DC Infinite #23 | Déchéance des icônes

by Anthony F.

L’été approche et ce mois de mai marque un léger ralentissement dans les publications mensuelles de la collection DC Infinite chez Urban Comics. Seuls deux titres ce mois-ci donc mais pas n’importe lesquels, puisque les Detective Comics de Ram V continuent leur bout de chemin dans le quatrième tome de Batman Nocturne, tandis que se lance la série Wonder Woman : Hors-la-loi, où Tom King nous raconte un monde dans lequel les Amazones sont soudainement pourchassées.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Nocturne – Tome 4, ascenseur pour l’échafaud

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Point culminant du Gotham aux airs gothiques, un tantinet mystique, de Ram V, ce quatrième tome dévoile les véritables intentions de la mystérieuse famille Orgham qui tente d’accaparer la ville et ses habitant·e·s : faire disparaître Batman. Après lui avoir mis sur le dos le dernier drame en date qui a touché la ville, Arzen Orgham et sa famille organisent quelque chose d’invraisemblable : la mise à mort du justicier. Considéré comme responsable de l’explosion qui a récemment touché la ville, il est devenu persona non grata, et l’opinion publique ne semble plus considérer comme impossible l’idée de rétablir… l’échafaud, en vue d’une pendaison publique du Chevalier Noir. Personne ne semble initialement y croire, ni l’ancien commissaire Gordon qui est averti par une Catwoman qui va tenter de le sauver, pas plus que la nouvelle commissaire Montoya qui avoue rapidement être pieds et poings liés par l’influence de la famille sur Gotham. L’auteur fait basculer le récit dans ce que l’on a entrevu depuis les débuts de la série, c’est-à-dire quelque chose de très sombre, avec une ambiance qui mélange les tonalités entre la modernité d’un récit ancré à notre époque, et les thématiques visuelles très gothiques. Evidemment, l’architecture gothique est partie intégrante de celle de Gotham, mais Ram V la traduit dans un récit aux forts accents médiévaux, et dans les dessins de Jason Shawn Alexander dont le trait aspire entièrement les idées de l’auteur pour mieux les servir. C’est, visuellement, l’un des plus jolis tomes de Batman Nocturne, comme s’il s’agissait de l’apogée des idées esquissées parfois maladroitement dans les numéros précédents.

Mise en scène comme un casse, la tentative de libération de Batman passe par l’élaboration d’un plan qui ferait pâlir n’importe quel film de braquage. On y voit une Catwoman recrutant son équipe pour réaliser l’impossible et délivrer celui qu’elle a toujours aimé, pourtant corrompu par un démon intérieur (au moyen d’une “drogue” administrée par les Orgham dans le tome précédent) qui l’empêche de pouvoir lutter lui-même. Croupissant dans sa cellule, il ne peut qu’attendre son exécution qui interviendra trois jours plus tard. Vraiment bien équilibré, appelant à de nombreuses références sur l’univers du Chevalier Noir, ce quatrième tome de Batman Nocturne trouve enfin ce qu’il manquait aux précédents pour véritablement donner corps à toute cette histoire autour des Orgham et des origines de Gotham. Le récit souffre encore de quelques longueurs occasionnelles, mais c’est moins visible qu’auparavant.

Wonder Woman : Hors-la-loi – Tome 1, Reine déchue

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Dans le futur, Damian Wayne, devenu Batman, Jon Kent, qui est Superman, et Trinity, devenue Wonder Woman, vagabondent sur Themiscyra. Cette dernière est la fille de Diana, la Wonder Woman que l’on connaît, mais le monde semble avoir changé. Trinity fait la rencontre d’un vieil homme dans les geôles, et exige de lui des explications sur un évènement qui a vraisemblablement bouleversé le monde : la traque de Wonder Woman. Le vieil homme lui raconte alors un drame survenu une vingtaine d’années plus tôt, un moment qui a vu une mystérieuse Amazone commettre un massacre dans un bar aux Etats-Unis. Elle a assassiné une dizaine d’hommes et laissé vivre les rares femmes présentes. L’évènement idéal pour que ce vieil homme, qui semblait avoir la mainmise sur la politique et les médias locaux, lance une cabale contre les Amazones. Soudain, les médias américains et les politiques décrètent que celles-ci sont les ennemies du peuple, un « Amazon Safety Act » est signé et elles doivent toutes immédiatement se rendre aux autorités, sous peine d’être pourchassées. Un drame alors que Wonder Woman, l’une des plus grandes héroïnes de la Terre, est une Amazone, et qu’elle n’a aucune intention de se rendre de la sorte. Si elle ne cherche pas à s’opposer au pays qui l’a accueilli, elle n’en reste pas moins déterminée à trouver l’Amazone qui a commis un massacre pour comprendre ce qu’il s’est passé, mais aussi découvrir ceux qui tirent les ficelles. Le récit emprunte des thématiques très actuelles, on y voit notamment abordé le sujet de la xénophobie, les Amazones devenant bouc-émissaires de tous les problèmes sociaux et sécuritaires des Etats-Unis. La désinformation est un sujet également, les faits prenant une ampleur considérable et étant expliqués de manière très différentes alors qu’en réalité personne ne sait vraiment ce qu’il s’est passé. Et à cela s’ajoute une pointe de conspirationnisme, les Amazones étant prises dans les délires paranoïaques de certaines personnes. Plus importante encore et c’est une thématique que l’on trouve au centre du récit : la masculinité toxique. Les politiques jouent sur cette thématique pour rallier les jeunes hommes contre Wonder Woman, devenue égérie d’un féminisme « castrateur » et dont les intentions seraient soudainement hostiles aux hommes. On y découvre des discours aux tendances incel, et des leaders politiques qui affirment qu’en chassant les Amazones, il s’agit aussi et surtout de reconquérir une masculinité qui avait été mise au placard.

Surprenante, la narration aborde le personnage de Wonder Woman comme l’héroïne d’un roman, sorte de légende urbaine. Le narrateur de cette histoire étant le mystérieux vieil homme qui a joué un rôle prépondérant dans la chute de Diana, il se permet de raconter son histoire avec dédain, en provoquant Trinity alors qu’il lui raconte l’histoire de sa mère. Cette manière de faire donne un cachet non négligeable au récit, et montre que Tom King est toujours capable de reprendre ses thématiques préférées et les appliquer sans mal aux personnages de DC. Je parle évidemment de son intérêt pour la déconstruction de l’héroïsme, la remise en cause des symboles et de l’américanisme. Il interroge l’icône, mais aussi le personnage derrière le costume. La nature humaine, l’éternel recommencement guerrier, la toute puissance américaine qui ne sait rien faire d’autre que de balancer des bombes à ce qu’elle ne comprend pas. Comme il l’a fait avec beaucoup d’intelligence dans Mister Miracle, Strange Adventures, Supergirl : Woman of Tomorrow, l’auteur récidive et offre l’un des meilleurs comics consacrés à Wonder Woman depuis très longtemps. C’est une réussite assez folle, qui sait même parfois décrocher un sourire derrière la tragédie qui se joue, comme quand avec beaucoup de malice, il joue du vieux concept misogyne de l’hystérie quand il montre une Wonder Woman implacable face à un homme lancé dans une colère hystérique. Et ce faisant il tourne en dérision la vieille idée selon laquelle les femmes ne sauraient maîtriser leurs émotions, en opposition à des hommes à la maitrise de soi exemplaire. Plus encore, c’est un récit superbement mis en image par Daniel Sampere, au sommet de son art, qui se conclut même avec un numéro plutôt drôle où l’on découvre l’enfance de la fille de Diana, Trinity, créée à cette occasion par Tom King. Une enfance à rebondissements où Damian Wayne et Jon Kent doivent jouer les babysitters. Un bon moyen de conclure un tome aux accents tragiques, sans fausser un discours pertinent sur la figure iconique d’une héroïne qui a su rassembler les femmes à travers les âges. Tom King continue de nous ravir. Chaque fois qu’il reprend un personnage DC, il en fait quelque chose d’unique ; et même si les thèmes qu’il aborde sont récurrents, il parvient toujours à les aborder sous un angle nouveau. Wonder Woman n’échappe pas à la règle et s’offre l’une de ses meilleures histoires.

  • Le quatrième tome de Batman Nocturne et le premier tome de Wonder Woman : Hors-la-loi sont disponibles en librairie depuis le 24 mai 2024 aux éditions Urban Comics.

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