L’été est pratiquement terminé et on est peut-être un peu à la bourre, mais entre juillet et août, Urban Comics a continué de publier les différentes séries DC Infinite comme chaque mois depuis le début de l’année. Au programme, les suites de Flash, Batman Detective et Joker, mais aussi la série Justice League Incarnate qui se fait une place dans un tome qui a toutes les peines du monde à convaincre. Heureusement, les séries centrées sur les autres personnages valent le coup que l’on s’y attarde.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par son éditeur.
DC Infinite Frontier – Justice Incarnée, aventure pop-corn sans grand intérêt
Quelques mois après le comics DC Infinite Frontier qui lançait la nouvelle ère Infinite, Joshua Williamson propose la série en cinq chapitres Justice League Incarnate que Urban Comics rassemble dans ce tome intitulé DC Infinite Frontier – Justice Incarnée. Au programme, des personnages de différentes terres parallèles sont emmenés par le Président Superman, Calvis Ellis, ainsi que Thomas Wayne, le Batman de Flashpoint. On retrouve ainsi nombre de personnages moins connus, tels que Avery Ho et Captain Carrot, qui se font une place dans un récit aux forts accents de blockbusters, avec tout ce que cela comporte de bons comme de mauvais côtés. Sorte de grand récit pop-corn avec une action omniprésente face à une menace toujours plus grande, le comics insiste sur l’urgence d’une situation désespérée avec des personnages habituellement très secondaires qui agissent dans l’ombre pour tenter d’éviter la destruction du multivers. Cela donne l’occasion à Joshua Williamson d’imaginer une histoire un peu fofolle, sans trop de limites, où l’auteur peut se faire plaisir avec des chapitres grandiloquents et très référencés, invitant ses personnages dans bon nombre de réalités parallèles avec leurs propres spécificités. Je pense notamment à un passage sur ce qui semble être notre Terre, où Président Superman et Doctor Multiverse se trouvent confronté·e·s aux comics qui racontent leurs aventures précédentes.
Mais bon, on va pas se leurrer : ça ne vole pas bien haut. L’histoire est complètement dispensable et rarement vraiment pertinente, l’écriture de Joshua Williamson étant là bien loin de ce qu’il a pu faire sur d’autres œuvres. On sent certes qu’il prend un certain plaisir à inventer cette histoire d’action où tout pète et où tout le monde est dans l’urgence, mais la narration est poussive avec des dialogues longuets et mal amenés chaque fois qu’il faut justifier l’arrivée d’un personnage ou d’un nouveau concept. Le seul intérêt réside vraiment dans les différents styles visuels, puisque de nombreux·euses artistes se sont relayé·e·s au fil des chapitres et à mesure que les personnages traversent de nouveaux mondes, avec à chaque fois un style graphique différent. En dehors de ça, on a quand même bien du mal à le recommander.
Batman Detective Infinite – Tome 2, le fil conducteur dont on a besoin
Mariko Tamaki continue son exploration de l’univers de Batman. Son arrivée à la tête de Detective Comics constituait déjà un petit évènement, tant parce qu’il s’agit d’une autrice à succès que parce qu’elle est la première femme à avoir pu écrire sur la série après plus de 80 années d’existence. Limiter l’impact Mariko Tamaki à cette information serait toutefois lui faire un affront, car l’autrice confirme dès ce deuxième tome toutes les bonnes choses entrevues au premier. Toujours la meilleure série Batman sur cette ère Infinite, le comics permet à l’autrice de manipuler la Batfamily avec beaucoup d’intelligence dans une intrigue plus centrée sur la ville de Gotham, plus humaine, en évoquant même parfois Gotham Central dans sa manière de raconter l’impact de l’action des super-héros et super-héroïnes sur la ville elle-même. Elle y développe même les prémices d’un arc de rédemption pour le maire Nakano, opposant habituel à Batman sur cette ère, dont la haine s’estompe à mesure qu’il lui fait face et qu’il réalise qu’ils peuvent s’entraider.
En recentrant son intrigue sur la ville de Gotham, Mariko Tamaki lui donne vie et s’intéresse au plus près à son histoire. Et cette idée se prolonge dans un interlude signé Stephanie Phillips, qui aborde pendant un petit chapitre la reconstruction d’Arkham, l’asile qui a été détruit au début de l’ère Infinite (comme on l’avait vu dans le premier tome du Batman Infinite de James Tynion IV), s’éloigne de son centre historique pour se reconstruire au milieu de la ville. Elle se retrouve dans une tour gothique dont semble émaner l’aura de tous les malheurs associés à son histoire. Ce chapitre, qui se fonde parfaitement au milieu de l’histoire, interroge l’aspect destructeur de l’asile qui a autant façonné des « méchant·e·s » qu’échoué à les aider, dans une mise en scène horrifique où Batman se trouve manipulé par la tour. Cela fonctionne super bien, et montre toute l’étendue des intrigues que développe ce Batman Detective Infinite qui est définitivement l’une de mes séries de comics préférées depuis le début de l’année. Visuellement enfin, le style de Dan Mora reste fidèle à lui-même, toujours efficace malgré un aspect très classique et sans surprise. Il s’insère sans mal dans le style des comics de la continuité Batman de ces dix dernières années, c’est-à-dire quelque chose de propre et passe partout, mais rarement surprenant.
Flash Infinite – Tome 2, retour à une vie normale ?
L’autre bonne surprise de cette ère c’est Flash Infinite. Après un sympathique premier tome qui venait recoller les morceaux d’un Wally West complètement remis en cause après les événements de Heroes in Crisis, le deuxième tome de Jeremy Adams renvoie son héros à la recherche d’un quotidien plus tranquille. En effet l’expérience traumatisante vécue par Wally, qui pensait être responsable de la mort de nombreuses personnes, l’a poussée à rechercher autre chose, une autre vie que celle de héros. C’est ainsi qu’il se recentre sur sa famille, sa femme et ses deux enfants, ces deux étant eux-mêmes liés d’une manière ou d’une autre à la Force Véloce qui lui donne ses pouvoirs. Et pour retrouver un semblant de normalité, il se met en quête d’un travail, le job de sauveur de la Terre n’étant visiblement pas très rémunérateur. Jeremy Adams se lance alors dans un récit très familial, plus terre à terre, qui fait du bien au milieu des aventures quasi-cosmiques racontées dans les autres comics Infinite, avec parfois un air de cinéma familial où des parents et leurs enfants vivent des aventures extraordinaires. C’est vraiment très bien raconté, même lorsque l’histoire repart vers quelque chose d’invraisemblable et hors du temps (parce qu’il fallait bien raccrocher les wagons à l’idée « d’extraordinaire » propre à cet univers). Qu’il s’agisse de s’interroger de la possibilité pour un super-héros de se lever le matin et d’aller au boulot comme si de rien était, ou pour raconter l’héritage familial des enfants de Wally West, Jeremy Adams s’en sort à merveille et propose un tome extrêmement accrocheur, encore meilleur que le précédent.
Il se permet même d’offrir un chapitre hyper inventif qui joue avec les lecteur·ice·s, où l’on est littéralement incité à faire certaines actions en tournant les pages (retourner le livre, dire ou faire certaines choses), comme s’il s’agissait d’un « livre dont on vous êtes le héros ». C’est vraiment bien amené, et même si ça relève plus du gimmick à l’échelle du livre puisque cet élément se concentre sur un seul chapitre, on sent que l’auteur veut renouveler sans cesse la narration du titre pour éviter de tomber dans un train-train qui ferait du mal à son personnage. Plus encore, c’est les moments où les enfants de Wally sont mis au premier plan, sa fille Irey et son fils Jai, qui offrent les plus beaux instants de narration. On y découvre des gamin·e·s qui apprennent à vivre dans un monde anormal, en tentant à leur manière de jouer un rôle grâce à leur héritage familial et plus précisément, les pouvoirs qu’il et elle pourraient avoir. Un mauvais point toutefois, le style graphique de Fernando Pasarin dont je ne suis pas toujours fan, même si l’aspect très coloré du comics lui donne un certain dynamisme qui sied plutôt bien à l’histoire.
Joker Infinite – Tome 2, peut-on tuer le Diable ?
Pour conclure ce nouvel épisode de notre tour d’horizon des comics DC Infinite, quelques mots sur la suite du Joker. La fatigue face au personnage est bien réelle, pour un super-vilain emblématique de DC qui a été surexploité autant en comics qu’au cinéma ces dernières années. Pourtant, en le récupérant, James Tynion IV a tenté de l’emmener sur de nouveaux terrains dans un premier tome qui racontait une chasse à l’homme, celle enclenchée par le Commissaire Gordon qui, se sentant en fin de carrière, décide de faire ce qu’il n’a jamais réussi : mettre le Joker définitivement hors d’état de nuire. C’est ainsi que se lance une course poursuite à travers le monde, loin de Gotham, avec un Joker qui tente de se faire oublier pendant quelques temps alors que Gordon semble décidé à l’assassiner. Pas désagréable, le premier tome parvenait à être rafraîchissant en sortant du cadre habituel de Gotham, donnant au Joker un côté plus vulnérable, tandis que Gordon était confronté à un questionnement interne sur sa capacité ou non à tuer le Joker, sur le bon et le mauvais, et sur ce qu’un tel acte pourrait bien provoquer de bien ou de mal au final pour son entourage. Cette suite reprend la même dynamique en emmenant les personnages encore plus loin, avec un point réminiscence des actes du Joker et de sa manière de s’en prendre à la famille de Gordon au fil des années, référençant plusieurs comics cultes, parfois avec intérêt, d’autres fois moins. En toile de fond, un grand complot avec une organisation secrète nommée le « réseau », qui semble voir un intérêt dans ce qu’il se passe.
Probablement pas indispensable, Joker Infinite T.2 a au moins le mérite d’essayer de nouvelles choses, même si ce n’est pas ce comics qui va redonner au Joker un véritable intérêt au sein de l’univers DC. Toujours trop unidimensionnel, le personnage est à bout de souffle, et le comics a comme intérêt essentiel le personnage de Gordon qui lui, offre une nouvelle facette de son histoire. Notamment dans l’excellent chapitre tiré du Joker Annual #1 (2021) qui raconte le combat de Gordon contre les ripoux au sein de sa police et sa première réelle confrontation au Joker. Les prémices d’une guerre de plusieurs années, ce qui donne du sens à la fois à la détermination de Gordon à éliminer le joker dans cette série, mais aussi les valeurs qui portent le personnage qui sait au plus profond de lui qu’il n’aura jamais la capacité de tuer de sang froid qui que ce soit, y compris le Joker. Un vrai bon chapitre où les dessins de Francesco Francavilla mettent à l’amende ceux de Guillem March et Stefano Raffaele, sur le reste du comics, qui sont moins marquants. Dans l’ensemble, c’est le sentiment d’être face à un ouvrage assez quelconque qui prédomine, autant visuellement que sur la narration. Pas désagréable à suivre, mais pas aussi pertinent que d’autres séries dont on a parlé précédemment.
- DC Infinite Frontier – Justice Incarnée, Batman Detective Infinite T.2, Flash Infinite T.2 et Joker T.2 sont disponibles depuis cet été en librairie aux éditions Urban Comics.