Les Enfants d’Hippocrate – Tomes 1 et 2 | La vocation d’un grand enfant

by Reblys

Avec sa première œuvre, Le Bateau de Thésée (série terminée en 10 tomes chez Vega-Dupuis), Toshiya Higashimoto s’est fait une place en France parmi les amateurs et amatrices de seinen manga. Palpitant thriller temporel, la série laissait augurer le meilleur pour son auteur. Mais plutôt que de rempiler sur une nouvelle enquête dans le même genre, celui-ci s’est plutôt tourné vers la tranche de vie, en inscrivant sa deuxième série dans l’univers de la médecine, et plus précisément celui de la pédiatrie. En choisissant de raconter les aventures du jeune médecin Maco Suzukake, Toshiya Higashimoto nous prend à revers…pour mieux nous montrer une nouvelle facette de son talent. Car dès ses deux premiers tomes, « Les Enfants d’Hippocrate » relève le pari du changement de registre, en réussissant à peu près tout ce qu’il entreprend.

Cette critique a été écrite à partir de l’envoi des deux premiers tomes du manga par l’éditeur, Mangetsu.

Good Doctor ou Doctor House ?

PLATANUS NO MI © 2020 Toshiya HIGASHIMOTO/SHOGAKUKAN / ©2022 Mangetsu

Le personnage de Maco Suzukake est sans doute la force première du manga, celle qui nous accroche dès les premières pages. Le monde de la médecine, que l’on imagine (à raison) très sérieux, nous est ici présenté à travers les yeux d’un excentrique adulescent, au look androgyne et au ton décomplexé, qui tente de faire décoller sa chaîne Youtube, sans vraiment maîtriser les codes la plateforme. Son attitude détonne au sein de la clinique où il exerce, mais très vite sa manière iconoclaste d’aborder la médecine laisse entrevoir le potentiel du jeune praticien. A travers un effet de mise en scène un peu éculé, mais toujours efficace, on comprend que Maco Suzukake est doué, et dispose de la capacité de tracer très rapidement des liens entre les différentes informations dont il dispose pour poser un diagnostic affuté et pertinent. Les premiers chapitres du manga nous permettent de dresser efficacement le portrait de son protagoniste, à travers sa façon d’être, sa compétence, mais aussi son contact avec les enfants et les familles. Là aussi, le médecin junior se démarque de ses confrères et consœurs grâce à ses dons en matière de communication. Que ce soit pour briser la glace avec un enfant malade, ou percer les défenses d’un parent sous tension, Maco Suzukake, par son naturel et sa sincérité, sait trouver les mots justes. En quelques chapitres, on sait à qui on a affaire, mais surtout à quel point le ton du manga va se révéler chaleureux et bienveillant.

Aux enfants et aux parents

Et ce, y compris lorsqu’en observant ce qui se passe autour de Maco et de sa pratique, on découvre la foule de thématiques secondaires qui sont évoquées dans le manga. La plus importante d’entre elles serait sans doute la parentalité, et ce thème se dote un niveau de lecture supplémentaire lorsque on replace l’œuvre dans le contexte de la société japonaise. Ainsi ce chapitre où une jeune mère très prise par son travail, peine à être attentive à la santé de sa fille malgré tout son amour pour elle, semble mettre en lumière les failles d’un pays où concilier carrière et vie de famille est toujours particulièrement difficile pour les femmes. Mais le sujet de la parentalité prend également un autre sens avec l’introduction du père de Maco. Lui aussi travaille dans le monde médical, en tant que chirurgien, mais également en tant que directeur d’établissement de santé. Lorsque celui-ci annonce qu’il a ouvert une clinique pédiatrique dans la région d’Hokkaido, et qu’il nourrit le rêve de travailler avec ses fils (ce qui nous révèle au passage l’existence d’un grand frère dans cette histoire), c’est toute l’histoire de la famille Suzukake qui nous est racontée, avec une justesse rare. La figure paternelle, déjà très présente dans « Le Bateau de Thésée », fait son retour dans « Les Enfants d’Hippocrate », sous un prisme similaire, celui de la quête de rédemption d’un père, qui recherche et espère le pardon de ses enfants. Dans le deuxième volume, plusieurs chapitres s’attardent sur le quotidien d’un couple de jeunes parents, dont le quotidien a été bien chamboulé par l’arrivée de leur premier-né, mettant en lumière toute la difficulté de recomposer le quotidien avec l’arrivée d’un nouveau membre dans la famille. Toutes ces histoires sont d’autant plus touchantes qu’elles se déroulent dans un pays dans lequel la natalité est au plus bas. Chaque enfant en devient d’autant le trésor de leurs parents, et la mission de Maco en est rendue d’autant plus importante.

Renouvellement du traitement conseillé tous les deux mois !

PLATANUS NO MI © 2020 Toshiya HIGASHIMOTO/SHOGAKUKAN / ©2022 Mangetsu

Émouvant autant que palpitant, « Les Enfants d’Hippocrate » confirme également le talent narratif de Toshiya Higashimoto. Déjà à l’œuvre dans Le Bateau de Thésée, il a ce don d’offrir une mise en scène particulièrement aérée, mais dont chaque case recèle plusieurs niveaux de lecture facilement accessibles. A travers des situations toutes simples, des pans de vie entiers sont visibles, palpables. L’écriture surprend de réalisme et de sensibilité, en particulier lorsqu’un jeune personnage, introduit dans le deuxième volume, voit sa vie basculer avec l’annonce d’une maladie pour laquelle les chances de survie ne sont pas certaines. Le manga sait habilement mêler légèreté et gravité, rires et larmes, et cherche toujours à montrer la beauté de la vie. En conséquence, il s’agit de ce genre de manga qu’on parcourt d’une traite, grâce à un rythme léger et fluide, qui rend la lecture aisée, mais qui nous en donne beaucoup sans même qu’on s’en rende compte. Les éditions Mangetsu ont fait le bon choix en publiant en même temps les deux premiers volumes de cette série, car on se demande bien, après les avoir dévorés l’un après l’autre, comment il aurait pu en être autrement ! « Les Enfants d’Hippocrate » fait du bien, et en garde encore beaucoup sous le pied pour développer ses personnages et renouveler le plaisir de lecture. Tous les ingrédients sont là, et le prochain tome est prévu pour la mi-août. On a jamais attendu avec autant d’impatience la prochain rendez-vous avec un docteur !

  • Les tomes 1 et 2 des Enfants d’Hippocrate sont disponibles depuis le 1er juin 2022 en librairie.

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