Crysis Remastered Trilogy | Terreur dans la jungle

par Anthony F.

Quand on parle de Crysis, on évoque beaucoup de choses. Pour certain·e·s, c’est le souvenir d’un FPS plutôt dynamique et plein de petites idées, avec une pelletée de pouvoirs transformant notre héros survivant en chasseur sur une île de la mer des Philippines, où des Nord-Coréens semblaient avoir fait des découvertes importantes dans des vieilles ruines. Pour d’autres, Crysis n’était qu’une vitrine technologique réalisée par Crytek, destinée à vendre le CryEngine 2, son moteur de jeu maison qui venait bouleverser le marché sur PC. En voyant revenir en cette fin d’année la Crysis Remastered Trilogy, qui profite des Xbox Series X/S et PlayStation 5 pour proposer un petit upgrade technique aux trois épisodes qui composent la licence, on a eu une terrible envie de s’y essayer afin de voir ce qu’il en reste réellement.

Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un code par son éditeur. Les trois jeux ont été terminés sur Xbox Series X en 5 à 8h par jeu.

Classique malgré lui

© 2021 CRYTEK GMBH. ALL RIGHTS RESERVED.

Quand on regarde en arrière, on se rend compte que la licence Crysis cristallise à la fois les bonnes choses mais aussi les dérives de son époque. D’abord, le premier épisode était un immense bouleversement technique : aucun autre jeu de tir à la première personne n’avait été capable de proposer une qualité visuelle de cet acabit. Des légendes ont même entourées le titre, notamment avec ces histoires de cartes graphiques qui auraient grillées (voire pris feu !) dans les PC de quelques gamers voyant, supposément penauds, leur tour s’enfumer. D’autres imaginaient des secrets incroyables qui se cacheraient dans l’infinie (en apparence) jungle qui constitue le terrain de jeu du premier titre, avec notre héros pris au piège de Lingshan, un archipel fictif en mer des Philippines. Mais aussi, Crysis était l’un de ces très nombreux FPS d’une génération qui en compte des milliers, en 2007 et les années qui ont suivies, avec son esprit ultra-militariste où tout problème se règle à coup de fusil à pompe, et où l’on imaginait un futur fait de nanotechnologies capables d’à peu près tout ce que l’on n’avait pas envie de décrire comme de la magie (qui était, alors, devenue presque vieillotte). Une époque où la science-fiction ou pseudo-anticipation était légion dans des univers militaristes qui avaient un peu tous tendance à se ressembler. Enfin, Crysis était malgré tout un moment où tout semblait possible, un moment où Crytek a pu décider que le FPS du futur serait plus qu’un assemblage de couloirs (avant de revenir sur cette idée dans les deux suites), en proposant des niveaux moins balisés et plus vastes, où l’on pouvait approcher les différents campements ennemis de plusieurs manières. Comme ils l’avaient déjà esquissé dans le premier Far Cry en 2004, avant que Ubisoft ne tourne la licence en caricature d’elle-même. Ainsi, le tout premier Crysis en 2007 était un jeu à la fois unique et créé par son époque, mais c’était surtout une manière de dépoussiérer un marché qui avait du mal à évoluer.

Et le jeu est venu avec de bonnes idées : son gameplay est souvent grisant, grâce à des pouvoirs qui fonctionnent encore aujourd’hui manette en main (pardon aux PCistes acharné·e·s !), avec l’invisibilité qui permet de faire des folies dans les campements ennemis, le bouclier qui rallonge l’espérance de vie face aux tirs ou simplement la super-vitesse qui donne de belles occasions d’aller mettre un pain bien senti dans la mâchoire d’un soldat ennemi qui n’a pas eu le temps de comprendre grand chose. Ce sentiment de puissance est exacerbé par une armure futuriste que le jeu dévoile de manière plutôt habile dans sa première heure, avec une mise en scène qui s’inspire considérablement du film Predator de 1987, où l’on découvre vite que les soldats nord-coréens ne seront pas notre souci principal, bien que le « véritable » ennemi ne soit que suggéré pendant plus de la moitié du titre. C’est donc un jeu qui mélange les ambiances avec un talent certain, à tel point que son univers peut apparaître captivant. Malheureusement, on sent les limites d’un titre initialement prévu pour le PC et qui a été porté par la suite sur consoles, car si les pouvoirs sont agréables à utiliser, la visée est périlleuse et demande une certaine précision qui est parfois difficile à obtenir. D’autant plus que même dans son mode de difficulté le plus facile, Crysis peut se révéler assez méchant.

Des suites pour le meilleur, et le pire

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Malheureusement, Crysis avait un côté coquille vide, qui, malgré toutes ses qualités visuelles et de gameplay, tombait vite à plat passé les premières heures. Et le temps ne l’a pas beaucoup aidé car aujourd’hui plus que jamais, ses dialogues qui versent dans la beauferie la plus complète, ses caricatures de personnages féminins et la bêtise de sa narration lui font beaucoup de mal. On pourrait arguer que cela se réfère à la série B qui fleure bon les années 80 et 90, et ce serait certainement vrai, mais les dialogues qui transpirent la virilité mal placée ont quand même tendance à nous pousser à lever les yeux au ciel. Presque régressive, l’histoire peut toutefois se laisser suivre avec une très grosse dose de second degré, en se moquant autant du récit que lui le fait avec nous quand il prend des raccourcis monstres pour avancer dans une histoire qui peine souvent à garder son équilibre. C’est toutefois un jeu que je peux être tenté de conseiller, car il constitue une véritable étape charnière dans le jeu vidéo moderne, et ce remaster lui fait honneur avec un superbe travail sur l’éclairage et les textures qui met en valeur des éléments qui étaient déjà très en avance sur leur époque. La gestion dynamique des impacts, par exemple, avec les arbres les plus fins qui se brisent sous les balles, reste un élément d’immersion impressionnant quand les combats prennent place dans une jungle à l’ambiance tout à fait inquiétante. L’introduction, lente mais maline, des véritables ennemis (sortes d’extraterrestres) est par ailleurs encore aujourd’hui un véritable exemple de narration.

Les deux épisodes suivants sont ensuite sortis dans un relatif anonymat : si les jeux ont eu leurs adeptes, ils n’ont pas marqué le public, faute d’apporter beaucoup de nouveauté. Pire encore, à partir de Crysis 2, la licence s’est refondue dans un moule plus attendu avec une structure en couloirs et donc très linéaire, avec une succession de scènes à l’allure hollywoodienne qui, certes, en mettait plein la vue, mais qui laissait moins de liberté dans l’approche des situations. Pourtant, avec le recul, Crysis 2 est peut-être le jeu le plus solide du lot. Si j’en gardais un mauvais souvenir, il s’avère aujourd’hui, en le terminant une nouvelle fois via ce remaster, que le titre proposait de sacrés bonnes choses avec un gameplay plus solide et intéressant à jouer, en réutilisant les mêmes pouvoirs mais en permettant plus de libertés dans les enchaînements pour finir par déchaîner de véritables « combos » mélangeant l’invisibilité, super-vitesse et bouclier pour éliminer les ennemis en un temps record. Côté histoire, le jeu est aussi mieux raconté, même si son histoire peut se révéler très anxiogène à notre époque, notamment dans les premières missions où l’on découvre des corps empilés dans les rues et dans des hôpitaux militaires improvisés sous des tentes, la faute à une mystérieuse maladie qui se répand très vite dans la population. Les personnages, secondaires notamment, sont plus intéressant·e·s, à l’image d’une militaire et d’un scientifique mi-complotiste mi-génie, le jeu faisant table rase de certains éléments du premier qui étaient moins réussis. Toutefois il conserve une certaine continuité dans l’histoire, ce qui permet de développer des choses qui semblaient secondaires dans le premier épisode. Il ne faut toutefois pas trop lui en demander : Crysis 2 est, comme son prédécesseur, un jeu bourré de dialogues qui ne volent pas bien haut où la masculinité se raconte dans les grosses armes. C’est absolument infernal, mais c’est parfois drôle malgré lui, le jeu tentant d’être extrêmement sérieux et premier degré dans son approche.

Une prise de recul sur sa génération

Avec sa suite Crysis 3, ce sont des jeux au gameplay qui avait été revu pour mieux coller aux exigences du jeu sur console. On y ajoutait en effet une pointe de visée assistée, un personnage plus « lourd » mais paradoxalement plus maniable, et surtout c’était l’arrivée du CryEngine 3 avec Crysis 2 (et ensuite le troisième opus), nouvelle édition du moteur maison de Crytek qui tournait bien mieux sur consoles. La transition était moins bouleversante qu’avec le précédent moteur, toutefois on y découvrait un jeu encore plus beau que ce remaster sublime un peu plus. Encore aujourd’hui, ces titres ne sont pas ridicules et il est bien difficile de les prendre à défaut, à tel point que l’on prend un certain plaisir à découvrir la ville de New York ravagée par les attaques multiples des extraterrestres, mais aussi d’une milice privée aux intentions peu louables. Certes, ces jeux sont cons comme tout, il faut bien se le dire, mais l’écriture reste plus fine que dans Crysis 1 et c’est peut-être tout ce qu’on leur demandait. Crysis 3 est toutefois assez largement en retrait, malgré de bonnes idées sur l’ambiance, notamment avec une vraie-fausse ville de New York devenue jungle, mais la narration tombait complètement à plat et on a encore aujourd’hui en jouant au remaster le sentiment que cet opus n’est sorti que pour rentabiliser les investissements effectués dans le CryEngine 3.

Que l’on considère la série des Crysis comme une simple vitrine technologique des différentes itérations du moteur CryEngine ou comme une licence qui a amené une petite révolution grâce à sa structure et ses mécaniques, cette remasterisation de la trilogie apporte des réponses plutôt surprenantes. Oui, la narration et le ton des dialogues a extrêmement mal vieilli, les dialogues sont cons comme tout et on a le plus souvent envie de rire face au sérieux que tente de prendre la licence, notamment le premier jeu. Toutefois cette remasterisation confirme que les Crysis étaient un peu plus que des démos techniques, que c’était des jeux qui ont tenté d’apporter des choses importantes à l’univers des FPS et qui ont su, à leur manière, marquer l’industrie. Si le 3 est anecdotique, le premier Crysis a montré que l’on pouvait faire du FPS « autrement », en monde semi-ouvert, y compris pour un titre solo, alors qu’à cette époque les mondes ouverts ou semi-ouverts étaient réservés aux jeux multijoueurs (Battlefield, Operation Flashpoint, ArmA…). Crysis 2 quant à lui était en réalité un jeu plus solide que dans mes souvenirs, à tel point qu’il pouvait se révéler très plaisant à jouer, mis à part quelques séquences franchement lourdingues. Comme quoi ces remasters, au-delà de la possibilité d’y jouer sur des plateformes récentes, permettent aussi de reconsidérer des titres qui avaient peut-être besoin d’un peu de recul pour en comprendre pleinement l’intérêt.

  • Crysis Remastered Trilogy est sorti sur PC, PlayStation 4, Xbox One et Switch le 15 octobre 2021, et bénéficie d’améliorations sur Xbox Series X/S et PlayStation 5.

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