Octobre, un mois où on a envie de se faire peur (thrill) ou au contraire de passer des soirées confortables (chill) sous un plaid ! Deux salles, deux ambiances, et l’équipe de Pod’Culture vous propose justement une sélection d’œuvres variées pour se mettre dans l’ambiance d’Halloween.
Côté thrill
The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch – Recommandation de Anthony F.
Que l’on soit amateur·ice ou non du travail de Jim Jarmusch, il y a une chose que l’on ne peut nier : le bonhomme a son propre univers, et n’hésite jamais à aller au bout de ses idées, quitte à ce que les spectateur·ices passent parfois à côté. En le voyant s’attaquer à l’univers déjà bien étoffé et probablement trop exploité des films de zombie avec The Dead Don’t Die en 2019, il y avait quand même une vraie curiosité de voir ce qu’il allait en retenir.
C’est avec quatre ans de retard que je découvrais ce film, ces derniers jours, avec l’envie de voir quelque chose qui rappelle Halloween sans faire trop peur parce que je flippe pour un rien. The Dead Don’t Die commence comme beaucoup de films du genre, avec des meurtres inexpliqués et des zombies qui rôdent dans l’ombre d’une petite bourgade des Etats-Unis. Les choses enveniment rapidement, et laissent place à un film un peu foufou, qui assume un second degré souvent pertinent, et qui recherche une forme d’absurde dans sa mise en scène des zombies. Mais la première que donne le film est celle d’un hommage avec des références à George A. Romero qui nous sont balancées au visage à chaque instant, avec des personnages qui ont même vite conscience de vivre dans ce qui pourrait être un film du spécialiste des zombies. Jim Jarmusch ne se cache pas, il veut faire un film « à la Romero », sans pour autant oublier son goût des sketches avec des petites scènes absurdes, mais aussi sa volonté perpétuelle de mettre en scène des marginaux. J’y vois d’ailleurs aussi un peu du cinéma des Frères Coen dans certaines scènes, et ce n’est sûrement pas un hasard que Steve Buscemi se soit retrouvé dans le casting. Une distribution qui est d’ailleurs plutôt impressionnante, avec les têtes d’affiche Bill Murray et Adam Driver, un duo plutôt efficace, épaulés par Tilda Swinton, Chloë Sevigny, Selena Gomez ou encore Danny Glover.
Pas parfait à cause d’un dernier tiers bien plus faible et une dynamique qui se renouvelle assez peu (heureusement le film est assez court), The Dead Don’t Die m’est toutefois vraiment sympathique. C’est un film de zombie qui ne se prend pas au sérieux, sans pour autant virer à la caricature d’un Zombieland, avec une vraie volonté pour Jarmusch de référencer un cinéma de genre pléthorique tout en y ajoutant son grain de sel. C’est probablement un bon film pour un début de soirée d’Halloween, histoire de se mettre dans l’ambiance avant de passer à des films plus effrayants.
La Chute de la Maison Usher de Mike Flanagan – Recommandation de F. de l’O.
La Chute de la Maison Usher, Le chat noir, Le masque de la mort rouge… Toutes ces nouvelles fantastiques d’Edgar Allan Poe captivent des générations depuis le XIX° siècle. D’un autre côté, depuis la sortie de The Haunting of Hill House, sur Netflix, il y a cinq ans ; Mike Flanagan s’amuse chaque année avec nos nerfs, en proposant des séries tantôt délicieusement macabres, tantôt verbeuses au point d’en devenir grotesques. Bien que le réalisateur et scénariste américain m’ait parfois déçue, je dois admettre que j’étais impatiente de découvrir son adaptation des récits légendaires d’Edgar Allan Poe. Je l’étais d’autant plus qu’il s’est entouré d’une partie de son casting habituel. On retrouve ainsi le couple du film Jessie, Bruce Greenwood dans le rôle de Roderick Usher, et Carla Gugino qui crève l’écran ; mais aussi Kate Siegel et Henry Thomas, pour ne citer qu’eux. Certains membres du casting sont inédits comme Mark Hamill, décidément trop absent des écrans à mon goût. Tout ce beau monde va rejoindre le cercle étroit de la richissime famille Usher, ayant tout pour elle, si l’on omet le fait que les nombreux enfants de Roderick vont mourir les uns après les autres, comme s’il s’était agi d’un roman d’Agatha Christie.
A l’image des nouvelles d’Edgar Allan Poe, la série reste fidèle aux codes du genre fantastique. Ainsi, les spectateurs confrontés à des événements étranges, sont toujours amenés à hésiter entre une explication rationnelle et une autre, paranormale. La Chute de la Maison Usher n’est pas très effrayante, pour être honnête ; elle réserve pourtant quelques passages gores, tranchant avec une certaine beauté du macabre. Ce que j’aime par-dessus tout – et ce ne sera pas au goût de tout le monde – c’est combien la série prend son temps, au détour de dialogues approfondissant les personnages ainsi que leurs relations. Mike Flanagan nous a habitués à des scripts verbeux. En ce sens, la série est presque contemplative, et dans tous les cas émouvante. On en ressort plus avec une profonde amertume, finement travaillée, qu’avec de réelles sensations de frayeur.
S’il fallait comparer, j’ai tendance à préférer The Haunting of Hill House, tant les personnages m’avaient touchée. Les protagonistes de la Maison Usher – bien qu’ils proposent des adaptations modernes intéressantes des récits d’Edgar Allan Poe – sont à mon sens un peu trop caricaturaux. Mais il ne faut pas douter qu’il s’agit d’une des meilleures productions de Flanagan, depuis longtemps. La photographie de la série est d’une beauté sans nom, si bien que certains plans me restent encore en mémoire. La Chute de la Maison Usher pourrait vous garantir quelques soirées douces-amères, ornementées de frissons, à l’approche d’Halloween. Vous ne prenez, de toute façon, guère de risques à tenter cette série, composée de seulement huit épisodes, sortis le 12 octobre dernier.
Immonde ! de Elizabeth Holleville – Recommandation de Hauntya
Morterre est une ville industrielle terne et dénuée d’âme. Elle ne vivote que par l’existence de l’usine Agemma, où tous les ouvriers de la ville remontent un minerai radioactif rare, libérant plus de puissance que l’atomium. Nour vient d’y emménager avec son frère et son père, ce dernier étant employé à l’usine. Elle rencontre Jonas et Camille, dont les passe-temps se résument à tourner des vidéos fake d’apparitions surnaturelles, et à regarder des films d’horreur. Mais bientôt, un agent d’Agemma disparaît et fait naître des rumeurs, malgré l’omerta de l’usine. Et puis, les trois adolescents croisent la route d’un homme, puis d’un animal, déformés…
Immonde ! fait parfois penser à du Stephen King par son ambiance de ville mortifère, par ces parents qui ne savent pas comment s’y prendre avec leurs enfants, avec son trio d’ados fascinés par le morbide, découvrant les émois amoureux et sexuels, et surtout avec leur découverte d’un secret fantastique dans l’usine Agemma. Le dessin est clair avec des formes rondes, comme pour nous plonger plus facilement dans l’atmosphère de cette ville fantôme sombre, pour mieux montrer frontalement les apparitions horribles à venir. La bande dessinée livre 230 pages pour une histoire en plusieurs actes, menant à la catastrophe écologique, qui, forcément, allait arriver. Et qui se manifeste sous une forme bien plus sanglante que prévue, renforcée par les tons violets, bleus et verts des dessins, donnant toute une impression d’obscurité à la bande dessinée.
Faussement simpliste dans sa narration pour en renforcer l’efficacité, on peut parfois regretter que certains sujets, plutôt du quotidien des héros – le deuil, la transidentité, les réseaux sociaux – soient survolés. Les personnages y auraient gagné une profondeur bienvenue. Mais on vient plutôt là pour l’histoire, pas forcément effrayante bien que glauque, pour son atmosphère sombre et si urbaine, et ses péripéties dévoilant les monstres créés – ou réveillés – par les hommes et leur égoïsme aussi scientifique que pécunier. Un bonus de fin, illustré par Timothé Le Bouchet, donne un relief tout spécial à ce fantastique urbain qui unit ses œuvres à celle d’Elizabeth Holleville.
Côté chill
The Gods We Can Touch d’Aurora – Recommandation de Hauntya
Je n’ai découvert Aurora que récemment – elle a participé à la bande originale du film d’animation irlandais Le peuple loup. Son dernier album, The Gods We Can Touch (2022), s’inspire de mythologie grecque et de thèmes bibliques dans certaines chansons, mais pas uniquement. Ce qui plaît tout de suite dans cet album, c’est l’émotion et la mélancolie positive qui s’en dégage. La chanteuse norvégienne propose des chansons éthérées, parfois extrêmement paisibles, parfois plus électro et synth-wave, nous entraînant dans des ambiances différentes, mais toujours avec un sentiment d’apaisement.
Parmi les plus belles chansons de l’album, Everything Matters, en duo avec la chanteuse Pomme, est une merveille vocale et et douce évoquant l’aube et la nuit, la part d’obscurité et de lumière nécessaire en chacun et au cycle du monde. Cure For Me, écrit pour lutter contre les thérapies de conversion LGBT+, est à la fois électro et entraînant, plein de fierté et de force de vivre. Exist for love, la plus simple de toutes les chansons, évoque le sentiment amoureux dans toute sa pureté et son intensité, presque comme une chanson a cappella murmurée directement à la personne qui écoute, avec une sincérité émouvante et tendre. Blood in the Wine, avec son début de réminiscence de la célèbre musique du Bon, la Brute et le Truand, commence avec autant de douceur qu’elle enchaîne avec un rythme plus percutant et frénétique, comme un cri de guerre naissant du plus profond du cœur. La piste démontre en une seule chanson l’ambivalence et la coexistence de ce côté aussi chill que dansant qui existe dans l’entièreté de l’album. Un album qui se conclut avec A Little Place Called the Moon, dans une beauté aérienne et nocturne, emplie de poésie.
Parmi les découvertes les plus chill de cette année, cet album d’Aurora se situe en très bonne place, tant la chanteuse parvient à nous emmener dans son monde musical vaporeux, souvent éthéré et d’une tendresse incomparable, tout en étant parfois capable de musiques bien plus électro et rythmées. De quoi accompagner le mois d’octobre avec une douceur dont on a bien besoin.
Il était une fois un Studio de Dan Abraham et Trent Correy – Recommandation de Mystic Falco
Il serait ridicule de présenter le Studio d’animation Disney, tant par sa renommé qu’avec ces cent années d’existence cette année. Cependant, les courts-métrages d’animations du studio sont quand à eux, bien moins connu. Et justement, pour fêter cet anniversaire exceptionnel, Disney a décidé de produire un court-métrage extrêmement doux, rempli de références et qui dégage une forte émotion avec « Il était une fois un Studio » réalisé par Dan Abraham et Trent Correy et disponible sur Disney +. L’histoire de ce court étant très basique il ne vaut pas vraiment la peine de s’attarder dessus, d’autant que la durée (8 minutes) laisse peu de place à un réel développement scénaristique.
En revanche, et c’est surtout pour cette raison que je souhaite parler de ce projet, c’est qu’il mêle plusieurs techniques d’animations qui ont fait les beaux jours du studio. Entre le dessin animée pur, dit animation 2D qui a été présent du début du studio et notamment avec le premier long métrage d’animation de l’histoire du cinéma, avec Blanche-Neige et les Sept Nains en 1937, à l’animation 3D qui a fait ses débuts timidement au début des années 2000, le tout mélangé à des prises de vues réelles… Autant le dire tout de suite, en terme de technicité c’est absolument somptueux ! Toutes les animations se mélangent entre-elles, proposant ainsi une cohérence graphique et technique qui me laisse sans voix. Les personnages qu’ils soient en 2D ou en 3D interagissent entre eux, et le décor réel.
Certes, le studio et notamment son créateur ne sont pas exempt de défauts. C’est un point à ne pas oublier, et c’est bien pour cela que je le mentionne ici. Mais il ne faut pas oublier non plus que des millions d’enfants ont grandi, et continue de grandir au travers de ces œuvres majeurs de l’animation, et leur rendre hommage de cette façon est sans doute le plus beau cadeau pour les 100 ans du Studio, que Disney pouvait offrir à ses spectateurs. Je vous invite vivement à vous préparer un bon chocolat chaud, votre meilleur plaid, et ainsi replonger en enfance, le temps de 8 minutes avec vos personnages préférés.
L’Aventure de madame Muir de Joseph L. Mankiewicz – Recommandation d’Aleksseli
En Angleterre, au début du XXe siècle, une jeune veuve qui désire fuir la vie londonienne décide de s’installer au bord de la mer avec sa fille et sa servante dans un cottage réputé hanté par le fantôme de l’ancien propriétaire, un capitaine de la marine. Dès le premièr soir, l’esprit apparaît.
Avec ce synopsis on pourrait se croire embarqué·e·s dans une histoire de maison hantée prête à nous frémir à coup d’apparitions ectoplasmiques et autres jump scares. Sauf qu’ici, nous sommes dans la catégorie « chill » de l’article et comme je ne suis pas du genre à mal ranger mes recommandations (ok, surtout, comme je suis moi-même très sensible au « thrill » un peu trop poussé, notamment quand ça concerne esprits et fantômes), c’est bien une œuvre plus douce que terrifiante que je vous propose avec ce film réalisé en 1947 par le grand Joseph Leo Mankiewicz (La Comtesse aux pieds nus, Ève, Cléopâtre et j’en passe tant la filmographie du bonhomme regorge de pépites). Une œuvre douce donc, car après un premier soir agité où le fantôme essaie d’effrayer la nouvelle locataire (l’occasion pour le réalisateur de s’amuser avec les codes du genre et démontrer que si l’envie lui en avait pris il aurait parfaitement pu réaliser une œuvre sombre et angoissante), c’est vers un savant dosage de mélodrame fantastique et de comédie romantique que l’aventure de cette madame Muir se dirige. Une aventure qui, avec une facilité déconcertante, déroule le fil d’une histoire envoûtante, dans le sillage de deux âmes esseulées qui vont apprendre à se découvrir, communiquer et partager. Leur passé, leurs bonheurs, leurs regrets, leurs douleurs, leurs espoirs.
Il serait terriblement malvenu de trop en raconter, tant ce film brille dans toutes ses scènes, même lorsque ces dernières semblent simples voire banales. C’est sous cette simplicité apparente que bien souvent se cache toute la profondeur des personnages. En fantôme bougon mais attachant, Rex Harrison apporte son éternel charisme, ainsi qu’une forte présence qui mange les plans avec une gourmandise non feinte. Il fallait alors trouver, dans le rôle de Lucy Muir, une actrice capable à la fois de tenir tête à un tel partenaire mais aussi de s’accorder en parfaite harmonie avec son jeu. Chose que fait Gene Tierney avec un naturel divin, prouvant une fois de plus qu’elle est non seulement l’une des plus belles actrices hollywoodiennes, mais aussi et surtout l’une des plus grandes. Le duo qu’elle forme avec Harrison illumine le superbe noir et blanc de la pellicule, bien accompagné par la magnifique musique d’un Bernard Herrmann au sommet de son art.
Mankiewicz orchestre l’ensemble d’une main de maître, jouant autant sur les dits que les non-dits, les ellipses et le hors-champ, insufflant dynamisme quand il le faut tout comme retenue et délicatesse à d’autres moments. Porté par cette volonté de raconter, sous ses abords de comédie romantique fantastique, une histoire profonde et existentielle, il nous propose une œuvre immense, merveilleuse, qui transcende la vie et la mort, l’espace et le temps, l’amitié et l’amour. Une œuvre à déguster, donc. Pour l’éternité.