En janvier 2022 sortaient les premiers tomes de l’ère Infinite, énième relance de l’univers DC Comics chapeauté par un Joshua Williamson tout puissant. Le temps passe vite et nous voilà à la fin de l’année, après une année à couvrir sur Pod’culture les sorties mensuelles de cet univers. Avec des hauts et des bas, il en est quand même ressorti pour l’essentiel de bonnes choses, même si le nombre de récits marquants reste très limité. Et il est temps de conclure cette première année avec quatre tomes des différentes séries déjà commencées plus tôt dans l’année, en plus du tome consacré à Shadow War, évènement réunissant la Bat-family qui a été annoncé dans les séries Robin Infinite et Batman Infinite dernièrement.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
Batman Detective Infinite – Tome 3, la tour infernale
Suggérée dans de précédents comics, l’intrigue sur la Tour d’Arkham, qui remplace l’Asile d’Arkham détruite au début de l’ère Infinite, se lance enfin. Cette immense tour post-moderne apparaît vite comme une bombe à retardement. Sans surprise, c’est l’aura malfaisante d’Arkham qui plane sur la tour, avec un étrange personnage nommé Dr. Wear, déterminé à prouver que les super-vilain·es peuvent se repentir. Une promesse d’une rédemption quasiment religieuse qui permet à celui-ci de se voir promettre un financement considérable pour son institut au sein de la Tour d’Arkham par la ville de Gotham, à condition qu’il puisse prouver l’efficacité de sa méthode pour remettre les criminel·les sur le droit chemin. Et ça semble fonctionner puisque l’on découvre des ennemi·es célèbres de l’univers de Batman qui sont métamorphosé·es. Pourtant quelque chose semble clocher, et c’est ce qui pousse la Bat-family, menée notamment par Batwoman et Batgirl (dans son rôle d’Oracle) à infiltrer la Tour. On réalise vite que tous les pensionnaires parlent de films, ce qui génère une multitude de questions, mais surtout ce comics remet vite en scène le malaise que créé l’histoire d’Arkham. Tout en cherchant à découvrir la vérité sur le traitement miraculeux du Dr. Wear, qui pourrait ou non être une machination, le comics pose peu à peu une ambiance malsaine qui remet peu à peu en cause les certitudes initiales sur la Tour. C’est une progression extrêmement efficace de la narration qui le permet, avec une écriture toujours aussi précise d’une Mariko Tamaki qui fait encore et toujours un bien fou à Detective Comics.
Et cela offre un comics absolument succulent. Le malaise laisse place à la peur, une horreur prégnante dans de nombreuses scènes où l’on découvre un « mal absolu » inhérent à l’héritage d’Arkham, que la Tour ne peut effacer. Particulièrement maline, la mise en scène touche autant qu’elle effraie, profitant de l’imaginaire que Mariko Tamaki a mis en place autour de cette Tour, des fantasmes qu’elle génère, confondant réalité et imaginaire, jusqu’à un dénouement peut-être un peu moins réussi mais qui est somme toute logique au regard du développement de son histoire. Visuellement, c’est également une réussite, avec les différentes ambiances (espoir, déni de réalité, horreur…) mises en valeur à mesure que les protagonistes découvrent la vérité sur la Tour. Enfin, le tome s’agrémente d’un épisode back-up qui raconte le destin d’un gamin, victime du Joker, qui s’est retrouvé à l’asile d’Arkham il y a de nombreuses années. Un récit qui met un point final pertinent à cet arc autour de la Tour, puisqu’il permet de raconter l’enfer que représentait Arkham (que ce soit sous la forme d’un asile loin de la ville ou d’une tour) et son rôle dans la « fabrication » de criminel·les. Sans forcément tomber dans un propos politique, on sent tout de même que le comics a dans un coin de la tête les débats et critiques contre le système carcéral américain qui transforme des innocent·es en criminel·les.
Harley Quinn Infinite – Tome 3, la cerise sur le gâteau
Alors qu’elle est toujours sur la voie de la rédemption, Harley est accusée à tort d’un assassinat sordide et se retrouve jetée à Blackgate. Ce qui apparaît comme un échec pour celle qui tente de rejoindre le camp des « héros » depuis quelques années dans l’univers DC n’est en réalité qu’une occasion pour Stephanie Phillips d’aborder, de manière frontale, le business carcéral américain où l’on n’a aucun scrupule à jeter des innocent·es en prison afin de faire fructifier un business qui rapporte chaque année beaucoup d’argent. Un milieu où se confond gestion publique et privée, et où ses gestionnaires génèrent un « pognon de dingue » à condition de remplir ses locaux. Harley apparaît ici comme un victime, victime d’une machination qui tente de la ramener à ses origines criminel·les sans lui laisser le temps de s’expliquer. Et c’est un choix narratif malin, pour un troisième tome qui a tout d’une conclusion d’un long premier arc débuté dans le premier tome, où Harley Quinn tire un trait sur son passé, s’extirpant de ce nouveau séjour en prison en incarnant ce qu’elle est aujourd’hui : une bonne personne. Sous forme d’un récit où elle évoque tout ce qu’elle a traversé depuis qu’elle a fait le souhait de passer du bon côté, le comics nous mène doucement vers une conclusion émouvante, où quelques paroles font du bien et laissent espérer le meilleur pour un personnage devenu terriblement attachant. Si Harley Quinn a été souvent maltraitée par la pop culture avec ses nombreuses évocations en comics, dans des produits dérivés ou au cinéma, le personnage est aujourd’hui célébré sous une forme plus humaine, moins objectifié et raconté sous un angle plus intéressant.
Sorte d’apothéose à un récit déjà très accrocheur sur les deux premiers tomes, ce troisième, qui conclut un premier arc en attendant la suite, est excellent du début à la fin. Très bien écrit et rythmé par Stephanie Phillips dont le style a gagné en précision et en pertinence au fil des numéros, le comics inspire une certaine tendresse, pas uniquement pour Harley, mais aussi pour tous les autres personnages qui ont rencontré sa route jusque là et qui continuent de la soutenir en dépit d’une situation compliquée où tout l’accuse de crimes ignobles. Cette tendresse est aussi due au travail de Riley Rossmo, dont la patte graphique est l’une des meilleures choses du comics, avec son air très cartoony qui met en valeur l’univers coloré de Harley tout en constituant un contraste avec la dureté des thèmes abordés. Mais le comics impressionne aussi pour son découpage très intéressant, qui s’affranchit des limites des cases classiques pour réaliser quelque chose de plus atypique, plus osé, qui célèbre autant l’inventivité du duo formé par Stephanie Phillips et Riley Rossmo que l’univers chaotique et un peu foutraque de Harley Quinn. Car le personnage n’a jamais été dénaturé : malgré son envie et sa détermination à changer de camp, Harley reste bien le personnage haut en couleurs et un peu foufou que tant de monde a appris à aimer.
Superman Son of Kal-El – Tome 2, des choses à prouver
Superman Son of Kal-El était avec son premier tome une bonne surprise. Il y avait quelque chose de rafraîchissant dans les aventures de Jon Kent, fils de Superman, qui avait bien grandi depuis l’ère Rebirth de DC Comics. Très intéressé par des problématiques modernes, notamment celle du réchauffement climatique, ainsi que questionné sur son identité et son homosexualité, le personnage se démarque à sa manière de ce que représente son père. Et cette suite continue d’évoquer les questions posées aujourd’hui par la jeunesse, notamment et encore une fois celle du réchauffement climatique; qui frappe Metropolis de plein fouet en ouverture de ce tome avec une immense créature des profondeurs de l’océan qui débarque alors que son habitat naturel est désormais invivable. Sa manière d’aborder des problèmes contemporains avec la fougue de la jeunesse de Jon Kent et de son compagnon Jay Nakamura est rafraîchissante, le comics montre une vraie détermination à faire le liant entre les valeurs d’un héros « d’hier » (Superman) et celles d’un héros « d’aujourd’hui » (Jon Kent, devenu lui aussi Superman). Il récupère de son propre père des valeurs intemporelles, et y incorpore des considérations plus actuelles, encore plus avec l’histoire de Jay, son compagnon, qui se révèle être un réfugié politique, souvent maltraité par le pays qui l’accueille. Tom Taylor est un super scénariste alors on pourrait être plus exigeant sur sa manière d’aborder c’est sujet, car il le fait avec facilité et parfois sans grande subtilité, mais c’est toujours fait de manière pertinente, et cela sert pleinement une intrigue très rythmée, qui se mêle à l’occasion de deux chapitres à celle de l’excellent Nightwing Infinite.
La quête de pouvoir de Jon Kent, qui passe par l’acceptation de ses propres capacités face à l’héritage de son père est un véritable miroir pour sa propre identité. Certes, l’homosexualité de Jon Kent n’est pas traitée comme un sujet à débat, comme le montre son coming out auprès de sa mère qui se contente de lui faire comprendre qu’elle s’en doutait avant de vite passer au sujet suivant, mais elle constitue tout de même une part de son identité qui motive son comportement et qui lui donne une force supplémentaire au moment d’affronter un simili-Lex Luthor dans une mise à l’épreuve intéressante. Sorte d’émanation du passé, ce nouveau grand méchant tout à fait quelconque incarne un mal absolu comme le faisait l’ennemi traditionnel de Superman, mais Jon Kent lui oppose l’incarnation de valeurs modernes, dans la continuité de son père, sans rupture. On comprend vite que Tom Taylor veut raconter son personnage comme une suite logique du père, avec simplement des priorités, des sujets et des valeurs qui ne sont plus celles d’un super-héros né en 1938. Sans être aussi bon que le premier tome, cette suite a le mérite d’assumer pleinement un personnage qui doute un peu plus que son père, qui se cherche, et qui trouve finalement ses propres raisons de se battre pour voler de ses propres ailes et ne plus rester dans l’ombre de son père. Un bémol toutefois pour les dessins qui, dans l’ensemble, sont trop classiques et souffrent de la comparaison avec les deux épisodes de Nightwing Infinite inclus dans l’histoire.
Swamp Thing Infinite – Tome 2, l’enfer technologique
La créature du marais, après les événements du premier tome la liant à l’Inde, se trouve opposée à des émanations des erreurs de l’humanité, des entités qui incarnent le pire. Très métaphysique, le Swamp Thing de Ram V nous emmène dans une sorte de confrontation entre la nature, incarnée par la créature du marais, et la technologie, incarnée par une entité mystérieuse. On y trouve tout un propos sur les machines de l’homme, la consommation et l’industrie qui le mènent à sa perte et pousse la nature, autant la créature du marais que d’autres créatures croisées dans le comics à cette occasion, à se rebeller pour reprendre ses droits. Cette opposition entre la nature et la construction humaine n’a rien de nouveau, mais Ram V l’aborde avec sa propre sensibilité, entre un caractère horrifique évident et un mysticisme quasi religieux. Parfois difficile à suivre, sa réflexion apporte toutefois à Swamp Thing un caractère novateur, qui pioche dans l’imaginaire de ses prédécesseurs tout en lui apportant son propre univers. Très beau et contemplatif, son récit manque parfois d’un petit quelque chose en plus. De rythme peut-être, pour une œuvre qui prend largement son temps en étant très bavarde autour de concepts parfois alambiqués. Si j’ai été considérablement charmé par le premier tome à sa sortie, cette suite m’a fait un effet différent : plus beau encore visuellement, mais moins accrocheur. La faute à un auteur qui se perd parfois dans des idées très diverses lâchées comme un cheveu sur la soupe sans toutefois en dire grand chose, avec quelques dialogues qui relèvent plus de l’exercice de style qu’autre chose. Ce qui est surprenant pour lui, alors qu’il a déjà montré maintes fois sa capacité à raconter des concepts métaphysiques avec pertinence.
Pourtant on se laisse prendre à la lecture car son personnage, Levi Kamei, est très bien écrit. Plus qu’une personnalité, celui-ci incarne une idée qui motive et qui alimente la créature du marais. Ram V s’attarde assez peu sur l’homme qu’est Levi Kamei, lui qui ne fait qu’incarner l’avatar de la nature. Il le raconte plutôt au travers de ce qu’il peut faire avec son pouvoir et ce qu’il veut réellement en faire. Toujours imprégné de ses origines indiennes, notamment avec le conflit esquissé dans le premier tome sur le village d’origine du héros aux prises avec ceux qui s’en prennent à la nature, ce deuxième tome fait un parallèle entre sa terre natale devenue « impure » par les profanations de ceux qui détruisent la nature, et ceux qui propagent les constructions humaines (avec des villes bétonnées, des usines désaffectées…) au mépris de l’environnement. Si le fond de la réflexion est terriblement intéressante, il manque toujours ce petit supplément d’âme pour en faire une œuvre référence. Pourtant Mike Perkins se déchire au dessin, offrant au récit de Ram V quelques unes des plus belles planches de ces dernières années sur la continuité de DC Comics. Son dessin est presque vivant, organique, fouillé et bourré de détails, donnant corps à l’imaginaire de l’auteur. Il y a donc une petite pointe de déception face au Swamp Thing de Ram V que j’attendais si impatiemment. Déjà terminé avec ce deuxième tome qui sert de conclusion, il a parfois esquissé tout le talent qu’on lui connaît, tandis que Perkins a pleinement tenu son rôle sur la patte visuelle. Mais j’en espérais un peu plus, quelque chose de plus marquant et décisif, pour un personnage de DC qui correspond parfaitement à l’imaginaire de l’auteur. C’est très bien, mais j’espérais peut-être un chef d’œuvre.
Batman : Shadow War, thérapie familiale
Nous y voilà enfin. Pour conclure l’année, Urban Comics cale le grand évènement chapeauté par Joshua Williamson, qui a été annoncé dans les précédents tomes de Robin Infinite et Batman Infinite. On parle de Shadow War, une guerre opposante la Ligue des Ombres de Ra’s al Ghul à Deathstroke. Dès le début, Ra’s est assassiné, vraisemblablement par Deathstroke, mais en réalité il s’agit en réalité d’une autre personne, vêtue d’un ancien uniforme du tueur à gages qui était presque à la retraite. Malheureusement, Talia al Ghul n’a pas encore cette information, elle déchaîne alors les forces de la Ligue des Ombres pour retrouver Deathstroke et l’assassiner, ainsi que toutes celles et ceux qui tenteraient de le défendre. Derrière cette entrée en matière très bateau se cache en réalité une histoire familiale, où Talia se rapproche de Robin (Damian Wayne), son fils né de son union passée avec Batman. Les deux partent en chasse pour venger le père de Talia, et donc grand père de Damian, tandis que Deathstroke va tenter de prouver son innocence avec l’aide de Respawn puis Ravager, son fils et sa fille aperçus dans les précédents tomes de Robin Infinite. Ce côté familial, avec l’opposition des deux camps, amène quelques scènes franchement intéressantes qui abordent les relations compliquées de Damian avec son père et sa mère, ainsi que la douleur de Deathstroke (Slade Wilson) qui n’est jamais parvenu à trouver une véritable relation familiale avec ses enfants. Véritable miroir de la haine que porte Damian à son père Bruce Wayne, le ressentiment des enfants de Slade Wilson (notamment sa fille Ravager) pour leur père est un moteur à l’histoire, qui parvient à trouver un bon équilibre entre les scènes d’action plus classiques où la Ligue des Ombres met le bordel un peu partout pour débusquer celui qui constitue le coupable idéal, et des scènes plus intimistes où Joshua Williamson fait ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire raconter le socle familial qui permet à ces héros·ïnes de tenir dans les moments les plus sombres.
Et il offre un récit super rythmé mais surtout très agréable à lire, où ce super équilibre trouvé lui permet de développer son Shadow War sur l’ensemble du tome sans superflu, même si la toute fin est moins réussie à cause d’un dénouement un peu facile (mais qui a le mérite d’ouvrir sur autre chose). Il parvient à s’intéresser à la plupart des acteurs·ices de cette histoire sans traîner dans un récit à rallonge (qui fait quand même 280 pages), avec une tendresse certaine pour l’ensemble des personnages, y compris les antagonistes qui apparaissent souvent sous un lumière très humaine. Il n’y a d’ailleurs pas nécessairement besoin d’avoir lu les précédents comics de l’ère Infinite pour lire ce Shadow War : si avoir lu le reste (notamment les Robin Infinite) est un plus pour l’intérêt que l’on porte aux personnages, cela reste un récit type « blockbuster » qui se lit bien tout seul avec un début, un milieu et une fin. Le seul bémol que je poserai à ce comics est relatif plutôt aux dessins. Comme souvent avec ce type d’évènement, chaque épisode est dessiné par un·e artiste différent·e, avec son lot de styles et de sensibilités qui peuvent ou non nous plaire. Ainsi, certains chapitres paraissent inévitablement plus faibles que d’autres, même s’il y a une belle cohérence de ton et de couleurs qui est maintenue d’un bout à l’autre, ce qui n’est pas toujours une évidence pour ce type de projet. Bref, Batman Shadow War est une œuvre « popcorn » qui se lit avec plaisir sur ce mois de décembre pour conclure une première année de publications DC Infinite. On attend maintenant avec une impatience non dissimulée la suite en espérant une année 2023 aussi riche.
- Les comics DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.