Les Enfants d’Hippocrate – Tomes 5 et 6 | Déconstruire le passé pour embrasser l’avenir

by Reblys

La clinique pédiatrique du Docteur Goro Suzukake fourmille de vie, de destins qui auraient pu basculer et de parcours qui cherchent à se construire ou se reconstruire. Alors que l’on arrive aux 5ème et 6ème tomes des Enfants d’Hippocrate, chaque nouveau moment de lecture avec cette série s’apparente de plus en plus à un nouveau moment de vie, où l’on partage le quotidien en apparence anodin du personnel de cette clinique et des patients qui la visitent. Pour ce qui sera peut-être ma dernière chronique dans le monde médical dépeint par Toshiya Higashimoto, laissez-moi une nouvelle fois vous conter les joies et les peines de cette famille recomposée de professionnels de santé.

Le volume 5 des Enfants D’Hippocrate, à partir duquel cette chronique a été en partie écrite, a été envoyé par l’éditeur

Destins brisés / Vies à reconstruire

PLATANUS NO MI © 2020 Toshiya HIGASHIMOTO/SHOGAKUKAN / ©2022 Mangetsu

Tomorin est sortie d’affaire. L’intervention chirurgicale réalisée par Hideki a permis d’enrayer la nécrose de l’entérocolite contractée par la jeune fille. Alors que le premier lui rappelle que son insouciance aurait pu lui coûter la vie, la seconde lui assène qu’il doit bien se moquer de ce qu’elle endure, lui qui est en bonne santé. Le jeune chirurgien, qui a vu tant de patient mourir se contente de répondre qu’il n’y a rien de plus précieux que la vie, puis quitte la pièce. Une conclusion qui met une nouvelle fois en lumière le caractère ambivalent et insaisissable d’Hideki, sans doute le personnage le plus complexe de cette histoire.

Avec la fin de cet arc concernant Tomorin, une nouvelle personnalité émerge de la foule de professionnels qui travaillent au sein de la clinique Suzukake : Iku Aoba, jeune femme exerçant la profession de Child Life Specialist, ou C.L.S . Il s’agit d’un métier neuf, encore peu reconnu dans de nombreux pays. A mi-chemin entre la psychologue, la thérapeute et l’auxiliaire de vie, Aoba accompagne les enfants au quotidien, afin de les aider à exprimer leurs émotions, gérer leur stress, et améliorer la communication avec le corps médical. A nos yeux profanes, ces fonctions semblent tout à fait avoir leur place au sein d’une clinique pédiatrique, d’autant que le manga met souvent l’accent sur la difficulté pour l’enfant et le médecin de se comprendre. Pourtant cela ne semble pas évident pour tout le monde. Une mère en désaccord avec l’approche thérapeutique d’Aoba vis à vis de son fils remet en cause son professionnalisme, alors qu’Hideki (encore lui), lui signifie de la plus froide des manières que son utilité au sein de la clinique est franchement contestable. Ébranlée dans ce qu’elle a de plus précieux, dans le sens qu’elle met dans son action, la jeune C.L.S va devoir faire un choix : Abandonner cette voie et suivre son compagnon dans une autre région afin de se marier et repartir de zéro, ou rester et faire valoir la spécificité de son rôle auprès des enfants. D’autant que Ren, le jeune garçon qu’Aoba prend en charge, fait de visibles progrès au fil de leurs séances…

Du poids d’être parent / De la douleur d’être enfant

Je l’ai déjà noté plusieurs fois au fur et à mesure de l’avancement de cette série, mais Hideki Suzukake, frère ainé du protagoniste est un personnage fascinant, à la fois criblé de failles et d’une force de caractère épatante. En parallèle de l’histoire d’Aoba, de nouveaux éléments nous parviennent concernant le passé de la famille Suzukake. On pensait jusqu’alors que c’était le décès de la mère des deux frères Hideki et Maco qui constituait le trauma à l’origine de la césure ayant eu lieu entre les frères, ainsi qu’entre les frères et leur père. Pourtant cette séparation est arrivée plus tôt encore, avec celle de leurs parents. Lorsque le couple rompt, Hideki doit partir vivre avec son père, et Maco reste vivre avec sa mère. Le choix n’est pas donné à Hideki, qui devra désormais suivre la route que Goro a tracée pour lui. Il deviendra médecin, alors que son rêve était plutôt…de jouer au base-ball.

Le plus déchirant dans l’histoire est qu’Hideki a non seulement renoncé à son rêve, mais l’a fait par amour pour son père, ou peut-être pour ne pas le décevoir. Ayant ainsi embrassé une vocation pour laquelle il n’avait aucune appétence, il achève d’accentuer le miroir inversé qu’il construit avec son frère. Car Maco lui, n’a pas de remords à avoir prêté le serment d’Hippocrate. Au contraire, il est pleinement en accord avec le chemin qu’il s’est tracé, et cela lui a permis de pardonner à son père. Goro Suzukake s’en trouve soulagé, mais il aurait préféré que cela se passe aussi facilement avec son fils ainé. Au cours d’un échange d’une grande âpreté, Hideki expose toutes ses contradictions, avec d’un côté les efforts qu’il met au service de son métier de chirurgien, comme pour se tenir au contrat qu’il a lié avec son père, et de l’autre le fait que tous ces effort n’auront au final aucune chance de réconcilier les deux hommes. Une colère froide s’empare d’Hideki, car il prend pleinement conscience que sa rancœur le consume, et l’infériorise par rapport à son père et son frère.

Car Goro s’emploie à plein temps pour réparer ses erreurs et demander pardon, pour faire tourner une clinique pédiatrique comme il l’avait promis à son ex-femme, et renouer un lien avec ses fils. Maco quant à lui, apparait comme apaisé, en pleine possession de ses moyens et renforcé dans sa vocation. Les doutes qui l’avaient saisi lors de la prise en charge de Tomorin sont derrière lui, car ses collègues au sein de la cliniques l’entourent et l’encouragent à progresser, chacune et chacun à leur manière. Il a su puiser les ressources dont il avait besoin en lui et auprès de son entourage. Il est désormais plus stable, plus fort que son frère.

Et pour la suite ?

Le focus de l’histoire semble maintenant se diriger vers Hideki et ses démons. Cela m’a surpris de voir Maco arriver aussi vite à une maturité qui laisse à penser que son développement est pour ainsi dire terminé. Le rythme de l’œuvre me laisse également à penser que Les Enfants d’Hippocrate ne sera peut-être pas une longue série. Le manga s’est installé dans un système narratif où deux arcs cohabitent en permanence : L’un concernant la famille Suzukake, et l’autre développant l’un des membres du personnel de la clinique. Dans le 6ème volume commence ainsi l’arc de Sonoko, infirmière au sein de la clinique et mère de deux adolescents. L’occasion de retrouver l’un des thèmes majeurs de l’œuvre, celui de la parentalité, mais aussi de laisser poindre l’idée qu’il ne reste que quelques variations sur les thématiques que Toshiya Higashimoto souhaite aborder avant de conclure son histoire. A moins d’un rebondissement majeur et d’une réinvention de ses enjeux narratifs, Les Enfants d’Hippocrate semble s’être engagé sur un chemin bien balisé jusqu’à son dénouement. Le Bateau de Thésée, précédente série de l’auteur, s’était conclue en dix volumes. Les Enfants d’Hippocrate suivront peut-être un chemin comparable, si l’arc d’Hideki parvient à sa conclusion d’ici là.

C’est en partie pour cela que je pense arrêter là mes chroniques régulières sur ce manga. Non pas que l’œuvre soit devenue ennuyeuse, au contraire, mais il m’apparaît que poursuivre cette série d’articles m’amènerait principalement à résumer son histoire, plutôt que de l’aborder sous le prisme analytique qui m’intéresse tant. Maintenant qu’elle est bien installée, il me semble que cette série mérite simplement d’être vécue plutôt que décortiquée. Que les émotions et les questionnements de ses personnages doivent se frayer un chemin jusqu’à vous sans que je n’aie à jouer un rôle d’intermédiaire qui pourrait, malgré moi, biaiser ou filtrer votre ressenti.

Merci à celles et ceux qui auront suivi cette série d’articles. J’espère qu’elle vous aura donné envie de découvrir Les Enfants d’Hippocrate, dans toute son humanité et sa sincérité. Je sais désormais que quoi qu’il arrivé, j’irai au bout de cette histoire, car elle a su me toucher, et m’inspirer. Et puis lorsqu’elle sera terminée, j’attendrai avec impatience le prochain manga de Toshiya Higashimoto, définitivement un auteur à part, et déjà une grande voix de ce medium.

  • Les tomes 5 et 6 des Enfants d’Hippocrate sont disponibles en librairie.

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