All Free – Tomes 1 et 2 | La quête de l’excellence

par Anthony F.

Les mangas de sport se multiplient et ne se ressemblent pas vraiment : si les sports collectifs ont la cote, d’autres s’essaient plus rarement à des disciplines individuelles. Parmi ces curiosités, All Free, première série de manga pour l’auteur Terubo Aono qui s’intéresse au judo. Un art martial qui est évidemment extrêmement populaire au Japon, mais aussi en France, où de nombreuses générations de judoka ont popularisé un sport qui est devenu une discipline, comptant un paquet de pratiquant·e·s dans nos contrées. Et ces liens entre France et Japon vont encore un peu plus loin, puisque le manga lui-même les aborde dans un récit où une jeune judoka tente de se perfectionner pour redonner une certaine gloire au Japon sur les compétitions internationales.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Une vie rythmée par le perfectionnement

© 2020 Aono Terubo (FUTABASHA)

Le manga fait en effet référence à l’état du judo japonais actuel : si l’art martial lui-même est né là-bas, le Japon peine à retrouver sa place de dominant en matière de compétition sportive sur un circuit mondial où les judoka occidentaux·ales mènent la danse. Et pas n’importe qui, puisque c’est les judoka français·e·s qui s’en sortent à merveilles, on pense notamment à Teddy Riner chez les hommes, mais aussi à Clarisse Agbégnénou qui s’est baladée aux derniers Jeux Olympiques. Et le manga parle même à demi-mots de Teddy Riner, en faisant un clin d’oeil appuyé au gigantesque champion qu’il est en racontant le principal rival des judoka japonais, un certain « David Ours » qui ressemble à s’y méprendre au judoka français. C’est dans cette ambiance un peu morose pour le judo japonais que se place l’histoire, qui lorgne vers une esthétique très réaliste dans sa représentation du sport, en abordant le judo plutôt sous l’angle du sport que de l’art martial. On y découvre une héroïne, Jun Mifune, déterminée et prête à tout pour convaincre son oncle Hayaki Mifune, ancien champion mais désormais désabusé, pour qu’il devienne son coach en vue d’un jour dominer le circuit mondial. A certains égards, cela rappelle un peu le Yawara! de Naoki Urasawa, où l’héroïne entretient elle aussi un lien presque surnaturel avec le judo : c’est une prodige qui est sans cesse renvoyée à ce statut. La différence ici étant que Jun Mifune aime fondamentalement ce sport, contrairement à Yawara où l’héroïne, au début, le déteste.

Le manga se révèle didactique, toutefois j’ai eu du mal à entrer dedans, à pleinement me passionner pour une histoire qui s’adresse quand même beaucoup plus aux amoureux·euses du judo qu’aux néophytes dont je fais partie. Les deux premiers tomes se focalisent tellement sur l’entraînement et les combats qu’on a du mal à s’attacher à des personnages qui ne semblent pas exister en dehors de leur sport (contrairement à un Ao Ashi en matière de manga de sport chez le même éditeur, par exemple). On sent toutefois dans la deuxième moitié du tome 2 qu’il y a une volonté d’aller un peu plus loin, notamment autour du passé de Hayaki Mifune, l’oncle et mentor de l’héroïne, ainsi que la recherche d’un point faible à David Ours, le judoka français qui incarne une sorte d’homme imbattable : vitesse, technique et force, tout est à son avantage. Cet antagoniste incarne tout ce qu’il manque au judo japonais pour retrouver sa place de maître perdue il y a bien longtemps face aux athlètes venu·e·s de France, qui ont su appliquer les techniques inhérentes au judo en y ajoutant un avantage physique certain. Alors il pourrait y avoir de belles choses à l’avenir, mais pour le moment, je reste dubitatif face à une histoire bien menée mais qui ne parvient pas encore à impliquer émotionnellement.

L’élégance du sport

© 2020 Aono Terubo (FUTABASHA)

All Free a toutefois l’avantage d’être tout particulièrement surprenant visuellement, les lignes sont élégantes, le mangaka magnifie le sport. Il y a une telle maîtrise du mouvement, une belle élégance dans les gestes, que les prises de judo sont rendues avec un rythme tout à fait appréciable qui fait ressentir toute la technicité du judo. D’autant plus qu’il est abordé là plus sous l’angle de la compétition que de l’art martial, avec tout ce que ça implique de traitement du combat où l’on cherche les points et la victoire plus que la confrontation épique et violente. S’il y a un élément à reprocher côté dessin, ce serait peut-être des visages qui manquent parfois de spécificités, notamment dans le premier tome où quelques personnages se ressemblent et se confondent, à tel point qu’il est parfois difficile de les distinguer. Mais on remarque vite, dès le second tome, que le mangaka insiste plus sur certains traits, certains éléments qui offrent à ses personnages des allures plus marquées. Cette progression offre d’ailleurs de superbes moments dans le second tome, comme une scène où le mangaka parvient à représenter un corps meurtri par un affrontement terriblement long, une manière de montrer l’effort et les sacrifices qu’impliquent la recherche de l’excellence dans le sport. Une très belle scène qui laisse espérer de jolies planches pour la suite.

Pas entièrement convaincu par la narration de All Free, la faute à des personnages à la caractérisation pour le moment assez limitée, je reste toutefois curieux de voir où Terubo Aono souhaite aller avec son histoire qui emprunte au monde réel. On sent sa passion pour le judo et les questions qui se posent aujourd’hui aux judoka japonais·e·s qui tentent de redorer leur blason, et on peut lui accorder un vrai sens de la mise en scène et du mouvement qui permet au manga d’afficher quelques très beaux moments.

  • Les tomes 1 et 2 de All Free sont disponibles en librairie depuis le 6 avril 2022.

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