Alors que l’on sort à peine de la collection Infinite après trois années intenses, Urban Comics propose la collection DC Absolute. En attendant l’arrivée très prochaine de « Prime » collectionnant la continuité « All-In » qui fait suite à Infinite, cette collection Absolute est le fruit d’une idée pas vraiment atypique mais forcément intrigante du côté de DC, celle de réécrire les mythes de la trinité Wonder Woman – Batman – Superman sous un angle plus noir, plus intense, dans un univers alternatif, un elseworld, où ces trois là ne sont pas celle et ceux qu’on connaît. Les premiers tomes sont déjà sortis et offrent une approche vraiment différente de la continuité, avec une liberté créative plus grande encore pour les auteur·ices.
Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
Absolute Wonder Woman – Tome 1, l’Amazone des enfers
Écrite par Kelly Thompson (qui a écrit Birds of Prey notamment) et dessiné par Hayden Sherman, cette Wonder Woman ne partage que peu de choses avec celle que l’on connaît habituellement. Si elle tente d’incarner, avec difficulté, des valeurs d’amour et de sagesse, et qu’elle a également croisé la route de Steve Trevor, ses origines elles diffèrent complètement et ont un impact direct sur ce qu’elle est. Non pas élevée sur l’île des Amazones, qui ont été bannies par les Dieux, elle a été élevée plutôt par Circé au sein des enfers. Jetée là par les Dieux alors qu’elle était bébé et la dernière Amazone encore en vie, elle a grandi au milieu de l’adversité, repoussant les menaces alors qu’elle ne marchait pas encore, et faisant déjà preuve d’une vraie pureté d’âme. Mais cette vie en enfer l’a aussi poussée à maîtriser la magie du sang, à réaliser un sacrifice qui marquera le reste de sa vie, et à connaître déjà les limites de déités qui agissent aussi parfois par haine. Cette Wonder Woman, plus guerrière que jamais, plus Xena ou Red Sonja que déesse, incarne autant l’espoir que la peur aux habitant·es de Gateway City quand elle débarque pour la première fois au moment où une créature des enfers tente d’y déchaîner sa fureur. Cette incarnation de Wonder Woman, complètement différente de celle à laquelle on est habitué·es, n’en reste pas moins pourtant une personne motivée par l’amour et le besoin de défendre la veuve et l’orphelin, même si ses méthodes ont bien changées. Armée d’une épée gigantesque qui semble avoir été empruntée à Guts de Berserk, avec un lasso qui lacère son ennemi plutôt que pour lui arracher une quelconque vérité, le bras tatoué avec du sang, la guerrière peine à se faire entendre par les autorités qui ne comprennent pas ce qui se passe, mais elle en impose pas moins son aura, incontestable.
Cette réécriture du mythe de Wonder Woman a d’intelligent qu’il s’évade de la vieille iconisation d’une héroïne à l’ancienne parfois un peu dépassée. Si on aime profondément ce qu’elle incarne et son importance dans la représentation féminine chez DC à une époque où les personnages féminins étaient peu nombreux, c’est aussi bon de voir une incarnation différente, plus féroce, prenant l’ascendant sur l’image qu’on lui impose et déchaînant une violence apprise en enfer. Si le récit ne se situe pas sur la continuité de l’excellent Wonder Woman : Hors-la-loi de Tom King, il y a un vrai plaisir à lire ce récit juste après lui, tant les deux comics opèrent deux représentations différentes de la même héroïne mais en appelant à quelques concepts communs avec une exécution différente. Comme le besoin infaillible de Wonder Woman d’aider son prochain, sa compassion et sa détermination à se battre jusqu’à la mort. Je reste néanmoins plus mesuré sur les dessins, le style de Hayden Sherman manquant parfois d’impact. Surtout dans un récit qui emprunte à l’imaginaire kaiju japonais avec l’immense monstre et le combat final dantesque, qui aurait mérité d’un peu plus de rythme et de folie.
Absolute Superman – Tome 1, le baroudeur
S’il y a bien un mythe de DC qui n’a pas beaucoup bougé avec le temps, c’est celui de Superman. Souvent caricaturé en boy scout, le gendre idéal à la vie civile est un super-héros au sens le plus pur quand il est en costume. Incarnant des valeurs familiales, le défenseur de la veuve et de l’orphelin est toujours décrit comme parfait, avec une morale impeccable rarement mise à défaut. Pour ce Absolute Superman censé renverser les codes, Jason Aaron s’empare du personnage et l’éloigne de tout ce qui a toujours permis à Clark Kent, l’alter ego civil de Superman, d’être l’homme « parfait » et sans faille. Pas de famille d’accueil Kent, qui ne semble plus en vie, pas d’histoire d’amour avec Lois Lane, pas d’amitié avec Jimmy Olsen, ce Superman là est un jeune baroudeur qui explore le monde et met ses pouvoirs au service des peuples sans défense, avec férocité et violence contre son ennemi Lazarus Corp, une société capitaliste et paramilitaire qui exploite les pauvres pour ses propres profits. Si Superman reste le même défenseur des plus faibles, ses méthodes diffèrent grandement, et sa personnalité est celle d’un gamin paumé, un jeune dévasté par les horreurs du monde, qui tente tant bien que mal d’aider un peu tout le monde, dans des villes et pays délaissés.
C’est une réinvention maline de Superman, car elle permet de voir évoluer le personnage dans un contexte radicalement différent. Loin des idéaux d’une Amérique fantasmée, le personnage découvre la misère, l’exploitation des travailleur·euses, et ne peut agir face à la violence capitaliste sans déchaîner lui-même une violence qu’on lui connaît assez peu. Et puis, les superbes dessins de Rafa Sandoval donnent beaucoup de coeur à cette histoire, qui ramène les autres personnages habituels de l’entourage du super-héros dans des rôles complètement différents. Comme pour Absolute Wonder Woman, on voit bien que ce projet « Absolute » veut complètement renverser les codes propres à ces personnages d’anthologie, et ça fonctionne très bien. Il lui manque peut-être de prendre un peu plus le temps en racontant les peuples au sein desquels évolue Superman, qui ne sont malheureusement qu’accessoires à son aventure, alors qu’il aurait pu être intéressant de raconter un peu plus la perception du mythe du héros par des personnes qui n’en ont habituellement aucun.
Absolute Batman – Tome 1, Batman désarmé
La réinvention de Batman en Absolute était évidente : c’est un Batman sans le sou, ou presque, qui se présente à nous. Son père n’a jamais été le chirurgien renommé de la haute bourgeoisie de Gotham, au lieu de ça c’était un prof inconnu, mort dans une fusillade au Zoo. Alors Bruce a dû se démerder un peu, apprendre à vivre par lui-même, et surtout à se renforcer physiquement en grandissant pour devenir la chauve-souris qu’on connaît. L’idée d’un Batman fauché n’est pas vraiment nouvelle, d’ailleurs il avait perdu sa fortune dans la continuité récente, mais le fait de le faire grandir dans un Gotham populaire, sans objets high tech et hors de prix pour l’aider dans sa quête, le ramène à quelque chose de très animal. Presque vampirique, terrifiant, il revient aux origines d’un héros qui veut faire peur, qui inspire la crainte chez des malfrats confrontés à un gars prêt à tout, à taper fort et peut-être même plus. Représenté avec de gros muscles, quasiment caricatural, féroce, ce Batman de Scott Snyder n’est pas très subtil (mais la subtilité n’existe pas chez Snyder), mais elle est efficace, et s’insère très bien dans ce projet visant à montrer ces icônes de DC sous un angle radicalement différent. On voit Batman évoluer avec ses amis, pour la plupart des personnes qui sont devenues méchantes dans la continuité principale. On le voit haïr la haute bourgeoisie, lui reprocher tous les maux de sa ville, offrant au personnage une dimension plus populaire, plus proche du peuple. C’est presque l’antithèse du héros tel qu’il existe depuis des décennies.
Si on peut lui reprocher la facilité de son approche, consistant essentiellement à inverser la situation habituelle du Chevalier Noir, Scott Snyder n’en reste pas moins un auteur efficace qui propose un récit accrocheur, même s’il ne peut pas s’empêcher de mettre des pics sur le dos de Batman, comme s’il n’avait jamais oublié son Batman Metal (que j’aimerais oublier, pour ma part). Surtout, il profite du travail de Nick Dragotta aux dessins, toujours juste, et qui a l’air de bien s’amuser avec ce Batman massif, un peu underground, libéré du carcan habituel. Ça ne prend pas la route d’un très très grand récit, mais on devrait quand même pas mal s’amuser, et c’est déjà le cas dans ce premier tome. Vivement la suite.
- Les comics de la collection DC Absolute sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.