En 2010 sortait une sorte de suite à Drakengard, qui faisait à l’époque quelques adeptes. Ce jeu, c’était NieR, sorti au Japon dans deux versions : Replicant et Gestalt. La principale différence entre les deux titres se situait au niveau du personnage incarné une fois la manette entre nos mains, puisque la version Replicant proposait d’y incarner un jeune protagoniste qui cherchait à sauver sa sœur d’une terrible maladie, tandis que Gestalt nous mettait dans la peau de son père. Mais pour l’occident, la question ne se posait plus : son éditeur, Square-Enix, avait fait le choix de sortir uniquement la version Gestalt. Onze ans plus tard et après le succès critique de sa suite NieR Automata, le premier jeu de la saga revient à nous dans une version remaster au titre aussi improbable que l’imaginaire de son créateur Yoko Taro, qui nous permet enfin de découvrir la version « Replicant » avec le fiston. Nous voilà face à NieR Replicant ver.1.22474487139… et on vous invite à nous rejoindre dans un voyage aussi étonnant que séduisant.
Critique rédigée suite à l’envoi d’une clé du jeu par l’éditeur. Le jeu a été testé sur une PlayStation 5 en rétro-compatibilité PS4.
Tout commence dans un futur proche, dans le décor urbain d’une ville qui semble abandonnée. On y découvre un jeune homme et sa petite sœur, qu’il tente de protéger de toutes ses forces alors que les Ombres l’attaquent et qu’une tempête de neige se déchaîne. Soudainement, une ellipse de 1412 années plus tard, on retrouve le frère et la sœur dans un village. Cette dernière est atteinte d’une étrange maladie, son frère va tout tenter pour la sauver.
Pour sauver Yonah
Il y a quelque chose d’intrigant et de mystérieux dans l’histoire de NieR Replicant ver.1.22474487139… (on vous épargnera le titre à rallonge dans la suite de cette critique, c’est promis). Comme à son habitude, son créateur Yoko Taro laisse parler sa folle créativité qui emprunte à des genres bien différents, dans un monde qui mélange un côté post-apocalyptique avec ses vestiges de civilisations modernes (bâtiments en béton, ponts détruits) à une civilisation qui lorgne du côté de l’âge médiéval. Robots et architecture industrielle se fondent dans les plaines et près des villages où la vie tourne autour de la chasse, de l’élevage et des échanges commerciaux en essayant de survivre aux multiples attaques des Ombres. Ces ennemis à l’origine inconnue attaquent sans relâche les villageois, défendus par des soldats et notre cher héros, tous équipés d’épées et d’armures d’une autre époque. C’est un mélange fascinant, qui n’est pourtant pas si rare dans le petit monde du jeu vidéo japonais, mais que NieR Replicant raconte de manière plus terre à terre et brut. Certaines séries de jeux de rôle japonais en ont fait leur marque de fabrique, notamment chez le même éditeur Square-Enix, mais il y a quelque chose de plus pur, de plus surprenant ici. Notamment parce qu’on ressent réellement ce côté post-apocalyptique, où l’espoir semble avoir quitté la plupart de ses habitants.
L’intrigue se dévoile à son rythme et n’hésite jamais à nous balancer sur des fausses pistes. Le tout avec un fond mélancolique, abordant des thèmes qui vont de l’humanité de ses personnages au sens de leur vie, avec en toile de fond une étrange maladie qui se transmet sans que l’on sache trop comment. La petite sœur du héros en est atteinte, et l’essentiel du jeu consiste à essayer d’en trouver le remède, avec un grand frère qui remue ciel et terre pour le moindre indice qui permettrait de la sauver. Mais plus que son histoire, le jeu séduit grâce aux petites aventures qui se créent chaque fois que l’on découvre une nouvelle ville. Peu nombreuses, elles recèlent toutefois de nombreux détails qui leur donnent à chacune une vraie identité, avec leur lot de péripéties et d’histoires plus ou moins déprimantes. La dynamique qui s’installe entre les personnages, tous très attachants, est également intéressante, grâce au fait qu’ils possèdent tous des personnalités radicalement différentes mais toujours réussies. Si le héros est l’exemple type du héros-serpillère qui ne semble avoir qu’un seul but dans la vie, jouer les coursiers pour tout le monde entre deux quêtes pour sauver sa sœur (et l’un de ses alliés le lui fait d’ailleurs remarquer avec dialogue grinçant), les autres sont particulièrement intéressants. Il y a d’abord le Grimoire Weiss, sorte de livre magique qui nous accompagne tout au long de l’aventure et dont le sarcasme apporte un second degré bien senti. Et ensuite, deux autres personnages qui viennent apporter plus de douceur et d’émotions au jeu, avec des histoires bouleversantes.
C’est bien là que le jeu devient particulièrement émouvant, avec des protagonistes qui dévoilent une douceur insoupçonnée, avec des passés lourds qui donnent à l’aventure un tournant parfois doux-amer. Car plus que la relation frère-sœur qui est au centre du récit, c’est ces personnages qui nous rejoignent dans l’aventure, ou même quelques uns que l’on croise dans une poignée de quêtes secondaires, qui offrent un réel impact émotionnel. Même si on regrette quand même le choix de design de Kainé, un personnage fascinant qui combat à nos côtés, dont l’hyper-sexualisation créé un décalage de ton un peu nul avec certaines de ses scènes qui font partie des plus émouvantes du jeu. Son histoire est pourtant certainement l’un des piliers du récit, abordant de nombreux thèmes compliqués et offrant un regard intéressant sur l’univers de NieR. Mais ses scènes rappellent un peu le cas de Miranda de Mass Effect, où la caméra faisait des gros plans sur ses fesses pendant qu’elle dévoilait des épisodes compliqués de sa vie. Plus que jamais, NieR Replicant nous rappelle qu’il est ancré dans son époque, celle du début des années 2010, où le jeu vidéo n’envisageait même pas de commencer à prendre conscience de son sexisme.
Les vieux pots, les meilleures soupes, tout ça
NieR Replicant n’est toutefois pas qu’une histoire, c’est aussi un sens du gameplay qui rend l’aventure encore plus palpitante. Ce remaster est une bonne occasion pour se raccrocher au wagon NieR Automata, suite de l’aventure sortie en 2017 et qui avait apporté avec elle des combats plus nerveux. On retrouve les bases posées par Automata, à l’exception toutefois de combos moins nombreux. Cela donne un vrai coup de fouet à NieR, dont l’original accusait tout de même son âge. Les combats sont vifs, le rythme est rapide et on retrouve ce « bullet hell » propre à la saga où il faut esquiver les nombreuses boules d’énergie lancées par les ennemis. Certains combats de boss sont d’ailleurs en ce sens très bons, avec des patterns identifiables qui poussent à esquiver de la manière la plus fluide pour pouvoir leur mettre des coups. Sachez toutefois que le jeu propose de multiples modes de difficulté (du plus facile au plus difficile) pour les personnes qui aimeraient une aventure plus tranquille. On peut regretter cependant que les boss soient inégaux, tant dans les combats que leur design, ce qui en rend certains très oubliables.
Mais là où le remaster ne change pas grand chose, c’est sur ses quêtes secondaires. Déjà datées dans leur structure à l’époque avec un côté très « FedEx » hérité des pires jeux de rôle où l’on nous demande parfois d’aller chercher dix peaux de chèvre ou de mouton pour progresser, on s’aperçoit dix ans après que les années ne lui ont fait aucun cadeau. Ces quêtes sont nombreuses et pour l’extrême majorité se révèlent sans intérêt, tant à cause de leurs objectifs que leurs apports très dispensables sur la narration. Heureusement, une poignée d’entre-elles apportent leurs lots d’informations sur le lore du jeu, et certaines sont même indispensables pour pouvoir obtenir l’intégralité des armes du jeu (inévitable si l’on veut faire toutes les fins du jeu). Mais le pire là-dedans c’est que ces quêtes obligent à faire de nombreux aller-retour entre les différentes villes et zones du jeu, de la même manière que la quête principale. Cela alourdit artificiellement le titre qui n’en devient que plus long avec d’interminables phases où l’on court au travers des mêmes plaines des dizaines et dizaines de fois pour valider quelques quêtes. A tel point que les dialogues du jeu rappellent à un moment qu’on passe notre temps à courir d’une ville à l’autre, même si on finit par débloquer un simili-voyage rapide qui améliore (un peu) les choses. On prend certes plaisir au départ à découvrir les différentes zones du jeu, mais celles-ci souffrent pour la plupart de leur époque, avec de vastes étendues très vides. Même les villes peinent à donner une impression de vie. Malgré le lifting apporté par ce remaster, on reste face à un jeu qui avait un budget relativement modeste en 2010, et qui proposait un monde désincarné et répétitif : tout est vide, forçant à faire des centaines d’aller-retour dans les quelques zones récurrentes avec des temps de chargements franchement longuets.
Mais cela ne gâche pas le jeu, qui appuie l’essentiel de ses qualités sur sa narration et sa capacité à étonner même après plusieurs dizaines d’heures de jeu. Si ses artifices scénaristiques ne surprennent pas grand monde, pour peu que l’on ai au moins entendu parler de NieR Automata et de ses nombreuses fins qui offrent des regards différents sur les mêmes événements, NieR Replicant a ce même goût de la narration à plusieurs niveaux de lecture. Les sous-textes sont nombreux et, allant des changements climatiques à la notion d’humanité, le jeu ne cesse d’interroger et de remettre en cause ses idées. C’est habile, souvent fin, et on prend un réel plaisir à se laisser prendre par ces nombreux rebondissements. Comme Drakengard et NieR Automata, l’histoire ne se dévoile pleinement qu’après plusieurs fins, ce qui peut toutefois être décourageant lorsque l’on réalise après quelques dizaines d’heures qu’il faudra rejouer des pans entier du jeu (qui restent pour l’essentiel identiques) afin d’obtenir quelques petits éclairages sur le récit. Mais même si je ne suis pas un grand fan de la méthode, qui me semble un peu facile pour étirer le jeu en longueur, il faut bien avouer que le titre sait nous prendre aux tripes lorsqu’il dévoile enfin ses vraies intentions. A noter d’ailleurs que ce remaster apporte une cinquième fin : attendez vous à un long, très long voyage.
Un réarrangement artistique
Paradoxalement, si le jeu a souvent l’air vide, quelques zones étonnent par leur beauté et leur lyrisme. En effet NieR Replicant est avant tout une véritable réussite artistique, avec une direction artistique assez géniale malgré les limites techniques de l’époque. Le remaster permet même de sublimer ses réussites grâce à un framerate plus élevé, une distance d’affichage améliorée, et plus généralement une finesse des textures qui oscillent entre le bon et moins bon mais qui restent bien au-dessus de la version originale sur PS3. Les plus belles zones sont capables en un instant de poser une nouvelle ambiance, à laquelle se joint une formidable bande-originale composée par Keiichi Okabe et son studio MONACA. Le compositeur profite même de cette nouvelle édition pour offrir de nouveaux arrangements, absolument superbes, qui renforcent amplement le côté épique de ses compositions. Quelques combats, notamment dans la deuxième partie du jeu, se jouent au rythme de ses titres et profitent allègrement du réarrangement pour offrir des moments de grâce qui sont à tomber. Il y a quelque chose d’hypnotisant dans cette bande-originale, avec des notes d’une douceur infinie qui s’associent étonnamment bien avec l’action survoltée des combats.
NieR Replicant ver.1.22474487139… est une œuvre à part, un jeu auquel on pourrait reprocher tant de choses sur sa structure mais qui parvient malgré tout à intéresser, à passionner, et à émouvoir. Le jeu est daté, c’est indéniable, et ce remaster n’opère que des changements en surface pour améliorer légèrement le jeu et faire en sorte qu’il ne semble pas trop anachronique. Mais malgré cela, c’est son histoire et ses personnages qui donnent le ton du titre, avec des thèmes variés et un vrai sens de la narration qui pousse à toujours aller plus loin pour en découvrir un peu plus sur les nombreux mystères du titre. Difficile de ne pas s’attacher à ces personnages et à leurs destins, même si leur créateur Yoko Taro se repose sur des ficelles narratives parfois faciles.
Mais qui sommes-nous pour nous plaindre : NieR Replicant est un formidable voyage et il serait bien dommage de ne pas se laisser porter par ce sentiment onirique qui l’entoure.
- NieR Replicant ver.1.22474487139… est sorti le 23 avril 2021 sur PlayStation 4, Xbox One et PC.