Il y a tout juste un an, en janvier dernier, Urban Comics lançait en France la collection Infinite de DC Comics. Nouvelle ère avec un « Omnivers » qui visait à ne plus poser aucune limite à la création, permettant aux auteur·ice·s de pouvoir raconter des histoires sans nécessairement être contraint·e·s par la temporalité de la continuité. Cela a par exemple été très largement exploité par Ram V avec son Swamp Thing, et ce mois-ci par Mark Waid avec l’excellent Batman / Superman World’s Finest dont je parlerai plus bas. Après une année complète au sein de ce nouvel univers, on s’est laissé prendre au jeu et on commence à en comprendre les tenants et aboutissants, mais ce premier anniversaire marque aussi et surtout l’arrivée d’un premier tome de Dark Crisis on Infinite Earths. Un premier grand évènement pour cette nouvelle continuité, où DC Comics reprend sa tradition des grandes « crises » traversées par ses héros et héroïnes dans des affrontements épiques qui mettent en jeu leur avenir.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
Robin Infinite – Tome 3, loin des parents, près du cœur
Après les événements de Shadow War, où le jeune Damian Wayne a vu ses parents Batman et Talia Al Ghul se traquer, décide se s’éloigner d’eux pour se forger son propre avenir et se construire seul. Un énième moyen pour Robin de rejeter l’autorité, comme le personnage l’a toujours fait. Un jeune héros en rupture avec les autres personnages qui incarnaient le rôle de Robin, souvent comme simple sidekick de Batman, la faute à une relation extrêmement compliquée avec son père biologique. Son besoin de s’éloigner le renvoie vers l’île de Lazare où il retrouve ses compères du tournoi raconté dans le premier tome, avec une nouvelle intrigue qui se lance avec un Lord Death Man, grand méchant presque parodique, qui arrive avec des airs de catastrophe en disant que Flatline, avec qui Robin flirtait dans les tomes précédents, tente de l’assassiner. Plutôt léger malgré une intrigue en toile de fond qui devrait avoir une importance assez capitale pour son univers (comme ce sera suggéré dans Batman / Superman World’s Finest, sans trop en dire), ce troisième tome de Robin Infinite profite d’un léger temps de « pause » post-Shadow War pour raconter ses personnages avec un peu plus d’humour, plus de bonne humeur, même si cela lui accole l’image d’un récit plus dispensable que les deux précédents. En effet, les deux premiers tomes profitaient d’une montée en intensité au fil des numéros pour mettre en place les enjeux de l’évènement Shadow War. Tandis que ce troisième tome, comme une sorte de sas de décompression, ramène ses héros et héroïnes à un quotidien plus léger, sans urgence ni grande bataille, où un nouveau mystère épaissit en toile de fond sans provoquer encore de grand bouleversement. On n’en gardera probablement pas grand chose, mais ça reste une lecture agréable qui permet au récit de respirer, mais aussi d’apporter plus d’humanité à un Damian Wayne qui souffre parfois de son air renfrogné.
Certes Joshua Williamson est sur des rails, mais on sent bien l’amour qu’il porte au personnage et son envie d’en faire un protagoniste essentiel dans l’univers Infinite qu’il chapeaute depuis le début. Cependant j’ai plus de mal avec les dessins de Roger Cruz, dont le style peine souvent à me convaincre avec des visages pas toujours réussis, tandis que la colorisation manque de relief. Côté contenu, Urban Comics en profite pour proposer à la fin un numéro spécial où Peter Tomasi et Viktor Bogdanovic réunissent à nouveau Damian Wayne et Jon Kent, en souvenir de l’excellent Super Sons de l’ère précédente. Un numéro sympathique teinté de nostalgie, qui rappelle d’autant plus les regrets que l’on a que la série n’existe plus car la dynamique entre les deux personnages est si facile à mettre en place. Ce numéro prouve que la recette fonctionne encore, même avec un Jon qui est soudainement devenu adulte tandis que Damian est encore un enfant. Malheureusement, DC Comics ne semble pas avoir l’intention de faire revivre ce duo, autrement que dans ce type de numéro bonus.
Batman / Superman World’s Finest – Tome 1, une amitié qui date
On va pas se leurrer, quand DC Comics a annoncé son ère Infinite avec la promesse de laisser une certaine liberté créative à ses auteur·ice·s, leur permettant d’imaginer des récits sans tenir compte de marqueurs temporels de la continuité principale, on espérait des prises de risque avec des comics qui exploreraient autant le passé que le futur des personnages. Si Ram V l’a pleinement exploité avec son Swamp Thing, d’autres ont été plus timides, mais ce n’est pas le cas de Mark Waid qui, en débarquant avec une série réunissant les deux plus grands super-héros de DC, décide de placer son histoire dans un passé lointain. Batman / Superman World’s Finest raconte en effet les origines de l’amitié forte, même si parfois remise en cause, qui lie Batman et Superman. Sans indiquer exactement à quelle époque se déroule le récit, l’auteur donne tout de même de sérieux indices avec une mise en scène, une écriture et un ton qui évoquent très largement l’âge d’argent des comics, c’est-à-dire aux alentours des années 1960-1970. Cela se remarque d’abord par le style des personnages, avec des costumes assez vintage, mais aussi un ton initialement plus enjoué, moins dramatique que le DC Comics moderne, des méchants un peu foufous et des personnages hauts en couleur. A l’image de la Doom Patrol qui joue un rôle central dans le récit. Cela passe aussi par la narration avec ses bulles qui expliquent largement ce qui se passe dans les différentes cases, comme à l’époque où les bulles servaient souvent à insister et mettre en valeur chaque faits et gestes des personnages. Le personnage de Robin (ici Dick Grayson avant qu’il ne devienne Nightwing), aussi, fleure bon le comics d’antan, tant il occupe le rôle de celui qui n’est là que pour constater les talents de Batman et Superman avec des répliques bien senties. Un rôle qui, toutefois, évolue à mesure que le récit retrouve une forme de modernité.
Car Mark Waid ne s’est pas limité à un hommage facile à l’âge d’argent, décidant de lier l’époque à quelque chose de plus contemporain. Une modernité que l’on trouve par exemple dans les scènes réunissant Supergirl et Robin, obligé·e·s de faire équipe alors que les deux n’en ont clairement pas envie. L’occasion de quelques répliques assez drôle, accentué par les dessins de Dan Mora qui offre des expressions comiques à ses personnages. La modernité passe aussi par le rythme de l’histoire qui s’étale sur plusieurs numéros tandis qu’à l’époque, les histoires étaient plus courtes. Avec ici un dénouement dans un ton de notre époque, qui rappelle toute l’intensité dramatique à laquelle tient tout particulièrement DC Comics dans ses récits depuis un bon bout de temps. Mais c’est fait avec un aspect visuelle qui reprend aussi les couleurs d’antan, un peu kitsch, avec une colorisation de Tamra Bonvillain aux couleurs chaudes qui évoquent l’impression des années 1960-1970. Batman / Superman World’s Finest est un super comics, ce premier tome frappe assez fort en offrant une belle fraîcheur aux histoires des deux héros les plus populaires de DC, leur offrant un ton plus léger avant de faire plonger l’histoire vers quelques scènes dramatiques très réussies. Le comics séduit par sa manière d’essayer quelque chose de différent, sans se soucier de l’ambiance habituelle et quelque peu lassante des comics DC.
Dark Crisis on Infinite Earths – Tome 1, le grand évènement
Chez DC, les « crises » sont des grands événements intervenus plusieurs fois, qui venaient remettre en cause tout l’univers : Crisis on Infinite Earths, Infinite Crisis, 52, Multiversity, Flashpoint, ou encore plus récemment Doomsday Clock, Metal et Death Metal (qui ont mené à cette ère Infinite). À ce titre, l’annonce d’un nouvel évènement génère toujours de l’espoir de voir quelque chose d’important et de monumental, même si certains évènements ont déçu (qui a dit Death Metal ?). Avec l’ère Infinite et sa promesse, celle de rétablir l’ensemble des univers alternatifs depuis la création de DC pour former un « omnivers » où cohabitent toutes les histoires, sans que ne soient posées de limites, Joshua Williamson, qui chapeaute le grand récit de cette ère, a fait un choix important. Dark Crisis on Infinite Earths s’ouvre sur d’autres crises, à commencer par la toute première, Crisis on Infinite Earths dans les années 1980. En se rappelant à ces anciennes crises, le récit admet, et affirme même, que ces évènements du passé ont un rôle à jouer pour le futur de nos super-héros et super-héroïnes. Est-ce une bonne idée ? Peut-être, parce qu’on prend mine de rien un malin plaisir à voir toutes les références à ces évènements qui ont forgé l’histoire de DC, notamment dans un premier numéro qui opère un bref rappel historique de ces précédentes crises, notamment avec le rôle de Paria dans la crise originelle qui, on le comprend vite, joue également un rôle central dans cette nouvelle crise. Tout débute quand la Ligue de Justice est convoquée à la maison des héros (sorte de sanctuaire où réside la Ligue de Justice Incarnée qui veille sur l’omnivers) par le Président Superman (le Superman de Terre-23, vous suivez ?). Soudainement tués par une menace incarnée par les « grandes ténèbres », sorte d’émanation d’un mal qui tente de détruire le monde, les membres de Ligue de Justice (Batman, Superman, Wonder Woman, Aquaman, etc…) laissent alors orpheline une Terre-0 qui n’a plus que ses jeunes héros et héroïnes, à la tête desquels Jon Kent (le fils de Superman) et Nightwing, pour tenir le coup. Et il y a fort à faire, parce qu’outre les dangers annoncés par Paria et l’espoir très mince de voir renaître les plus puissant·es du monde, Slade Wilson (Deathstroke) en profite pour tenter de s’accaparer le pouvoir un peu partout dans le monde.
Le récit prend alors une tournure plutôt réussie, dans un premier tome qui se concentre essentiellement sur l’apprentissage de jeunes héros et héroïnes qui doivent incarner plus que jamais les rôles de protecteur·ices de la Terre-0, apprenant que Paria la vise pour la détruire et, peut-être, faire revivre son propre monde, détruit lors de la crise originelle des années 1980. Plus que ces considérations d’omnivers, le récit fait fort en ce qu’il aborde ces questions de responsabilités qui pèsent sur des personnages qui étaient habitués à être de seconds couteaux, toujours dans l’ombre des « stars » de la Ligue de Justice. C’est ainsi que Nightwing doit assumer le rôle protecteur de Gotham, Jon Kent doit plus que jamais être le Superman de la Terre, tandis que Yara Flor doit être la nouvelle Wonder Woman, à sa manière. Les Teen Titans jouent aussi un rôle central, dans un évènement qui ne manque pas d’offrir à tous ces personnages un rôle plus important qu’auparavant. Un bémol peut-être, sur le personnage de Paria, réduit à l’image de « savant fou » alors que son histoire semble tout particulièrement dramatique. Alors qu’il a tout perdu lors de l’évènement Crisis on Infinite Earths dans les années 1980, il raconte avoir été condamné à vivre et revivre des crises et catastrophes sous ses yeux depuis des décennies, alimentant la violence qu’il déchaîne aujourd’hui en se servant des mystérieuses « grandes ténèbres » qui lui confèrent un pouvoir démentiel sur quelques uns des vilains les plus importants de cet univers (comme Arès, Darkseid et Doomsday). Mais ça promet, et ce premier tome offre une approche intéressante sur ces « crises » qui ont généré quelques uns des plus grands moments de DC depuis 40 ans, avec beaucoup d’émotions, une belle intensité dramatique et des enjeux qui se placent très bien. Alors on espère que la suite sera d’aussi bonne facture.
- Robin Infinite T.3, Batman / Superman World’s Finest T.1 et Dark Crisis on Infinite Earths T.1 sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.