Chiruran – Tome 8 | Et ainsi fut le Shinsen gumi

par Anthony F.

Depuis ses débuts, Chiruran raconte à sa manière l’ascension de la milice du Miburoshi gumi, avant qu’elle ne devienne le Shinsen gumi, un groupe d’anciens samouraïs qui a laissé son empreinte dans l’histoire du Japon. Parmi eux se trouvait notamment Toshizo Hijikata, un guerrier qui reste encore aujourd’hui la source de tous les fantasmes dans de nombreuses fictions qui s’inspirent de sa vie, qui se trouve évidemment au centre du manga imaginé par Shinya Umemura et Eiji Hashimoto.  Nous voilà déjà au huitième tome de Chiruran, et ça y est : le Shinsen gumi est enfin là.

Le début de la légende

© 2010 by EIJI HASHIMOTO AND SHINYA UMEMURA / COAMIX Approved Number ZCW-08F All rights reserved

Les sept précédents tomes ont passé un long moment à distiller des éléments qui devaient mener à ce moment décisif, le moment où le Miburoshi gumi, milice d’anciens samouraïs au code moral sans concession, devient le Shinsen gumi. Un basculement dans l’identité, mais aussi et surtout dans la fonction. Car si le Miburoshi gumi s’est parfois trouvé à la solde du pouvoir au gré des missions et alliances, le Shinsen gumi lui existe pour une seule raison : assurer la protection du pouvoir en place de Katamori Matsudaira, en patrouillant les rues de Kyoto. Ce changement de fonction donne une nouvelle envergure à une milice autrefois marginale, qui apparaît dès lors dans ce huitième tome comme le dernier rempart du pouvoir, à l’occasion d’une mission où le groupe doit élaborer un stratagème astucieux pour se débarrasser des renégats du Chôshu, ceux avec qui ils étaient temporairement alliés avant d’être trahis par soif de pouvoir. Et comme à son habitude Shinya Umemura manie habilement ce changement de paradigme, lui qui a multiplié les approches dans un manga qui n’a cessé de se renouveler tome après tome. Il raconte d’abord la trahison de Chôshu, en quelques bulles, puis la mise en place de la stratégie visant à attirer le leader et ses hommes, quelques 150 guerriers, sur un lieu où ils seront pris en étau. Mais il y a un problème : face aux 150 hommes, le Shinsen gumi n’est alors composé que de neuf hommes, plus un qui pourrait les aider. Cela donne une bataille presque désespérée, avec l’idée sous-jacente selon laquelle ces guerriers sont prêts à partir en guerre en sachant pertinemment qu’ils vont mourir, sans jamais remettre en doute le bien-fondé de leur mission.

Sur l’ensemble du tome, l’auteur prend plaisir à raconter la stratégie mise en place pour tenter de survivre ou, à défaut, ralentir au maximum les guerriers adverse. Et ce en leur tendant un piège qui semble sorti de la tête d’une personne qui ne tient pas vraiment à la vie tant celui-ci paraît inconcevable. C’est là que le manga se fait rattraper par son genre, celui du shônen, en racontant l’une de ces batailles désespérées auxquelles prennent invariablement part les héros de ce type de manga au nom de l’honneur, de l’amour, ou encore du « bien ». Mais là où Chiruran tire son épingle du jeu, c’est pour sa manière de raconter l’intelligence et la malice de ce groupe d’anciens samouraïs hors norme, des personnes qui devaient se battre jour et nuit pour survivre et qui, à force d’années d’expérience, devenaient pratiquement intouchables. Une force surhumaine qui découle aussi de leur détermination, l’auteur faisant un rapprochement entre leur capacité à se battre face à un ennemi en surnombre et leur loyauté au Shinsen gumi, en opposition aux membres de milices motivées par l’argent et qui fuient à la moindre difficulté.

Stratégie de survie

© 2010 by EIJI HASHIMOTO AND SHINYA UMEMURA / COAMIX Approved Number ZCW-08F All rights reserved

La narration se passe sur deux temporalités, avec le combat lui-même d’un côté entre les neufs hommes contre les 150 de Chôshu, et les moments de discussions quelques heures auparavant où les membres du Shinsen gumi élaboraient la stratégie qui allait leur permettre de vaincre. Le manga ne fait d’ailleurs pas beaucoup de suspense sur l’issue du combat, celle-ci étant acquise dès lors que les héros ont décidé d’affronter la milice opposée, mais le récit est extrêmement bien ficelé sur tout ce qui entoure une telle bataille. La stratégie dont on a parlé plusieurs fois, mais aussi les émotions, les craintes, le dévouement et l’irrationnel qui entoure le choix d’aller se battre au nom du pouvoir. C’est là que Chiruran brille le plus dans ce huitième tome, d’autant plus que l’on redécouvre les personnages que l’on pensait déjà bien connaître. Présentés initialement comme des guerriers un peu bourrins, pas toujours fins pour la plupart, ils sont désormais, avec l’expérience, de terribles tacticiens qui vont inspirer la peur à leurs adversaires, même en étant peu nombreux. Je reste toutefois un peu déçu par le dessin, notamment sur les scènes d’action, où cela manque globalement de mouvement, loin de ce que le manga a pu proposer auparavant. Eiji Hashimoto a peut-être eu un coup de moins bien, même s’il parvient à certains moments, notamment sur les double pages, à offrir quelques jolis plans.

Comme à son habitude Chiruran est capable d’étonner, de se renouveler et d’aller sur de nouveaux terrains, toujours grâce à la subtilité de la plume de Shinya Umemura qui ne se repose jamais sur ses acquis. J’ai le sentiment qu’on ne parle pas assez de cette œuvre, un peu noyée au milieu des très nombreuses sorties de mangas shônen, mais qui maintient sans cesse un très haut niveau de qualité malgré les risques pris sur sa narration. Après huit tomes, Chiruran a déjà exploré de nombreuses thématiques, a amené ses personnages sur bien des choses sans jamais les ménager, et c’est un plaisir de voir qu’après tout ce temps le manga continue de se réinventer à mesure qu’il avance dans l’histoire de Toshizo Hijikata. Vivement la suite !

  • Le tome 8 de Chiruran est disponible en librairie depuis le 1er juin 2022 aux éditions Mangetsu.

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