13 Sentinels: Aegis Rim | Poésie de guerre

par Anthony F.

A sa sortie fin 2020 sur PlayStation 4, 13 Sentinels: Aegis Rim a conquis la plupart des personnes qui s’y sont essayées. Jeu de l’année pour beaucoup, expérience marquante pour tout le monde, le dernier titre en date de Vanillaware a surpris son monde avec un mélange de visual novel et de combat tactique. Deux ans plus tard, c’est le portage du titre sur Switch qui nous donne une bonne raison d’en parler, pour un titre que certain·e·s espéraient voir débarquer sur la portable de Nintendo tant le genre semble s’y prêter.

Cette critique a été écrite après avoir terminé le jeu sur Nintendo Switch, grâce à un exemplaire envoyé par l’éditeur.

Destins croisés

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Tout commence le 27 mai 1985, une curieuse bataille oppose des mecha à des kaiju, dans la plus pure tradition de la science-fiction japonaise. Le Japon, attaqué, réplique en effet en utilisant des Sentinelles, des mechas en avance sur leur temps et contrôlés par ce qui semble être une bande de lycéen·ne·s, dans une sorte de guerre sans fin où les vagues d’ennemis semblent interminables. Difficile d’en dire beaucoup plus sur l’histoire de 13 Sentinels: Aegis Rim, car ce qui commence comme un jeu de guerre tactique se transforme vite en visual novel où ces lycéen·ne·s se dévoilent doucement, avec de multiples références à des œuvres de science-fiction bien connues, dans un récit qui touche autant au drame qu’à la romance. Si ces quelques treize personnages sont particuliers, c’est parce qu’ils et elles ont tout·e·s un lien unique avec les mechas qui leur permet de les contrôler, toutefois le jeu semble au départ se passer en deux univers distincts : l’un où la guerre fait rage, l’autre où les protagonistes ne connaissent de cette guerre que d’étranges rêves. C’est le point de départ d’une histoire où se croisent de nombreux destins, où l’auteur George Kamitani s’amuse terriblement à brouiller les pistes dans un récit non-linéaire, où chaque avancée est récompensée par des indices qui viennent tantôt éclaircir certains points, tantôt rendre le tout encore plus complexe. Pourtant il serait dommage de limiter la narration de 13 Sentinels à cette apparente complexité. Car s’il est indéniable qu’il vaut mieux être bien concentré·e en lançant une partie pour ne pas se paumer dans les dialogues, c’est aussi un titre à l’écriture ciselée, qui retombe toujours sur ses pattes, et où le puzzle prend doucement forme jusqu’à donner un sentiment de plaisir assez fou quand on commence à comprendre l’intérêt de tous les petits bouts de narration distillées les heures précédent chaque révélation.

C’est aussi une histoire qui référence beaucoup d’œuvres : la Guerre des Mondes avant tout, le roman de H. G. Wells étant maintes fois (et explicitement) référencé, notamment pour son imaginaire visuel avec l’allure des kaiju. De manière plus surprenante on pourrait même y voir un peu de E.T., ou encore du Terminator, mais ce qui m’a frappé et particulièrement plu c’est sa proximité avec Evangelion. Si les thématiques abordées ne sont pas toutes les mêmes, on retrouve le même concept de lien profond et intense entre pilote et mecha, ainsi que des questions parfois philosophiques qui se posent à ses personnages, dans une histoire qui laisse une place énorme à la réflexion. Tant sur notre époque que sur la science-fiction, en remettant en cause ses concepts pour mieux les aborder, en s’interrogeant constamment sur le sens des actions des personnages et leurs rôles dans une guerre qui les dépasse souvent. D’autres références sont plus obscures ou plus succinctes, comme un dialogue qui fait un clin d’œil à Doraemon (ce qui m’a, personnellement, beaucoup fait rire), mais dans l’ensemble 13 Sentinels sent bon l’amour de son auteur à tous les récits de science-fiction qui ont marqué l’imaginaire populaire. C’est une histoire qui emprunte beaucoup aux autres et qui sait à la fois les honorer et les sublimer. Ces références ne sont toutefois pas tout 13 Sentinels : si son histoire captive autant, c’est parce que ses arcs narratifs imbriqués et inter-dépendants parviennent à maintenir jusqu’au bout l’illusion de faire le jeu à notre manière, à notre rythme, en dévoilant ce que l’on veut et quand on le souhaite. S’il y a bien un fil rouge qu’il est indispensable de suivre pour pouvoir arriver au bout du jeu, le titre offre suffisamment de liberté dans la manière d’aborder son récit que l’expérience n’en devient que plus personnelle. Il est par exemple possible d’avancer plus vite dans l’histoire d’un des treize personnages plutôt qu’un autre, de revenir sur des choix passés et découvrir plusieurs fois la même scène sous un angle et dénouement différent afin de découvrir toutes les éventualités posées, tous les embranchements qui existent dans les destins de chacun et chacune des héro·ïne·s. Il y a certes quelques barrières posées afin de ne pas « spoiler » la suite de l’histoire d’un autre personnage lié au premier (poussant à faire progresser les deux en parallèle), toutefois 13 Sentinels est l’un des rare visual novel à proposer un tel niveau de liberté dans sa progression, rendant son histoire plus attachante encore, parce qu’elle s’adapte assez bien à nos désirs et volontés selon notre affection pour l’un ou l’autre personnage. Il faut bien dire qu’avec treize protagonistes, il y a de quoi trouver son ou sa chouchou ou sa tête de turc. Même si le jeu est suffisamment bien écrit pour offrir à chacun de ses personnages une histoire passionnante, suffisamment touchante et révélatrice du monde dans lequel ils·elles évoluent que l’on a toujours envie d’en savoir plus.

Et malgré son apparente complexité, la narration de 13 Sentinels reste très accessible. Certes, les arcs narratifs imbriqués et le récit non-linéaire oblige à passer par quelques dialogues que l’on ne comprend pas immédiatement (avant de pouvoir y revenir plus tard), rendant le tout début du jeu parfois imbuvable. Mais cette première impression assez compliquée est vite balayée par l’intelligence d’un récit qui fait la part belle à l’exploration narrative. C’est ainsi que le jeu nous incite à revenir plusieurs fois sur la même scène pour en découvrir chaque embranchement possible, grâce à un arbre des choix accessible à tout moment, ce qui permet d’explorer à 100%¨des possibilités afin d’avoir une vue d’ensemble des enjeux. On se laisse vite prendre au jeu, d’autant plus que ces scènes restent assez courtes et sont toujours très rémunératrices en détails sur le lore. Il y a un véritable intérêt à découvrir tous les possibilités offertes par l’histoire du jeu, d’abord pour progresser sur le fil rouge, mais surtout pour mieux comprendre les enjeux auxquels sont confrontés nos héros et héroïnes. Si le système est rendu aussi accessible c’est bien grâce à son arbre de choix qui permet de vite comprendre quelles sont les modalités d’accession à tel ou tel élément d’histoire, sans avoir à tourner en rond et à tenter tout et n’importe quoi en comptant sur la chance pour découvrir une scène inédite.

Mecha, Kaiju et futur

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13 Sentinels a deux faces, d’abord celle d’un visual novel qui apprend à se réinventer sans cesse avec une forte mise en scène, et ensuite un jeu de combat tactique, où les missions se succèdent pour tenter de sauver la ville de l’invasion de kaiju. Là encore la liberté prime, puisqu’une fois passé le prologue, le jeu permet de choisir d’avancer dans l’un ou l’autre mode, malgré encore une fois quelques barrières ponctuelles pour éviter de se spoiler. Il m’est arrivé par exemple lors de ma partie de terminer l’ensemble des missions disponibles afin de pouvoir ensuite me concentrer sur l’histoire, tandis que d’autres pourraient préférer épuiser les séquences narratives disponibles jusqu’à ce que faire quelques combats soit nécessaire. Des combats où la perspective change complètement : exit la vue de côté, en 2D, des séquences d’histoire, place à une vue isométrique où la ville est représentée par une map grise, tandis que les kaiju fourmillent en points rouges pour représenter l’invasion. La mise en scène visuelle fonctionne sacrément bien et s’inscrit parfaitement dans l’esprit futuriste, quasi post-apocalyptique, dans lequel s’inscrivent ces séquences. On pourrait, toutefois, lui reprocher quelques soucis de visibilité : le choix de laisser un écran vierge de tous artifices en représentant les choses de manière très minimaliste se heurte en réalité à de nombreux effets de particule, à des ennemis qui arrivent parfois en nombre, et à une difficulté croissante à distinguer nos troupes au milieu des grandes batailles.

L’aspect tactique est toutefois assez sommaire. Avec des combats en temps réel et une poignée de compétences qui peuvent être équipées par sentinelle, on tourne assez rapidement en rond car les possibilités de contournement tactique ne sont pas énormes. La plupart du temps, on fait le dos rond et on multiplie les attaques de zone pour déblayer les plus grosses vagues de kaiju, même si dans les difficultés les plus élevées, il peut être nécessaire d’être très vigilant·e sur les troupes que l’on emmène. Parce que chaque mission a son lot de kaiju aux spécificités différentes, et il peut ainsi être plus malin parfois d’emmener des sentinelles qui tapent fort au corps à corps quand on doit affronter simplement quelques ennemis, tandis que d’autres fois les attaques de zones sont primordiales pour éviter d’être submergé·e. Dans l’ensemble, j’ai tendance toutefois à conseiller à faire le jeu en facile ou normal. Car le système de combat n’est pas suffisamment profond et précis pour que l’on prenne du plaisir à rechercher les tactiques les plus pertinentes pour s’en sortir, risquant de ne prendre aucun plaisir dans la difficulté la plus élevée. Ce n’est, d’ailleurs, pas l’élément le plus réussi du jeu, mais cela permet au moins de couper entre deux séquences narratives et d’apporter un peu de diversité d’action.

D’autant plus que c’est là que l’on dépense les métacrédits durement acquis dans l’histoire principale en accomplissant le maximum d’embranchements des scénarios de chaque personnage. Et ceci afin de faire progresser nos sentinelles, à la recherche d’une toute puissance qui se ressent plutôt bien : certaines attaques sont dévastatrices, et la possibilité de les améliorer décuple considérablement leur efficacité. Ce sentiment de progression permet au moins de donner envie d’aller un peu plus loin, en plus des récompenses de ces batailles qui permettent aussi de débloquer des éléments d’histoire dans le « Codex », grande encyclopédie où l’on peut étendre le lore par des écrits qui éclairent parfois sur le monde dans lequel on évolue. Je donne peut-être le sentiment d’être dur avec les combats de 13 Sentinels, pourtant ceux-ci ne gâchent pas le jeu et permettent même au jeu de ne jamais tomber dans la monotonie d’un visual novel plus classique. Mais il faut bien comprendre que c’est des séquences très secondaires, que l’on peut passer assez vite, et que l’essentiel du jeu est ailleurs.

Le portage n’enlève rien de sa beauté

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Vanillaware s’est fait connaître pour la beauté de ses jeux et ses univers artistiques si reconnaissables (Odin Sphere, Muramasa, Dragon’s Crown…), avec des styles visuels qui ressemblent le plus souvent à des illustrations et artworks qu’à de la 2D plus classique. Et 13 Sentinels va encore plus loin que les précédents jeux du studio. Plus beau, plus varié, plus distingué, plus séduisant encore, ce titre est une marche au-dessus et montre que Vanillaware ne se repose jamais sur ses lauriers. Impressionnant pour son character design, le jeu l’est tout autant pour la qualité de ses animations qui donnent parfois l’impression de regarder un (excellent) anime, ou l’utilisation assez formidable de ses effets de lumière en jouant sur plusieurs plans, dépassant la simple 2D. Même dans ses phases de combat et malgré les problèmes de lisibilité évoqués précédemment, il y a une vraie ambiance qui s’en dégage, plus futuriste, qui tranche avec les différentes époques que l’on traverse dans les phases narratives. C’est absolument somptueux, l’un des plus beaux jeux que l’on ai pu voir, et cette beauté n’est que sublimée par sa bande-originale signée Hitoshi Sakimoto (Vagrant Story, Odin Sphere…), qui apporte une ambiance musicale assez exceptionnelle à un jeu aux qualités artistiques pour lesquelles on pourrait aligner les superlatifs pendant des heures.

Et c’est là que, à titre personnel, j’attendais tout particulièrement le portage Switch du jeu. Initialement développé pour PlayStation 4 et PS Vita, le jeu n’était finalement pas sorti sur la (regrettée) console portable de Sony. Pourtant, en découvrant le jeu sur console de salon, j’y voyais tous les éléments que l’on aurait encore plus apprécié sur une console portable avec un écran de qualité. La taille de l’écran permettant, en outre, de gommer quelques désagréments de ce style visuel transposé sur grand écran (à commencer par quelques arrières plans plus flous ou quelques textures pas assez détaillées). Et il faut bien le dire, l’arrivée du titre sur Switch montre ce que l’on a manqué à l’époque avec l’annulation de la version PS Vita. Parce que sur un plus petit écran, 13 Sentinels rayonne de mille feux, avec une direction artistique qui sied parfaitement à un plus petit écran, à tel point que le jeu m’a donné l’idée d’investir dans un Switch OLED pour en dévoiler encore plus les beautés de ses couleurs (mais soyons sérieux et empêchez moi de faire cette bêtise). Techniquement, le titre ne manque pas de panache et malgré quelques ralentissements (souvent faiblement perceptibles) quand il se passe beaucoup de choses à l’écran, notamment sur certains combats, le jeu reste stable et rien n’entrave le plaisir de jeu.

13 Sentinels: Aegis Rim est d’autant mieux adapté à la console portable de Nintendo que le titre se joue parfaitement sur de courtes sessions de jeu, comme il en est l’usage traditionnellement sur les consoles portables, puisqu’il permet sans mal de faire un bout d’histoire sur quelques minutes et de sauvegarder à tout moment pour y revenir plus tard. Et ce mode de jeu n’enlève rien à l’implication émotionnelle, parce que le jeu parvient sans mal à nous capter, nous retenir pendant une trentaine d’heures pour nous retourner le cerveau et nous relâcher complètement lessivé après l’avoir vu remettre en cause toutes les certitudes des premières heures. 13 Sentinels est un jeu malin, intelligent, capable de se créer sa propre mythologie, avec un monde incroyable qui prend le meilleur de ses références et les sublime un peu plus. C’est grand.

  • Le portage Nintendo Switch de 13 Sentinels: Aegis Rim est sorti le 12 avril 2022. 

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