Deep 3 – Tomes 3 et 4 | La violence du basket universitaire

par Anthony F.

Deep 3 était, avec ses deux premiers tomes sortis en fin d’année dernière, une des plus belles surprises du côté des mangas de sport. La finesse de l’écriture de Mitsuhiro Mizuno, la beauté des dessins de Ryosuke Tobimatsu et l’originalité de son univers lui permettaient de se distinguer très clairement d’autres piliers du genre. Les attentes sont donc très élevées au moment de lire la suite, une fois la surprise passée, à un moment où Deep 3 doit prouver qu’il peut assumer ses ambitions.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire du tome 3 par l’éditeur.

Rêves déchus

DEEP 3 © 2021 Mitsuhiro MIZUNO, Ryosuke TOBIMATSU/ SHOGAKUKAN

Dans les deux premiers tomes, Deep 3 tirait son épingle du jeu pour tout le contexte propre au basket qu’il racontait, loin d’autres mangas du genre. D’abord parce qu’il s’intéresse au basket américain plutôt que japonais, mais aussi parce que son héros, Damian, est moitié afro-américain, moitié japonais. Cela le mettait dans une situation malheureusement attendue, entre l’attente qu’il suscite et le racisme qu’il subissait. Et maintenant qu’il est arrivé et bien installé aux Etats-Unis dans ces tomes 3 et 4, il est confronté à une nouvelle réalité qui ne lui fait pas plus de cadeaux. Le manga s’intéresse en effet à la violence du basket universitaire, un passage obligé et décisif pour la plupart des futurs joueurs de NBA, où de nombreux jeunes sont déterminés à paraître comme étant les meilleurs (en soignant leurs statistiques personnelles), car c’est leur seule chance de se faire remarquer par une équipe de NBA. Une fois remarqués, et en signant un contrat, c’est leur avenir qui change du tout au tout.

Ces deux tomes s’intéressent donc à cette hyper-concurrence, où Damian se retrouve en bas de l’échelle et malgré son talent, le management rechigne à le propulser dans le cinq majeur (les cinq titulaires qui commencent les matchs) pour une raison extra-sportive : le racisme ambiant. Son coach lui dit clairement qu’il ne peut pas justifier vis-à-vis des autres jeunes joueurs de faire débuter un match l’asiatique qui sort de nulle part, et passerait devant tout le monde alors qu’il n’est pas entièrement américain. Et cela renforce un peu plus le discours de l’auteur, déjà initié dans les deux premiers tomes, sur l’entourage qui a un impact conséquent sur les carrières naissantes de ces gamins. Déjà victime de racisme quand il était au Japon car « pas assez » japonais, Damian en souffre à nouveau aux Etats-Unis car « trop » japonais. Mais Deep 3 n’est pas que ça. C’est aussi un récit passionnant sur la détermination d’un jeune à se faire une place au sein d’un sport qui le fait rêver depuis qu’il est gosse, avec de vrais bons moments d’opposition et de rivalités qui se forment. Également, le dessin est d’une beauté saisissante, capable de montrer le mouvement avec précision, insistant sur l’aspect finalement très artistique, voire acrobatique, du basket américain, où le « style » et l’attitude font partie intégrante de la personnalité de chaque joueur sur le parquet.

Au bout du monde

DEEP 3 © 2021 Mitsuhiro MIZUNO, Ryosuke TOBIMATSU/ SHOGAKUKAN

Deep 3 joue également sur un registre intéressant, qui emprunte à ce que d’autres mangas ont pu faire par le passé avec la détermination comme moteur d’un personnage qui a tout à prouver, mais aussi des choses novatrices avec le rapport du personnage à ses origines afro-américaines, son immersion dans un pays et un milieu qu’il fantasme mais qui le considère encore comme un étranger. C’est aussi un récit qui aborde le basket comme émancipateur social, un échappatoire pour des gosses de quartiers pauvres, comme c’est raconté au travers du personnage de Delonte dans un chapitre consacré à ses origines, son quartier et les difficultés auxquelles il fait face. Il faut bien comprendre que le basket, aux États-Unis, est intimement lié aux questions sociales, à l’engagement communautaire et représente pour beaucoup de gamins un des rares moyens pour se faire une place dans la société. Et Mitsuhiro Mizuno maîtrise plutôt bien cet élément en s’inspirant de la réalité, comme il le dit en clamant son amour et son lien avec le basket dans quelques pages à la fin de chaque tome, et en l’intégrant au quotidien de ses protagonistes.

Toujours aussi bon, Deep 3 a parfaitement saisi le contexte social du basket américain sans pour autant mettre de côté ce que l’on recherche habituellement dans un manga de sport (la détermination, les obstacles, les confrontations, les rivalités). C’est un manga écrit par un passionné qui s’intéresse autant au sport de haut niveau qu’aux sacrifices que celui-ci exige. Mais aussi à ce qu’il se passe autour, aux familles et proches qui gravitent autour des athlètes, à leurs conditions sociales et à leur impact au sein de leurs communautés. Le personnage de Delonte, qui raconte qu’il avait le choix entre le basket et les gangs, est peut-être un peu caricatural dans son écriture, mais il incarne une certaine réalité d’aujourd’hui aux États-Unis.

  • Les tomes 3 et 4 de Deep 3 sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.

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