Oxenfree 2 – Lost Signals | Trouver la bonne fréquence

par Reblys

L’arrivée à maturité du jeu vidéo indépendant s’est accompagnée de l’éclosion de toutes sortes d’expériences narratives, qui ont ravi joueurs et joueuses de toutes les sensibilités. Qu’elles se rapprochent du visual novel, du walking simulator ou du walk and talk, les studios, et les auteurs et autrices qui les composent, ont rivalisé de talent et de travail pour nous offrir des histoires qui n’ont rien a envier à celles racontées par des formes d’expressions plus anciennes, en prenant pleinement conscience des spécificités de leur medium. Mais malgré ce foisonnement de réussites, Night School Studio tient une place tout à fait à part dans l’univers des jeux narratifs. Il est arrivé dans le game en 2016 avec Oxenfree, auréolé d’un succès critique et populaire aussi franc que mérité, avant d’enchainer en 2019 avec Afterparty, qui a relevé pleinement le pari de changer complètement d’univers, mais ne semble pas avoir acquis le même statut « culte » que son prédécesseur. 4 ans plus tard le studio revient avec une suite à Oxenfree, que je viens de terminer une première fois, et qui se hisse sans soucis à la hauteur de son auguste lignage.

Cette chronique a été écrite à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur

Échos du passé

© Netflix, Night School Studio

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il me semble important de prendre un moment pour expliquer en quoi les jeux Night School Studio sont si importants dans le vaste paysage des jeux narratifs. Oxenfree comme Afterparty ont pour personnages principaux des jeunes gens (adolescents dans Oxenfree, jeunes adultes dans Afterparty), qui seront mis aux prises avec des évènements clairement paranormaux et des situations qui les amèneront à révéler ce qu’ils ont au plus profond d’eux. Les jeux Night School prennent la forme d’un voyage de quelques heures (4 à 5 environ pour les jeux Oxenfree, 7 à 8 pour Afterparty) adoptant la technique narrative du « Walk and Talk ». C’est à dire que la majorité du gameplay va consister à choisir des réponses parmi plusieurs proposées, en temps réel, lors des dialogues qui peupleront les actions et déplacements des personnages. Oxenfree et Afterparty ont été assez largement reconnus parmi les expériences narratives maitrisant le mieux le rythme si particulier de cette technique, en l’assortissant d’une replay value vertigineuse lorsqu’on se rend compte que beaucoup de choix dans les différentes répliques ont des répercussions sur des points clé de l’intrigue, les relations entre les personnages, et surtout les différentes fins possibles. Les jeux Night School font partie de ces aventures qui ne se dérouleront clairement pas de la même manière pour chaque joueur ou joueuse. Le genre d’expérience qui donnerait naissance à des discussions du type « QUOI ? Truc a fait ça dans ta partie ?? Mais comment t’as fait ??? » et autres réjouissances qui laissent seulement entrevoir l’entreprise pharaonique menée à bien à chaque jeu par Adam Hines, pour que chaque détail s’intègre dans une cohérence globale sans même qu’on s’en rende compte.

Cette technique narrative, signature du studio, laisse une grande place au « roleplay » dans la manière dont on choisit de mener l’intrigue. La plupart du temps, on n’a pas vraiment l’impression de jouer un personnage lorsqu’on joue à un jeu Night School, mais plutôt de le découvrir alors qu’on en écrit nous-même l’histoire, à l’aide des réponses prédéfinies parmi lesquelles on nous laisse le choix. Ce petit décalage par rapport à l’incarnation habituelle du personnage fait qu’on est plutôt en train de le diriger comme un acteur ou une actrice, au lieu d’en faire notre avatar. Ce faisant, l’identification aux personnages joue tout de même, mais le studio reste libre de développer des thématiques qui toucheront bien souvent à l’intime et aux obstacles que tout un chacun doit surmonter au cours de sa vie. Et cela semble très important pour Night School. Amener joueurs et joueuses là où ils l’ont décidé, en leur proposant une histoire aux implications profondes, souvent subtilement distillées sous un vernis de banalité ou de légèreté, de laquelle il ne sera pas possible de s’extirper sans avoir été confronté à ce sur quoi ces gens veulent que nous nous interrogions. Un peu comme si c’était leur seconde signature. Peu importe la personnalité qu’on choisira de donner aux personnages que l’on va accompagner, on en sortira rarement indemne.

Retour en terrain connu ?

© Netflix, Night School Studio

Riley Poverly vient d’accepter un travail à Camena, Oregon. Elle retourne ainsi dans sa ville natale, bon gré mal gré. Accompagnée de Jacob, qui n’a lui jamais quitté Camena, elle va devoir aller installer des antennes sur les hauteurs du parc naturel se trouvant autour du hameau. Bien entendu, rien ne va se passer comme prévu, et très vite Riley et Jacob seront rattrapés par leur passé, à travers d’incompréhensibles sauts spatio-temporels…

Dès ses premiers instants Oxenfree 2 ne laisse aucun doute sur le fait qu’on a affaire à une suite. Non seulement car tout dans la direction artistique vient nous rappeler l’univers parcouru dans le premier Oxenfree, mais aussi car on apprend très vite que Edwards Island, théâtre des évènements du premier jeu, se trouve à quelques encâblures de l’endroit où l’on démarre notre aventure. Cette ambiance délicieusement mystérieuse, faite de brouillard verdâtre, de sons radiophoniques et de technologie rétropunk nous replonge immédiatement dans les sensations ressenties en jouant au premier épisode de la série. Pas de surprise non plus concernant le ton et le rythme de l’aventure, lui aussi très proche de ce que pouvait proposer le premier Oxenfree : des personnages arrachés à leur quotidien, jetés dans des environnements naturels pas vraiment hospitaliers, mis face à des responsabilités qui les dépassent, le tout enrobé dans une ambiance synthwave à la Stranger Things et des fulgurances paranormales loin d’être innocentes. Tout fonctionne admirablement bien, peut-être même encore mieux que dans le premier opus. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir un certain manque de nouveauté en jouant à ce second épisode. Un sentiment paradoxal, provoqué par le fait que, alors que les personnages d‘Oxenfree sont projetés loin de leur zone de confort, le Night School Studio semble être resté dans la sienne. En nous proposant une seconde aventure dans la continuité de la première, loin des libertés que j’ai ressenties en jouant à Afterparty et son ambiance à la fois cartoon et démonique.

Ma propre sensibilité me laisse un peu songeur vis à vis de ce choix. Avec le sentiment que la prise de risque opérée avec Afterparty n’a pas vraiment payé, et que le Night School Studio s’est trouvé obligé de revenir sur les bases du succès d’Oxenfree pour s’assurer le retour d’une plus grande partie de leur public, et avec lui une certaine pérennité financière et un avenir créatif plus dégagé. Cette trajectoire ne m’étonnerait pas, en ce qu’elle me rappellerait beaucoup celle vécue par le studio Cellar Door Games, qui après avoir connu un succès colossal avec Rogue Legacy, a flopé avec leur jeu suivant, Full Metal Furies, et a du revenir à leur première licence avec Rogue Legacy 2, pour pouvoir survivre. Cela dit, peut-être qu’Adam Hines avait tout simplement encore des choses à raconter dans l’univers d’Oxenfree, et que ce jeu était une étape logique et souhaitée par le studio. C’est ce que je leur souhaite de tout mon cœur. D’autant que, même si la surprise n’est pas forcément au rendez vous avec cet Oxenfree 2, on a tout de même l’occasion d’y trouver une qualité d’écriture au sommet, sans doute dans la forme la plus aboutie jamais proposée par le studio.

L’Universel dans le singulier

© Netflix, Night School Studio

En effet il faut tout de même souligner que les personnages principaux de cet Oxenfree 2 sont quasiment deux fois plus âgés que ceux du premier jeu, et cela change pas mal de choses dans la manière dont les différentes thématiques sont traitées au sein de son déroulement. Ce changement de perspective permet par exemple de donner une tonalité très différente aux thèmes de la parentalité et de l’acceptation de soi. Déjà présents dans le premier Oxenfree, ils n’ont pas du tout le même impact lorsqu’ils sont exprimés par une adolescente ou un adulte de plus de trente ans. Ainsi le personnage de Jacob exprime les difficultés de toute une frange des trentenaires actuels, perdus entre les attentes qui reposent sur eux et leur rapport aux autres et à leurs propres aspirations. Tandis que Riley, à travers par exemple la relation à ses parents, nous montre que des liens peuvent définitivement se briser lors qu’ils se distendent pendant trop longtemps, et qu’aucune des deux parties ne trouvent comment les réparer. Sous les conversations que Riley et Jacob vont entretenir, on découvre une multitude de détails qui rendent ces personnages particulièrement humains. C’est une des forces évidentes de l’écriture des jeux Night School depuis les débuts, et on la retrouve à nouveau dans Oxenfree 2.

Mais au-delà de la force individuelle de chaque protagoniste, le jeu n’hésite pas à ajouter une petite galerie de personnages secondaires franchement intéressante. Certains seront rencontrés en face à face, d’autres interviendront via le talkie-walkie dont on sera doté.e dés le début de l’aventure. Il ne sera pas rare d’entretenir de longues discussions à distance avec des personnages dont on ne connaît que la voix, ce qui n’est pas sans rappeler un autre monument du jeu narratif sorti la même année que le premier Oxenfree : Firewatch. Cela ne remplacera pas le pandémonium haut en couleur d’Afterparty ou la dynamique de groupe à l’œuvre dans le premier Oxenfree, mais ces dialogues via talkie contribuent à donner un autre sens au fait de prendre un peu d’âge. Le fait que le nombre de relations a tendance à progressivement se réduire, teintant l’âge adulte d’une couleur solitaire qui n’existait pas de cette manière dans les premiers jeux du studio.

Enfin je garde quelques mots pour le scenario proprement dit du jeu, qui, sans trop en dire pour ne rien révéler, permet d’aller encore un peu plus loin dans les thématiques touchant à l’intime que le studio affectionne tant. Les évènements paranormaux à l’œuvre dans les jeux Oxenfree se trouvent être les catalyseurs parfaits pour les émotions et le développement de ses personnages. Tous vont prendre conscience de leurs failles. Tous vont devoir s’y confronter, et nous avec eux. Pour voir ce qui fait écho en eux, ou avec nous. Oxenfree 2 comporte son lot de moments forts, venant nous présenter toute la complexité des relations entre les personnes, ce à quoi elles tiennent parfois (souvent pas grand chose), et ce qu’on peut faire pour les préserver. Et on en sort, comme pour ses prédécesseurs, un peu sonné.es, mais impressionné.es.

Oxenfree 2 n’est pas la petite révolution qu’à été le premier jeu de la série. Sept années ont passé, l’effet de surprise apporté par son système de dialogues à choix multiples n’est plus, quand bien même il est toujours aussi intelligent, toujours aussi maîtrisé, et même poussé dans de nouveaux retranchements. Le cadre, le rythme et le ton du jeu ne viendront pas surprendre celles et ceux qui ont déjà joué au premier Oxenfree et à Afterparty. Il s’agit simplement d’une nouvelle histoire. D’un nouveau cadeau que nous fait le Night School studio, avec un nouveau petit bijou d’écriture, de maitrise narrative et artistique. Peut-être un peu plus contemplatif et froid, comme pour donner une dimension supplémentaire au fait de vieillir, Oxenfree 2 s’adresse à tout le monde, mais sans doute un peu plus aux fans du genre, ou du talent de l’équipe de Sean Krankel et Adam Hines. A celles et ceux qui n’ont jamais touché à un jeu du studio, je dirais que ça vaut quand même le coup de commencer par le premier Oxenfree. Il est tout à fait possible de jouer au 2 en standalone, mais ce serait dommage de passer à côté de toutes les passerelles qui existent entre les deux opus. Oxenfree 2 est une continuité, et en cela, ni vraiment un début, ni vraiment une fin.

  • Oxenfree II – Lost Signals est sorti le 12 juillet 2023, sur Android, iOS, Nintendo Switch, PlayStation 4, PlayStation 5 et Windows

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