se trouver surpuissant·e pour les combats et pouvoir parcourir les jeux plus sereinement, en profitant essentiellement de ce qu’ils ont à offrir en matière de narration, d’aventure mais aussi comme témoins de leur époque et de l’histoire de la naissance des J-RPG. À cela s’ajoute un style visuel qui fait mouche, et une police d’écriture pixelisée qui corrige l’un des principaux griefs émis contre la version sortie l’année dernière. D’autres petits éléments, comme la possibilité de désactiver les combats aléatoires (une option parfois salvatrice sur Final Fantasy II !), la possibilité d’automatiser les combats ou d’accélérer la vitesse de déplacement, rendent la compilation particulièrement agréable à parcourir.
Et c’est très certainement le meilleur moyen de redécouvrir ces jeux, à l’exception peut-être de Final Fantasy I et II qui étaient supers dans leur version GBA (mais qui est impossible à trouver à prix décent aujourd’hui). C’est une invitation à l’aventure, au voyage, avec six jeux d’une grande qualité. On ne peut pas tous les aimer car les propositions sont très différentes, FF se découvrant petit à petit et essayant plein de choses différentes, mais tous les épisodes ont une vraie valeur historique et tous montrent quelques petits bouts de ce qui permettra plus tard de former la colonne vertébrale de l’intégralité des FF sortis par la suite. Il y a un vrai plaisir à voir apparaître ces bouts de mécaniques, de lore, de systèmes, qui vont ensuite poursuivre la saga et lui donner la stature qu’on lui connaît aujourd’hui. Et c’est d’autant plus important que cela prouve que la série a toujours conservé certains de ses éléments clés d’un épisode à l’autre, alors qu’elle a la réputation de constamment se renouveler, tant pour ses systèmes de combat (toujours différents et renouvelés) que ses modes de narration.
Un goût d’aventure indémodable
Je ne reviendrai évidemment pas individuellement sur chaque jeu, chacun d’entre eux mériterait de toute manière une critique entière et individuelle. Mais il y a quand même quelques éléments qui ont attiré mon attention, notamment du côté des deux premiers Final Fantasy, auxquels je n’avais jamais joué avant et que ce remaster m’a permis de découvrir. Sur Final Fantasy I, la curiosité était de mise car le hasard a fait que je le découvre juste après avoir terminé Stranger of Paradise, sa préquelle boiteuse sortie l’année dernière. Un jeu un peu improbable (et bourré de défauts) pour lequel je me suis pris d’une affection infinie, alors cela a inévitablement renforcé l’émotion face à Final Fantasy I, dont les enjeux sont sublimés. Savoir qui est Chaos, le grand méchant du jeu, son histoire et son rôle dans cette histoire qui parle de cycles du temps, apporte une douceur non négligeable au jeu. Un titre qui a pris de l’âge et qui montre très vite ses limites narratives, avec des dialogues limités à une poignée de mots et des héros et héroïnes qui ne parlent pas, mais qui se révèle très présent à parcourir. Notamment pour le sentiment de participer à une vraie et grande aventure, un voyage hors du commun, un sentiment que je trouve habituellement du côté des Dragon Quest, rappelant les origines presque communes à des séries qui se sont inspirées l’une de l’autre pour créer leurs propres légendes. Ensuite, c’est Final Fantasy II qui a attiré mon attention. D’abord parce qu’il s’agit du premier épisode qui tente d’étoffer considérablement sa narration avec un système de dialogue où l’on peut interroger les personnages avec des mots-clés appris au fil de l’aventure, mais aussi pour son système de progression atypique. Plutôt raté mais intéressant pour sa proposition, ce système de levelling dépend des actions des joueurs et des joueuses pour faire évoluer les personnages : subir des dégâts renforce les points de vie, utiliser de la magie augmente la force magique et les points de mana disponibles, utiliser l’épée renforce la force… Initialement pensé comme un système visant à ce que les personnages « ressemblent » à la manière de jouer de la personne qui tient la manette, celui-ci s’avère plus complexe que nécessaire, et manque d’un petit quelque chose pour faire pleinement sens. D’ailleurs, la saga l’a vite abandonné, les suites privilégiant d’autres manières d’aborder la progression des personnages. Mais c’était un essai intéressant, d’autant plus qu’à côté l’histoire montre de belles choses en parlant de rébellion, de résistance face à l’oppression, de peuples opprimés, malgré un raté sur son dernier tiers avec un grand méchant qui sort un peu de nulle part et qui est mal raconté. La dimension politique du jeu reste ensuite centrale pour les Final Fantasy suivant, qui retiendront souvent cette composante dans leur manière de raconter leurs mondes, avec des guerres de pouvoirs, des politiques corrompus et des peuples souffrants face à des oppresseurs politiques.
À partir de Final Fantasy III, puis consolidé par les trois FF suivants jusqu’à l’apogée de Final Fantasy VI, la saga commence à trouver sa formule, entre l’aventure d’une bande d’élus, une narration plus soutenue (avec des dialogues plus nombreux, plus étoffés, mieux écrits), un système de jobs qui permet de créer une équipe telle qu’elle nous plaît et surtout, un monde gigantesque à explorer, avec son lot de petites histoires, ses peuples différents et ses musiques mémorables. Peu d’années séparaient à chaque fois ces épisodes tant les temps de développement étaient courts à l’époque, par rapport à aujourd’hui où un Final Fantasy XVI nécessite de nombreuses années de développement. Pourtant, en quelques mois les équipes de cette époque étaient capables à chaque fois de réinventer leurs systèmes en essayant de nombreuses choses. Et c’est là que cette compilation passionne, pour ce sentiment de voir l’histoire se créer sous nos yeux, avec le plaisir d’aborder la créativité folle de l’époque et ce goût de l’aventure qui caractérisait celles et ceux qui imaginaient les mondes des Final Fantasy, tentant à chaque fois d’aller encore plus loin et de faire plus fort.
Remakes, remasters, compilations et portages en tout genre, notre époque et cette génération de jeux vidéo en connaît beaucoup, parfois trop. Mais certaines de ces réinventions de titres d’antan apparaissent comme indispensables, et Final Fantasy Pixel Remaster fait partie de celles-ci. On ne parle pourtant pas de jeux sinistrés ou oubliés, les six premiers Final Fantasy ayant connu leur lot de portages sur différentes plateformes à travers les générations, sur les consoles portables de Nintendo et Sony, ou plus récemment sur Steam. Mais Square Enix y tentait toujours une sorte de réinvention, parfois heureuse (comme les épisodes GBA de Final Fantasy I et II), parfois plus malheureuse (comme les nombreux portages douteux sur Steam), sans jamais pleinement embrasser les origines de ses jeux. Et c’est ce que vient gommer ce Pixel Remaster, avec six éditions qui sont au plus proches de l’expérience originale. La refonte visuelle est simple pour être plus agréable à l’œil tout en restant dans l’esprit pixel art de l’époque, tandis que la structuré et la narration d’époque est quasiment inchangée, mis à part pour une poignée de petites améliorations visant à rendre l’expérience de jeu plus agréable. La proposition est intéressante et permet de revivre cette époque, de (re)découvrir les origines de la saga, et c’est un plaisir monumental.
- Final Fantasy Pixel Remaster est disponible depuis le 19 avril 2023 sur PlayStation 4 et Nintendo Switch. La compilation est précédemment sortie sur PC et mobile.