The Callisto Protocol | Cercle de l’enfer spatial

by Hauntya

Un des derniers effets de mode dans le monde du jeu vidéo est le retour à la science-fiction spatiale. Ces derniers temps, on a pu ainsi voir paraître Returnal, Chorus, entendre parler du remake de Dead Space, ou de l’arrivée future de Starfield et The Invincible. C’est justement le co-créateur de la licence Dead Space, Glen Shofield, qui est à l’origine de The Callisto Protocol, produit par le studio Striking Distance. Dès le premier trailer, The Callisto Protocol évoquait l’ambiance et les combats de la trilogie Dead Space, offrant une filiation reconnaissable au premier coup d’oeil. Outre l’hommage évident, le titre parvient-il à prendre malgré tout son propre envol (spatial), détaché de son prédécesseur ?

Cette critique du jeu a été rédigée après une partie sur Playstation 5, permise par l’envoi d’une clé numérique de l’éditeur.

Prisonnier dans l’espace

Un dernier transport de marchandises, juste un dernier avant d’être tranquille – tu parles ! © The Callisto Protocol, Striking Distance Studios, 2022

2320. L’humanité s’est répandue dans le système solaire. Jacob Lee n’est qu’un simple transporteur de marchandises (pas toujours très légales) sur son cargo Charon (du nom du fameux passeur d’âmes dans la mythologie grecque). Malheureusement, lors de son trajet entre Europe et la prison de Black Iron, il se fait aborder par Dani Nakamura, leader d’un groupe terroriste, et ses troupes. La situation dégénère et le vaisseau s’écrase sur Callisto, lune de glaces et de roches du système jovien. Sans ménagement ni explication, le directeur de la prison Black Iron les fait tous deux prisonniers. Jacob se rend compte qu’il est plus qu’au mauvais moment, au mauvais endroit, quand les prisonniers commencent à se transformer en monstres mutants, créant la panique et semant la destruction dans les cellules….

Commençant in media res en nous mettant dans le feu de l’action, The Callisto Protocol se rapproche plus de l’expérience du train fantôme horrifique que de l’angoisse lancinante d’un vaisseau fantôme. Jacob ne cesse d’être propulsé au cœur de l’aventure, entre les couloirs linéaires segmentant le jeu et les séquences de poursuite ou de chute à multiple QTE. Évidemment, on ne peut s’empêcher de penser à Dead Space (dont je n’ai fait que quelques chapitres du premier opus), mais au final, outre l’hommage évident au niveau du gameplay et l’ambiance similaire, les titres n’ont pas tant en commun que cela.

Bienvenue dans le couloir de la mort (et des monstres)

The Callisto Protocol est avant tout un pur jeu d’action et d’adrénaline. Jacob Lee n’est qu’un homme (pas très subtil), et il devra vite apprendre à maîtriser les armes pour survivre au milieu des monstres infestant la prison. Jeté en prison sans explication (on l’a arrêté, empêché de parler pour se défendre, et basta, c’est simple de mettre quelqu’un en prison dites donc), il se retrouve avec un indicateur électronique, à la nuque, témoignant de son numéro de prisonnier mais aussi de sa santé. Au fil du jeu, il récupère plusieurs armes : matraque électrique, divers pistolets (fusil d’assaut, Riot Gun, Skank Gun) dont il pourra user contre ses adversaires. A l’instar du protagoniste de Dead Space, il possède également une sorte de pouvoir de télékinésie, permettant de projeter les ennemis au loin après les avoir attirés à lui. Mais pas de chaussures anti-gravité, ne cherchez pas. Bref, la panoplie d’armes, agrémentés de gels de santé, ne sera pas de trop face aux nombreuses mutations errant dans la prison et sur la lune Callisto.

Des imprimantes 3D laissent régulièrement la possibilité d’améliorer les armes au cours du jeu. Un aspect bienvenu, comme la difficulté se fait croissante, et les mini-boss plus présents au fur et à mesure de l’histoire. Le joueur ou la joueuse, en parcourant les couloirs linéaires du jeu, n’aura en effet guère le choix que de se coltiner des combats acharnés et particulièrement brutaux. Il est impérativement nécessaire de maîtriser l’esquive et la projection télékinétique, ainsi que de mémoriser les patterns des ennemis, s’il ou elle veut avoir une chance de s’en sortir face aux horreurs de Black Iron. Si parfois, une possibilité d’autre chemin s’offre à Jacob, c’est pour mieux aller récupérer des données audio sur le lore du jeu, ou des éléments pour crafter les armes, moyennant quelques mauvaises rencontres en chemin. Mais il est tellement essentiel d’améliorer ses armes, qu’on ne peut qu’emprunter ces corridors secondaires avant de revenir au couloir principal.

Mourir, recommencer, beaucoup trop de fois, avec un sens du démembrement marqué © The Callisto Protocol, Striking Distance Studios, 2022

Car, disons-le clairement, The Callisto Protocol est un jeu de survival horror : chaque balle est comptée. Les combats sont brutaux et particulièrement gores, notamment dans les nombreuses scènes de morts où Jacob se fait démembrer. Et pour mourir, vous allez mourir ! La difficulté des combats est corsée, tant il est compliqué d’affronter plusieurs vagues d’ennemis, tant certains boss peuvent vous tuer en un seul coup si vous vous approchez trop près. La difficulté ne vient pas tant des monstres, qu’également du héros qui se déplace comme un tank et prend un temps réaliste pour changer d’armes et se soigner : autant dire que changer d’arme, car vous êtes à court de balles sur celle actuelle, peut vous coûter la vie.

Si certain(e)s peuvent apprécier ce genre de défi sadique dans un jeu vidéo, cela a été loin d’être mon cas, après (trop) de morts frustrantes qui m’ont fait passer en mode facile, puis un certain mini-boss (le mutant à deux têtes) sur lequel j’ai persisté beaucoup trop de temps à mon goût. Au point d’actionner toutes les aides à la visée et même le mode d’accessibilité en contraste élevé (pour les personnes daltoniennes) afin de me faciliter la tâche. Le boss final étant étrangement plus facile… Et malheureusement, ce n’était pas l’intérêt de l’intrigue qui me donnait envie de persévérer.

Bref, The Callisto Protocol ne fait dans la dentelle en proposant de l’adrénaline pure, des combats viscéraux dans le sens où ils sont particulièrement graphiques et gores. Et c’est bien là son problème : se contenter, au final, d’être brut(e).

Hors de la lune, point de salut

Des tentacules et des oeufs partout, ces mutants n’ont aucun savoir-vivre et aucune hygiène © The Callisto Protocol, Striking Distance Studios, 2022

Le scénario est convenu, rappelant de multiples films de science-fiction utilisant ses tropes : le héros coincé dans un vaisseau spatial empli de monstres, la lune recouverte de glaces, les révélations de l’origine des monstres, la vérité sur la cargaison du Charon, la rébellion incarnée par Dani Nakamura contre le système en place… Rien n’est surprenant ni particulièrement original. Le fait que tout soit convenu sert finalement de prétexte à un jeu empli d’action, où l’on fonce plutôt que de prendre le temps de décortiquer le lore (pas bien passionnant non plus, d’ailleurs), grâce à des données audio à collecter ici et là et aux cinématiques parcourant le jeu. Encore aurait-il fallu que le gameplay soit un peu plus fun et moins punitif pour y prendre vraiment plaisir.

Ce n’est pas pour son histoire qu’il faut découvrir The Callisto Protocol, ni pour ses personnages, trop peu caractérisés et établis pour être attachants ou pour que le joueur ou la joueuse s’y identifie – et ce, malgré l’excellente capture des visages des différents acteurs. Les expressions de Josh Duhamel à Karen Fukuhara sont ainsi fidèlement retranscrites, jusque dans les détails de sueur et de sang. Dommage que la synchronisation labiale médiocre et les erreurs de mixage (amenant des répliques en anglais dans la version française) gâchent l’immersion.

Non, si on vient vers The Callisto Protocol, d’après les trailers et aperçus du jeu, c’est plutôt pour son ambiance et l’envergure de son aventure spatiale. Les premières images du titre transpiraient l’hommage et l’inspiration à Dead Space, et étaient probablement un argument de vente. Force est de constater que si Black Iron est une prison spatiale aux détails soignés – jeux de lumière magnifiques, couloirs désertés empreints de bruits inquiétants – elle n’a pas pour autant le charme des décors de Dead Space. L’audio n’est pas aussi immersif ni aussi anxiogène que dans Dead Space ; si le plaisir d’exploration est là au début du jeu, il s’émousse tant tout devient répétitif. Un couloir, des monstres (lorgnant du côté d’Alien, parfois, autant que du côté The Last of Us) ; un couloir secondaire, des monstres avec jumpscare après avoir récupéré de quoi crafter des armes ; quelques plans-séquences à QTE mêlant adresse et sensations fortes, à la manière de certaines séquences d’Uncharted. Et bis repetita. Après tout, l’enfer, c’est la répétition.

Et puis on voit les clins d’oeil à Dead Space, entre le « Restez silencieux, tirez sur les tentacules » qui remplacent les « Coupez les membres » écrits en sang sur les murs, l’indicateur de santé ou de pouvoir de télékinésie du personnage, le côté tank. Le jeu cite trop (tout en l’assumant) Dead Space pour son propre bien, sans vraiment jouer dans la même cour.

On ne peut nier un immense travail sur les effets de lumière, sur l’exiguïté de certains couloirs ou sur le côté organique dégueulasse à souhait des mutants, ni nier la qualité de certains bruits d’ambiance où on entend les ennemis se déplacer en parallèle de votre couloir. Mais parfois, on les aperçoit du coin de l’oeil ou passer au loin, comme un classique cliché de l’horreur vu et revu. La bande-son peine à nous immerger et à faire planer un sentiment d’angoisse durant notre partie, se contentant de donner l’impression de montagnes russes de l’espace, sans véritable saveur ni effroi. Pourtant, le jeu utilise avec intelligence les manettes haptiques de la Playstation 5, s’en servant pour nous faire ressentir les coups lors des combats, ou les vibrations des ventilateurs géants dans les couloirs de la prison.

Un rare moment de contemplation au milieu d’une course effrénée © The Callisto Protocol, Striking Distance Studios, 2022

Les seuls moments où le jeu parvient à susciter un sentiment, c’est en découvrant l’immensité froide et enneigée de Callisto, lorsque le jeu nous autorise à sortir de la prison. Là, on a un sentiment de solitude glaçant, d’admiration aussi devant cette grandeur neigeuse désolée. Enfin, on se sent minuscule et impuissant dans l’espace, où personne ne vous entend, personne ne viendra à notre secours. Le seul autre moment témoignant d’une idée inventive et moins répétitive, est lors de la plongée de Jacob dans les souvenirs de Dani, vers la fin du jeu. Le passage sème pendant un instant le trouble en nous projetant dans un tout autre décor, au look et aux couleurs cyberpunk séduisants. Hélas, ce passage, tranchant avec la répétitivité des couloirs spatiaux, est bien trop court. Le jeu a des qualités, et un grand travail a été fourni par le studio, à n’en pas douter au vu de la qualité graphique ou de certaines ambiances, pour un premier titre. Mais cela ne suffit pas à contre-balancer ses défauts.

Conclusion

Que retenir de The Callisto Protocol ? Si vous aimez les défis corsés, les combats difficiles et gores, certains films de science-fiction où l’histoire sommaire ne sert que de prétexte à l’action, sans doute que le jeu vous plaira. A condition que la rigidité du gameplay ne vous donne pas envie d’envoyer le jeu valser. Mais si vous recherchez un héritier dans l’âme de Dead Space, ou un jeu de survival horror dans l’espace empreint d’une vraie angoisse, alors il vaudra mieux attendre le remake ou se tourner vers un Alien : Isolation.

  • The Callisto Protocol est disponible depuis le 2 décembre 2022 sur PC, Xbox Series et Playtation 4 et 5.

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