Licence phare du petit monde des J-RPG, Star Ocean n’a peut-être pas la renommée de quelques autres de ses congénères, mais il en a indéniablement l’histoire. Née sur PlayStation en 1996, la saga créée par tri-Ace pour le compte d’Enix (puis Square-Enix) a su capter son public avec quelques succès d’estime, notamment son troisième épisode sorti en 2003 sur PlayStation 2. Et le temps passe vite, à tel point que l’on en est rendu aujourd’hui au sixième opus avec Star Ocean : The Divine Force, un titre qui promet plus de liberté que jamais, pour une saga qui a toujours eu des accents d’exploration spatiale avec des mondes très variés.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire PlayStation 5 par l’éditeur.
Choc des civilisations
L’histoire de ce nouveau Star Ocean débute par une rencontre qui n’aurait jamais dû avoir lieu : Raymond Lawrence, en pleine mission de transport dans l’espace, est attaqué et s’écrase avec son vaisseau sur une planète qu’il ne connaissait pas. Une planète qui apparaît sous-développée, avec ses princesses et chevaliers, sa magie et ses villages de fermier·ères. Il y rencontre la Princesse Laeticia, en quête d’allié·e·s pour protéger son peuple de l’Empire, une force du mal incarnée par un camp dont on ne sait trop rien pendant plusieurs heures mais qui, selon les dires des personnages, pourrait avoir un impact sur l’équilibre du monde. À leurs côtés, Albaird, un proche de la Princesse et plus tard, d’autres compagnons que l’on se fait en chemin, comme l’androïde Helena que l’on retrouve et qui était initialement du voyage avec Raymond, ou encore Nina et Midas, qui apportent leur magie au groupe. Petite particularité qui ressemble à un hommage au deuxième opus de la saga, Star Ocean : The Second Story, le jeu propose de suivre l’histoire soit sous l’angle de Raymond, soit celui de Laeticia. Si cela n’a pas d’impact sur les combats et l’exploration notamment où l’on peut incarner indifféremment n’importe quel personnage de notre groupe, le choix initial détermine quelques scènes cinématiques mais aussi quelques bouts de jeu où les deux protagonistes sont séparés. Notamment au tout début avec la séquence introductive qui diffère, mais aussi quelques passages par la suite. Heureusement, l’essentiel de l’aventure reste identique, les variations relevant plutôt d’une différence de point de vue sur certains évènements. Mais le jeu ne manque jamais de dire quelques mots sur ce qui est arrivé à l’autre personnage quand il n’est pas avec nous, évitant ainsi de devoir parcourir le jeu deux fois pour tout comprendre.
Raymond et Laeticia viennent de milieux très différents et ont donc aussi des caractères et des ambitions qui diffèrent, et si les deux sont caricaturaux, c’est quand même des personnages assez attachants. Laeticia est dévouée à son peuple et prête à tout pour éviter la guerre à venir, tandis que Raymond est un aventurier un peu tête brûlée, les deux formant un duo plutôt sympathique dans un monde qui ne manque pas de mettre en exergue les particularités de ses protagonistes, mais aussi de les confronter à leurs propres histoires, leurs hésitations et leurs contradictions. Il y a notamment tout un arc sur l’appartenance royale de Laeticia et ce que cela implique comme impact sur sa vie et son action vis-à-vis du peuple, ainsi que de nombreux moments où Raymond est confronté à des us et coutumes qui ne correspondent en rien à la société futuriste et hyper-technologique à laquelle il est habitué. Quant aux autres membres du casting qui nous rejoignent au fil de l’aventure, on reste dans quelque chose de très archétypal, entre le magicien mystérieux et la jeune fille très enfantine qui dispose des sorts de soin. Plus encore, c’est le chara design qui semble tout droit sorti d’un J-RPG d’il y a quinze ou vingt ans avec un aspect très « plastique » au visage des personnages, et qui rappelle le côté très hors du temps et kitsch des Star Ocean (tel un Star Ocean : The Last Hope). Difficile toutefois de juger le jeu là-dessus, car cet élément relève purement d’une appréciation personnelle. N’ayant aucune attache particulière à la licence Star Ocean, et pour être tout à fait honnête ayant un avis plutôt négatif dessus, il peut être compliqué d’y voir cette sorte de Madeleine de Proust que ce chara design daté évoque à nombre de ses fans. Mais cela existe bien et se comprend, d’autant plus que ce nouvel épisode a parfois un ton nostalgique, comme s’il regrettait l’époque où la série est née, où les J-RPG foisonnaient d’idées et ne s’imposaient aucune limite.
Cette note d’intention clairement identifiée dès le début de l’aventure ne l’empêche toutefois pas d’échouer à captiver aux premiers instants de son aventure. Avec un rythme fastidieux pour sa narration, le jeu prend un temps fou à se lancer et à dévoiler ses intentions, avec une histoire qui ne commence à prendre de l’épaisseur qu’au bout d’une dizaine d’heures, soit un bon tiers du jeu complet (puisqu’il faut compter une trentaine d’heures pour en voir le bout). Avant cela l’essentiel de l’histoire se conte au travers de dialogues entre les personnages lors de phases d’exploration, des dialogues auxquels on ne comprend pas toujours grand chose tant le jeu a tendance à balancer des noms de personnages et de lieux avant même de les avoir introduit. Mais il échoue aussi à expliquer de manière convaincante ses enjeux, en nous mettant dans la peau d’un explorateur de l’espace et d’une princesse qui sont habité·e·s par une forme d’urgence face à la situation, sans que l’on ne comprenne trop ce qui les pousse à répéter aussi souvent que le temps est compté. Et on va pas se le cacher, cela risque de pousser beaucoup de joueur·euses à lâcher le jeu après une poignée d’heures, alors que le titre arrive par la suite à offrir quelques grands moments. Grâce à des personnages qui se livrent enfin et qui attisent une certaine sympathie, tandis que l’aventure prend une nouvelle envergure dans la seconde moitié du jeu, rappelant les origines de la saga avec son goût certain pour la liberté (que l’on ressent assez vite grâce à l’immensité de quelques zones) et pour l’exploration de mondes et de zones complètement différentes. Et puis si l’exploration c’est pas votre truc, découvrir de nouvelles villes est toujours une bonne occasion d’une partie de Es’owa contre habitants que l’on croise, un jeu de stratégie assez rigolo qui se joue avec des pions qui disposent chacun de leurs propres capacités, sur une zone quadrillée où il faut contourner et bloquer les pions adverses. Un mini-jeu secondaire dans la plus pure tradition des J-RPG.
Le combat, la force habituelle de Star Ocean
Le système de combat, sur lequel on attend évidemment le jeu compte tenu de l’histoire de la saga (qui n’a que très rarement déçue sur ce point), est heureusement une réussite : extrêmement nerveux, il offre de nombreuses variations de combos à régler soi-même avec les aptitudes et coups débloqués que l’on assemble dans un menu pour créer nos propres enchaînements sur trois boutons de la manette (sur PS5, on assigne des combos différents sur carré, rond et triangle). De quoi permettre au gameplay d’évoluer sensiblement à mesure que l’on avance dans l’aventure, évitant de tomber dans la platitude des combats d’un Star Ocean : The Last Hope par exemple, qui peinait à se renouveler sur la durée. L’action est d’autant plus frénétique que les combats se font aussi dans les airs, avec la possibilité de réaliser des dash vers les ennemis volants. Certes l’action est limitée par des points d’action qui se rechargent lorsque l’on arrête de frapper et de courir, mais ceux-ci se régénèrent suffisamment vite pour rester dans une approche très typée action, avec une forte orientation sur l’observation des patterns ennemis pour les éviter. Sachant qu’il est également possible de sauter et de réaliser des combos plus aériens, ou encore d’augmenter le nombre de points d’actions disponibles en frappant des ennemis lorsqu’ils sont en état de stun, on peut dire que les combats apportent toujours une petite dose de folie à une exploration assez plate par ailleurs. La faute à des donjons assez répétitifs et sans trop de grands moments.
Il faut ainsi construire son équipe pour que l’alchimie prenne avec les différents combos, ce qui est parfois fastidieux : l’approche initiale est assez brute, le système de création de combos obligeant à se balader dans un menu pas franchement accueillant où rien n’est trop expliqué. Ca prend un peu de temps, mais une fois trouvé les bons sorts et coups, on prend un plaisir certain à voir nos allié·e·s s’en donner à cœur joie pour démonter un peu tous les monstres que l’on croise, même si l’IA manque souvent de jugeote. Elle peine notamment à aborder l’importance de chaque action, comme la magie de support de Nina qui sort un peu n’importe quand, puisqu’elle décide de soigner quand c’est pas vraiment nécessaire ou de booster l’attaque quand on a clairement besoin de vie. Mais la petite originalité du titre sur ses combats est le système D.U.M.A., un robot volant qui nous accompagne et qui nous permet soit de nous protéger des coups avec un bouclier plutôt utile, soit de faire des dash lors de l’exploration pour monter en hauteur ou en combat pour surprendre des ennemis. C’est aussi ce petit robot qui permet de réaliser une attaque dévastatrice quand une barre d’ultime est pleinement chargée. Malheureusement, la barre ne se charge que pour le personnage que l’on contrôle, nos compagnons n’en profitant pas, sauf si l’on change de personnage à la volée régulièrement au sein des combats afin de faire charger les autres.
La présence du robot est d’autant plus salvatrice que l’exploration est cette fois-ci plus verticale que d’habitude, en explorant de grands donjons et plaines où l’on n’hésite jamais à s’envoler ici et là pour trouver des trésors ou réussir de minuscules puzzles rarement bien compliqués. Cela apporte un vrai plus à un titre où tri-Ace a bien compris que l’exploration dans les précédents titres de la saga pouvait parfois pénible. Ici, tout va assez vite, entre la vitesse de déplacement des personnages qui est extrêmement rapide et le dash avec le robot qui permet de s’envoler brièvement pour mieux aborder les alentours. Ce qui plaît surtout sur ces phases d’exploration, c’est que le jeu est très généreux en ambiances diverses, en mondes aux couleurs variées et en zones qui savent enchanter malgré les graphismes assez pauvres. La promesse initiale de la licence, celle de l’exploration spatiale avec tout ce que l’univers pourrait offrir est relativement bien remplie. Même si cela ne gomme pas tous ses errements narratifs souvent franchement pénibles, empêchant le jeu de dépasser ce stade un peu trop attendu du « jeu moyen » qui est souvent allé de paire avec la licence.
Du tri-Ace tout craché
D’autant plus que Star Ocean : The Divine Force surprend assez peu sur le plan artistique, en faisant exactement ce que l’on attend de la part de tri-Ace. J’ai évoqué plus tôt son chara design extrêmement daté et très proche de ses prédécesseurs, mais il y a aussi son univers très généreux. Foisonnant d’idées avec une immersion immédiate dans un mélange de cultures et de civilisations, un élément propre à la saga, où l’exploration spatiale a toujours amenée ses personnages vers des mondes parfois à la limite du croyable. Et c’est incarné ici avec l’opposition surprenante entre Raymond, sa technologie de pointe, et le côté très médiéval de la planète où il atterrit et rencontre Laeticia. Mais tri-Ace c’est aussi des mauvais côtés, dont un en particulier auquel n’échappe pas ce nouvel épisode : le design sexiste de ses personnages féminins. Si Laeticia s’en sort pas trop mal, même si l’on reste dans quelque chose d’assez moyen, je pense surtout à Helena et Nina qui sont hyper-sexualisées avec une combinaison ultra-moulante au design douteux pour Helena, et un décolleté très plongeant pour Nina, sur lequel la caméra s’attarde souvent alors qu’elle est décrite comme n’ayant que quinze ans. L’écriture souffre aussi de problèmes inhérents à la licence, avec une naïveté très classique pour celle-ci, qui tente souvent de se maquiller en innocence, mais qui apparaît comme trop enfantin compte tenu des enjeux, notamment dans la deuxième moitié du jeu où certaines thématiques plus graves sont traitées avec une légèreté mal dosée.
Le jeu peut toutefois au moins compter sur la musique de Motoi Sakuraba qui, sans faire de miracles, propose une bande originale tout à fait agréable, qui accompagne plutôt bien l’exploration d’un monde somme toute sympathique, avec des zones très diverses et quelques jolies architectures. Celles-ci ne sauraient toutefois faire oublier le déficit technique d’un jeu qui semble tout droit sorti d’une autre époque. On est en effet face à un jeu très faible visuellement, avec un moteur 3D qui n’aurait rien eu d’impressionnant sur la génération précédente, mais qui se permet quand même de ramer sévèrement dans certaines zones sur PlayStation 5. Un élément difficilement compréhensible, d’autant plus que ces chutes de framerate interviennent essentiellement sur des combats où les ennemis sont nombreux et les dangers, par conséquent, plus grands que d’habitude.
Alors oui, sans trop de surprise, Star Ocean : The Divine Force est le jeu moyen que l’on attendait après avoir vu les nombreux trailers depuis son annonce initiale. Parce que depuis longtemps, la licence Star Ocean végète dans un état qui lui permet de maintenir une certaine base de fans, offrant des jeux sympathiques tout au plus, mais ne parvient jamais à proposer quelque chose de véritablement marquant. Certes son système de combat est abouti, son exploration sympathique et ses personnages attachants, mais son écriture reste dépassée, son rythme complètement raté et pire encore, le jeu s’appuie encore et toujours sur des archétypes dépassés et un chara design que l’on n’a plus vraiment envie de voir en 2022. Mais… Il y a du cœur. Et n’est-ce pas là l’essentiel ? Star Ocean : The Divine Force incarne une autre époque, une naïveté assez évidente face à l’industrie où un studio propose sa vision du J-RPG sans même prendre le temps de jeter un œil aux améliorations apportées à leur propre formule par d’autres jeux qui l’ont reprise pour la sublimer. Et pour ces raisons, bizarrement, ce jeu ne serait-il pas, au fond, mon jeu de l’année ? Parce que j’ai habituellement assez peu d’amour pour Star Ocean, parfois même un peu de haine (on me rendra jamais les heures passées à souffrir sur The Last Hope) et pourtant, et bien, je me suis bien amusé, et j’ai de la tendresse pour ce jeu qui sait parfois être surprenant malgré lui, attachant sans trop le vouloir, et attendrissant pour sa nostalgie d’une époque qu’il est le seul à regretter.
- Star Ocean : The Divine Force est disponible depuis le 27 octobre 2022 sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X|S.