Bien qu’aujourd’hui la saga des Megami Tensei brille plutôt du côté de son spin-off Persona, dont les derniers épisodes ont connu de jolis succès (et on vous disait d’ailleurs beaucoup de bien du dernier épisode sur Pod’Culture), elle n’oublie pas d’où elle vient. Avant de se décliner en de multiples séries, la saga s’est d’abord illustrée avec les Shin Megami Tensei. Une série de J-RPG dont le troisième épisode sous-titré Nocturne (ou Lucifer’s Call dans sa version Européenne) sorti en 2003 sur PlayStation 2 garde encore une bien belle réputation. Alors qu’un cinquième épisode a été annoncé l’année dernière, son éditeur Atlus en profite pour remasteriser le troisième opus en le ramenant ces jours-ci sur PlayStation 4 et Switch. L’occasion pour nous de voir si, en 2021, l’un des piliers de la saga est encore à la hauteur de son image.
Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur. Le jeu a été parcouru sur PlayStation 5 en rétrocompatibilité PS4.
L’appel des enfers
Si l’on devait définir l’ambiance de Shin Megami Tensei III, il faudrait certainement la qualifier d’unique, aussi déroutante que malsaine. Tout commence quand un lycéen tokyoïte rend visite à sa professeure à l’hôpital, un lieu désert et qui semble avoir été complètement vidé. Les choses prennent vite une tournure surnaturelle, lorsqu’il trouve enfin sa prof qui lui annonce que le monde va renaître grâce à la « Conception », rasant le monde tel qu’il était pour le recréer sous une autre forme. Il assiste ainsi à la destruction de Tokyo, faisant disparaître toutes les personnes qui n’étaient pas dans l’hôpital à ce moment-là. Dans le nouveau monde, des démons apparaissent, et le héros se transforme en créature mi-humaine, mi-démon. S’ensuit une quête pour plus de pouvoir, et pour trouver une signification à ce monde qui voit s’opposer des sortes de divinités dans des bondieuseries qui tombent vite comme un cheveu sur la soupe. En effet, le jeu invite régulièrement à faire des choix qui mettent en jeu la « Raison » du héros, des choix où des simili-divinités tentent d’amener ce héros mi-démon vers leur camp pour profiter de son pouvoir, dans une grande histoire aux forts accents religieux avec en toile de fond une sorte de « Jugement dernier ». Le récit trouve vite ses limites : les entités pseudo-divines sortent de nulle part, les choix ont des conséquences difficilement identifiables, à tel point que l’on se sent vite perdu dans un univers qui semble pourtant clair comme de l’eau de roche à chacun des personnages que l’on croise.
En naviguant dans cette sorte de Néo-Tokyo, ce qui frappe c’est la confusion entretenue longtemps sur ce qu’il se passe réellement. Si l’idée de laisser le héros dans le flou est plutôt intéressante, il y a une dissonance assez surprenante entre les explications hasardeuses apportées au compte goutte dans un univers difficilement compréhensible, et l’apparente facilité pour tous les personnages secondaires (qui ont atterri là en même temps que le personnage principal) à comprendre absolument tous les tenants et aboutissants d’un monde qui n’a pas grand chose à voir avec leur réalité. A tel point que l’on perd vite le fil et qu’il devient difficile de retrouver de l’intérêt pour le destin de ce monde, même après quinze ou vingt heures à y errer et à suivre une quête principale dont les enjeux terribles paraissent bien anecdotiques au regard du peu d’attachement que l’on ressent pour des personnages le plus souvent mal caractérisés. Car Shin Megami Tensei III souffre bien de ses personnages vides, rarement intéressants, aux motivations assez improbables alors que leur vie est bouleversée par une apocalypse surnaturelle. On n’y croit jamais trop, pas plus qu’à ce héros devenu mi-démon qui, comme bon nombre d’autres J-RPG, est une coquille vide qui ne s’exprime jamais et qui n’a pas de personnalité définie. Mais là où d’autres font vivre l’histoire et provoquent un attachement inévitable à son héros en faisant parler ses compagnons et en vivant de grandes aventures, Shin Megami Tensei III préfère isoler son protagoniste et n’en faire qu’un spectateur apathique du récit.
Fort heureusement, un des intérêts du jeu réside plutôt dans sa direction artistique qui, même si elle est inégale, offre quelques ambiances fascinantes et des zones plutôt jolies malgré l’âge du jeu. L’univers du jeu est intriguant grâce à son ambiance, et profite surtout de tout le travail effectué sur l’ambiance sonore avec les compositions de Shoji Meguro. Toujours d’excellente facture, la bande originale du jeu joue un rôle central dans cet univers si marquant, presque inoubliable, même si l’on aurait aimé que la musique profite également d’une remasterisation. Il faut en effet souvent se contenter d’une compression sonore d’époque, loin de ce que les consoles modernes sont capables d’offrir. Le travail du compositeur habituel des Shin Megami Tensei et Persona est si bon qu’on ne peut qu’être déçus devant le choix de ne pas retravailler la bande originale pour en affirmer, enfin, toutes les qualités.
Une progression déconcertante
Mais si son histoire n’est pas ce qu’il y a de plus séduisant dans le titre, c’est surtout son système de combat et de progression qui a su montrer ses qualités et lui donner sa petite renommée. On y trouvait déjà à l’époque le système qui a été repris ensuite par les Persona, avec ces monstres que l’on peut recruter et fusionner pour en obtenir de plus puissants. C’est d’ailleurs le principal moyen de gagner en puissance, puisque notre cher mi-démon n’a aucun compagnon si ce n’est les démons qu’il recrute (en cédant à leurs caprices : leur donner des sous, des objets et répondre correctement à une question), dont le gain en puissance se retrouve vite limité. Il faut ainsi passer par la sacro-sainte fusion, si chère à la saga, qui permet de récupérer des démons encore plus forts fusionnant plusieurs d’entre eux. C’est un système qui fonctionne terriblement bien, encore aujourd’hui, même s’il a été depuis largement amélioré par la série des Persona. A cela on ajoute un système de « Magatama » qui consiste à ingérer de sortes d’insectes récupérés ici et là, qui confèrent des pouvoirs passifs que l’on équipe comme bon nous semble afin d’être plus résistants à certains éléments, et de pouvoir débloquer certaines compétences sur le héros. Cela amène plus de versatilité et surtout oblige à bien connaître les ennemis de chaque zone, afin d’en exploiter les faiblesses.
Car les combats reposent là-dessus, on reste sur de l’action au tour par tour avec la possibilité de gagner un tour en exploitant les faiblesses des ennemis. Il faut ainsi essayer, encore et encore, jusqu’à trouver les bons paramètres qui permettent de survivre dans chaque zone ou face à chaque boss. Cela rend d’ailleurs le jeu parfois particulièrement frustrant, avec des pics de difficulté qui ne laissent aucune chance de se retourner si l’on n’a pas le bon mélange de Magatama et de démons sous la main. Ce système basé sur le « die and retry » (où il faut essayer et mourir jusqu’à trouver l’association parfaite) est parfois terriblement décourageant face à des boss qui font soudainement exploser la difficulté, à tel point que le mode normal est frustrant, tandis que le mode difficile n’est à réserver qu’aux personnes qui aiment se faire du mal. Ne fuyez pas encore tout à fait : le remaster vient avec un nouveau mode « permissif ».
Mi-figue, mi-démon
Le remaster a en effet la bonne idée de s’accompagner d’un mode facile, intitulé « permissif », à télécharger en parallèle et gratuitement. On se retrouve dans le sens inverse du jeu de base ici puisque le mode est si permissif qu’il en devient presque impossible de perdre un combat, avec une forte diminution des dégâts des ennemis, une augmentation des dégâts du héros et ses démons ainsi qu’une multiplication considérable de l’argent et de l’expérience gagnée. Cela permet de faire l’histoire du jeu sans se soucier des combats, et c’est un excellent ajout qui permet d’ouvrir le titre à plus de monde. Il aurait toutefois été appréciable qu’en plus du mode permissif le jeu puisse proposer un mode entre les deux, ni trop simple ni aussi frustrant que le jeu original, qui permette d’aborder son aventure d’une manière plus accessible sans pour autant annihiler complètement l’intérêt des combats.
D’autant plus que cela ne gomme pas une autre difficulté du jeu, celle de son cheminement. Sans être particulièrement difficile sur ce point, le jeu n’en reste pas moins assez obscur sur le chemin à suivre lors de certains passages du jeu, poussant à l’exploration pour essayer de trouver le prochain point de l’histoire. La carte du jeu n’est toutefois pas très grande et on s’aperçoit vite quelles sont les zones réellement accessibles à chaque point de l’histoire. Le titre aurait toutefois gagné à offrir plus d’explications sur son système de combat et de progression, ce remaster étant aussi avare que l’original en la matière : il faut expérimenter à l’aveugle, jusqu’à enfin comprendre correctement chaque système de jeu. Mais surtout le remaster peine à cacher l’âge du jeu. Plutôt vilain, et même s’il est évidemment plus fin que l’original sur PS2, Shin Megami Tensei III Nocturne HD n’est pas vraiment ce qu’il y a de plus agréable à regarder. Sa direction artistique tantôt très intéressante, tantôt plus paresseuse, ne permet pas non plus de passer outre un aspect visuel franchement vieillot. Cela donne finalement l’impression d’avoir entre les mains un remaster sans trop de prétention ni véritable envie d’amener le jeu original vers de nouveaux horizons. On est face au jeu tel qu’il était il y a quinze ans, avec un léger lifting et un DLC payant pour voir la fameuse apparition de Dante (de Devil May Cry), un personnage pourtant inclus d’office dans la version Européenne du jeu sortie en 2005.
Remasteriser Shin Megami Tensei III était certainement une bonne idée tant les années n’ont pas été tendres avec le titre. Néanmoins on aurait pu espérer un peu plus d’améliorations, puisqu’en dehors de quelques options de confort (un mode facile, la possibilité de sauvegarder à tout moment) et un léger lifting visuel, le jeu est peu ou prou le même que celui sorti il y a une quinzaine d’années. Avec ses défauts, sa difficulté relevée, mais aussi ses qualités d’ambiance et sa super bande-son, malgré la compression audio. C’est bien le meilleur moyen de découvrir le titre, néanmoins ce remaster met aussi en exergue l’âge d’un jeu qui a bien du mal à traverser les époques et à séduire de la même manière qu’il aurait pu le faire en son temps. Presque anachronique, le titre peine à faire bonne figure de nos jours.
- Shin Megami Tensei III Nocturne HD Remaster est sorti le 25 mai 2021 sur PlayStation 4 et Switch.