Les survival horror suivent mais ne se ressemblent pas toujours. The Chant, produit par Brass Token, petite équipe canadienne d’une vingtaine de personnes, a le mérite de tenter un premier jeu d’horreur sortant de l’ordinaire. Il y a quelques semaines, c’était le titre Cult of the lamb qui proposait une histoire tournant autour des sectes ; voyons voir si la retraite spirituelle de The Chant se révèle tout aussi horrifique…
Le test du jeu a été réalisé sur Xbox Series S, grâce à une clé numérique fournie par l’éditeur.
Bienvenue dans l’île
Jess Briars est une jeune femme on ne peut plus ordinaire, sceptique dans l’âme. Cependant, elle a vécu un traumatisme personnel en la mort accidentelle de sa sœur, quelques années auparavant. Un drame qui continue à la hanter, au point d’avoir des hallucinations de sa sœur ou encore des crises de panique violentes. Après une vision de trop, Jess décide de rejoindre Kim, sa meilleure amie (un peu perdue de vue depuis la tragédie) sur l’île où cette dernière poursuit une retraite spirituelle.
Méfiante, Jess accepte néanmoins de se plier aux contraintes de l’île : pas de technologie, pas de chaussures, une tenue blanche, et le partage de vie d’une communauté guidée par un gourou nommé Tyler. Parmi les autres adhérents de la retraite spirituelle, on trouve trois autres personnages : Hannah, Maya et Sonny. Hélas, les choses commencent à se gâter, lorsqu’au cours d’une innocente (non) cérémonie de thé aux champignons, une Kim prise de colère brise le cercle spirituel. Jess s’évanouit. A son réveil, elle est la seule assez courageuse pour partir à la recherche de Kim, visiblement possédée, et des autres membres de la communauté.
New Age, Prismologie et retraite spirituelle aux accents de secte
Comme on l’a dit en introduction, The Chant se démarque des autres jeux d’horreur habituellement par sa thématique. Au Canada, pays d’origine de l’équipe du jeu, les retraites spirituelles sont nombreuses : l’idée de départ de The Chant se tient là, avec une inspiration des sectes New Age prônant l’éveil à la spiritualité et à l’élévation de soi. Dans le jeu, Tyler met en application une pratique créée spécifiquement pour l’intrigue, la Prismologie, mêlant science et spiritualité, avec une forte connexion à la nature. On découvre dès le prologue de The Chant que la Prismologie date des années 70, et qu’elle n’a pas forcément été de bon augure pour la communauté précédente… Autant dire que Jess a fort à faire pour essayer de survivre et de sauver les autres membres de la retraite spirituelle actuelle.
Tout au long du titre, des collectibles seront dissimulés, permettant d’en savoir plus sur le lore du jeu au travers de schémas, de bobines de films et de notes laissées par d’anciens habitants. Non seulement l’île est immense – abritant des mines, une conserverie, un phare, etc. – mais elle possède un lourd passé empli d’événements étranges, à l’instar des protagonistes qui ont chacun une bonne raison d’être ici : tourner la page d’un événement traumatique ou de mauvaises habitudes de vie. Bien des énigmes présentées durant le jeu auront ainsi un lien avec la Prismologie ou la spiritualité, faisant intervenir des formes géométriques qu’on devine sacrées, des prismes très New Age, ou des potions basées sur le mélange d’ingrédients naturels – plus ou moins hallucinogènes ou dangereux, comme le fameux thé aux champignons.
Par ailleurs, la musique du jeu, composée par Paul Ruskay, contribue tout à fait à donner une atmosphère New Age, entre mélodies inquiétantes et planantes. La tranquillité apparente de l’île est contrebalancée par des sons aux accents synthétiques, évoquant un peu les bandes originales des films et gialli des années 70 qui ont aussi inspiré The Chant.
Un gameplay en écho avec la spiritualité
The Chant, non content d’avoir proposé une intrigue assez inhabituelle, étend son thème jusqu’au gameplay du jeu. Jess est une jeune femme ordinaire : elle ne sait donc pas manier une arme à feu, ce qui aurait détonné dans l’histoire. Elle va vite apprendre à se servir de ce qu’elle trouve sur l’île pour se défendre contre les monstres apparus suite au rituel du thé. Sauge, lavande, huile, brindilles, ficelles : autant de plantes ou éléments naturels qu’elle peut utiliser pour confectionner des armes ou des remèdes. Un inventaire très ésotérique, allant des bâtons de sorcière enflammés aux lancers de sel purificateur, qui n’est pas sans rappeler les objets traditionnels pour purifier des maisons hantées ou repousser les mauvais esprits. On reste parfaitement dans le thème du jeu, de façon plutôt originale et rafraîchissante. La maniabilité des combats n’est pas formidable, entre attaques et esquives, mais on s’y fait – tant qu’on mémorise le pattern des ennemis, assez facilement.
Et comme le rituel semble avoir permis à des créatures d’un autre monde (nommé l’Obscurité) de pénétrer dans l’île, le côté spirituel de l’aventure n’est pas à nier. Jess devrait faire non seulement attention à sa jauge de force/corps pour éviter la mort, mais également à sa jauge de mental. En cas d’événements surnaturels brusques ou d’attaques psychiques d’ennemis, le mental de la jeune femme diminue, au point de la faire subir des crises de panique. La seule solution sera alors d’atténuer son état avec une plante, ou bien de l’éloigner du lieu dangereux pour lui éviter la mort. Une troisième jauge existe, celle de la spiritualité. Au fur et à mesure des six chapitres du jeu, Jess récupère les prismes (cristaux de diverses couleurs) des autres personnages : en libérant leur énergie négative, Jess peut alors utiliser des pouvoirs psychiques : un cri pour repousser les ennemis, les immobiliser au moyen de créatures venant de l’Obscurité… Il est d’autant plus intéressant que le prisme et le pouvoir relié reflète en partie la personnalité de son propriétaire : par exemple, les piquants sortant du sol évoquent l’agressivité et la colère envers les autres d’un des protagonistes.
Du rêve spirituel au cauchemar lovecraftien
Le jeu fonctionne en hub, avec le petit village de la communauté servant comme nœud central entre les différentes zones de l’île. On se perd parfois un peu dans certaines zones, le jeu ne proposant pas de cartes mais plutôt de se repérer grâce à des panneaux indicateurs et à la mémoire du joueur. Cependant, chaque lieu a son identité et peut exploiter des énigmes différentes, même si celles-ci ne sont pas forcément très poussées. Chaque endroit est également relié au psyché d’un des protagonistes : l’Obscurité, en se répandant sur l’île, a créé des zones de brumes différentes, où l’ont peut entendre des échos du tourment de chacun. Les monstres même qu’on y trouve varient d’un lieu à l’autre, dans un bestiaire reflétant là encore les thématiques du jeu. Ces créatures évoquent des anciens habitants de l’île, des aspects du lieu où on les trouve (crapauds pour les marais, hommes-chevaux pour d’anciennes écuries), avec un aspect végétalisé très organique, ou bien des masques d’animaux utilisés dans d’anciens rituels sectaires. Quant au boss de fin… il a tout d’une innommable entité horrifique digne de Lovecraft débarquant d’un autre monde par un portail, tout en utilisant intelligemment ce qu’on a vu en terme d’ennemis tout au long du jeu.
The Chant a une ambiance au début paisible, proposant le cadre d’une île très boisée tranquille, mais qui bascule très vite dans l’étrangeté ésotérique. La lumière du jour disparaît, laissant place à une très longue nuit aux couleurs vives et flamboyantes, témoignant d’une direction artistique qui change un peu de l’horreur habituelle (même si des bâtisses et éléments du décor ont un petit air de Resident Evil). Et, peu à peu, le surnaturel empreint de mauvais esprits laisse penser à une horreur cosmique, face aux ennemis, face aux étranges végétaux marins présents, et encore une fois grâce aux tonalités de lumières et couleurs, qui permettent aux joueurs et joueuses d’avoir une atmosphère très originale.
Un Chant sans fausses notes ?
L’originalité du jeu suffit-elle à le rendre excellent ? Visuellement, The Chant est très joli et témoigne d’une direction artistique vraiment travaillée, avec un gameplay parfaitement cohérent avec l’univers du jeu. Mais si les personnalités des personnages trouvent aussi leur écho dans les différents aspects de l’île, on peut regretter qu’ils restent juste des stéréotypes, sans être davantage poussés, ou que le gourou Tyler manque par exemple de véritable ambiguïté pour passer pour un véritable antagoniste. Même Jess, notre héroïne, ne parvient pas forcément à susciter de l’attachement malgré son passé difficile. Les personnages auraient sans aucun doute mérité plus de développement et de caractérisation.
Par ailleurs, il existe trois fins au jeu, selon l’état des trois jauges : mental, corps, spiritualité. Ces jauges évoluent selon le soin que le joueur ou la joueuse y accorde, mais aussi en fonction des réponses à certaines discussions avec les personnages (sans autre conséquence véritable). La fin Spiritualité que j’ai obtenu manquait, à mon sens, de profondeur et de véritable conclusion au jeu ; seule la fin Corps (vue sur Youtube) me paraît un peu plus satisfaisante. Même si l’ambiance est travaillée et prenante, elle manque également pour moi de véritables frissons horrifiques, échouant à effrayer. Cela n’en demeure pas moins un premier jeu équilibré, à l’ambiance et au lore travaillés, et qui permet de voir un nouvel aspect du jeu d’horreur, dans la lignée de la peur cosmique et du folk horror. A découvrir donc, si vous avez envie de sortir un peu des titres horrifiques habituels ! Et espérons que le prochain jeu de Brass Token saura faire preuve de la même inventivité, tout en améliorant les quelques défauts de ce premier titre.
- The Chant est disponible sur PS5, Xbox Series et PC depuis le 3 novembre 2022.