Les tomes de Chiruran se suivent et ne se ressemblent pas. Cette grande fresque historique qui raconte la création du Shinsen gumi, une milice de samouraïs légendaire, n’a cessée de se renouveler au fil du temps. Sous l’angle d’un shonen tout ce qu’il y a de plus classique, Eiji Hashimoto et Shinya Umemura ont en effet su éviter de tomber dans les écueils du genre pour mieux porter leur histoire, en cherchant toujours à aller un peu plus loin et faire de véritables bons qualitatifs d’un tome à l’autre. Sans surprise, ce cinquième volume ne déroge pas à la règle.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.
Vengeance personnelle
Si Chiruran commençait à esquisser tout de même une forme de routine maintenant que tous les personnages ont été présentés et bien installés, ce cinquième tome vient faire voler en éclats les certitudes de la fin du tome 4. Et pour cause, exit les grands combats et les moments de fraternité au sein de la milice, place plutôt à une longue quête de vengeance pour un personnage secondaire. Une aventure qui anime le tome d’un bout à l’autre, où la violence et les émotions se mêlent dans un tout bouleversant. On y découvre par ailleurs un superbe effort effectué sur la mise en scène, notamment celle d’un combat qui, du haut d’un long escalier, devient un moment marquant du manga qui propulse le style de Eiji Hashimoto encore plus loin. A ses dessins se mélange l’écriture de Shinya Umemura qui est plus juste que jamais, dans un récit duquel se dégage une forme de poésie. Ce tome 5 pose un regard amer sur la vie menée par des guerriers (et désormais même une guerrière !) qui abandonnent tout et, souvent, perdent au nom d’un conflit qui les dépasse. En s’orientant vers l’angle de la vengeance, le récit remet au centre des débats les émotions et les craintes des personnages eux-mêmes, au-delà des considérations politiques ou stratégiques qui animaient le récit précédemment au gré des alliances qui tentaient de se nouer.
C’est ainsi que l’auteur se découvre un vrai sens du drame, tant par ses choix de mise en scène que son écriture d’un personnage secondaire prêt à tout pour sauver son honneur et la mémoire de l’être le plus cher à ses yeux. C’est très fin, fort dans ce que ça raconte, d’autant plus que cela permet aussi de donner plus d’ampleur au héros, Toshizo Hijikata, qui commence peu à peu à ressembler à ce qui se dit sur ce mythe de l’histoire Japonaise. Autrefois fanfaron, il met son immaturité de côté et gagne en sérieux, en charisme et leadership, en toile de fond de ce tome au ton extrêmement dramatique. Un changement de caractère qui a été progressif, le personnage ne manquant pas d’occasions d’être un peu bête, shonen oblige. Néanmoins la transition est réussie et on sent que Chiruran a encore beaucoup de belles choses à dire sur son héros.
Un exemple de mise en scène
J’ai parlé plus tôt du combat en haut des marches, mais de manière générale la mise en scène est une sacré réussite, avec ce qui est probablement le plus gros bond en avant du manga. Si Chiruran n’a jamais été en restes en matière visuelle, on sent que le manga passe encore une étape supplémentaire et offre des planches absolument sublimes, des moments de grâce comme il y en a finalement rarement eu jusqu’ici. C’est bien simple, s’il m’est difficile de citer beaucoup de planches mémorables (malgré d’excellents moments) sur les précédents tomes, il y a là dans ce cinquième deux ou trois scènes que je ne suis pas près d’oublier. Au-delà du dessin, c’est le mouvement et le découpage qui apportent un nouveau rythme au manga, donnant beaucoup de force et de cohérence à cette histoire de vengeance. On est d’ailleurs presque face à un tome qui pourrait se lire indépendamment du reste tant l’histoire se tient bien en elle-même, grâce au récit mais surtout à sa mise en scène.
Chiruran, c’est un manga que l’on croît à chaque fois sur le point de s’embourber dans la routine, et qui à chaque fois nous trompe en amenant un nouveau truc, un détail qui fait voler en éclats nos certitudes. Et quelle démonstration de force dans ce cinquième tome, où Shinya Umemura et Eiji Hashimoto se dépassent pour offrir un véritable exemple de narration et de mise en scène dramatique, manipulant l’art du drame pour mieux sublimer une quête de vengeance inattendue. Si les thématiques abordées, autour de l’honneur, sont classiques pour le genre et attendues quand on parle de samouraïs, le manga parvient tout de même à surprendre et à offrir quelques scènes qui resteront en mémoire des lecteur·ice·s. C’est très, très fort.
- Le tome 5 de Chiruran est disponible en librairie depuis le 8 décembre 2021.