Peu importe que l’on soit né.e dans les années 80 ou après l’an 2000, il y a des personnages qui sont connus de tout un chacun, car ils se sont, au fil des générations, installés au panthéon de la pop-culture, devenant de véritables légendes, incarnant toute l’essence de leur œuvre, et même parfois au delà. C’est le cas de Kenshiro, plus connu sous le nom de Ken le survivant chez nous, car son arrivée en France s’est faite sous ce nom francisé, titre de l’animé qui a fait découvrir au plus grand nombre les aventures du maître du Hokuto shinken à la fin des années 80 (à travers une adaptation jugée honteuse ou savoureuse, selon les points de vue).
A mon humble niveau, je connaissais bien entendu Hokuto no Ken, manga dessiné par Tetsuo Hara et écrit par Buronson, publié dans le mythique Weekly Shonen Jump entre 1983 et 1988, mais seulement de nom, via quelques répliques nanardesques de la VF d’origine évoquée plus haut, et surtout à travers son héritage, qu’on retrouve éparpillé dans toute l’Histoire moderne du manga de bagarre. Il fait partie de ces incontournables classiques qui ont de plus toujours été faciles d’accès. Depuis vingt ans, les éditions et rééditions de l’œuvre culte se sont succédé, et la dernière en date nous est proposée par Crunchyroll depuis le mois d’octobre 2022. Baptisée « Extrême Edition », son arrivée a sonné pour moi l’heure de découvrir l’histoire de Kenshiro. Cela avec un plaisir non dissimulé, car j’étais très curieux de faire enfin connaissance avec le maître du Hokuto, et de voir si, presque 40 ans après le début de sa publication, le manga en avait encore dans le ventre.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur, Crunchyroll
Parangon de masculinité…et de vertu
Nous voici donc projeté.es en 199X, année uchronique qui a vu l’humanité s’entre-déchirer à grand renfort d’arme atomique. La planète est en ruines, transformée en un immense désert dans lequel les ressources se font de plus en plus rares, et où la loi du plus fort s’est imposée comme la seule option pour survivre. C’est dans cet univers à la Mad Max que l’on découvre Kenshiro, armoire à glace taciturne à la saillante musculature, errant dans un but inconnu, mais ne ratant aucune occasion de défendre la veuve et l’orphelin face aux gangs les plus violents et déchaînés que le monde ait jamais porté. Celui-ci fait littéralement exploser ses adversaires de l’intérieur, via un mystérieux art martial : le Hokuto shinken, ou Poing divin de la Grande Ourse. Kenshiro se révèle être un véritable maître en la matière, ne trouvant jamais son égal en combat, terrassant chacun de ses adversaires en l’espace de quelques secondes, mais jamais sans avoir distillé une petite phrase des plus stylées au dernier moment, pour bien appuyer sa supériorité.
Initialement présenté comme le mâle alpha par excellence, supérieur physiquement et dénué d’émotions, le personnage de Kenshiro est néanmoins rapidement étoffé. Ce premier volume (qui nous laisse tout de même près de 300 pages pour faire connaissance avec son protagoniste) nous montre d’autres aspects du caractère du Monsieur. L’arrivée du personnage de Lynn va réveiller chez lui un instinct paternel et protecteur, tandis que ses retrouvailles avec un certain personnage féminin vont permettre à l’œuvre de développer une dimension romantique et tragique qu’on n’imaginerait pas vraiment au vu du nombre de têtes explosées au cours des premiers chapitres. Ainsi le ton de l’œuvre, bien que largement guerrier, ne lésine pas sur des moments à l’ambiance à fleur de peau. Non seulement pour nous faire verser nos plus belles manly tears de série B, mais aussi pour donner une dimension épique à l’histoire qui nous est contée… Et force est de constater que ça fonctionne du tonnerre.
Une intensité surhumaine
Car si ce premier volume maîtrise son propos avec des situations simples, mais terriblement efficaces, c’est surtout la forme qui foudroie lors de la première lecture. C’est bien simple : Hokuto no Ken suinte le charisme par tous ses pores. Tout d’abord à travers le trait de Buronson. Old-school à souhait et faisant la part belle aux corps disproportionnés de ses combattants, il est cependant d’une précision proprement hallucinante, et d’un niveau de détail qui force le respect lorsqu’on se souvient qu’il s’agissait d’un manga à publication hebdomadaire. Lors des combats, dont la quasi-totalité n’a aucun enjeu lorsqu’on voit à quel point Kenshiro les domine, tous les efforts de mise en scène déployés permettent tout de même de se régaler à chaque instant : les plans en contre-plongée sont légion pour mettre en valeur le danger auquel le héros fait face (que ce soit par la taille complètement démesurée de son adversaire, ou le nombre inquiétant d’opposants), les coups sont assénés à grand renforts de visages complètement déformés, de corps brisés et de membres qui explosent pour en saisir toute l’intensité, et les mises à mort sont accompagnées de pleines pages débordant d’une classe sans nom, dans lesquelles Kenshiro prend les poses les plus viriles de l’univers, parcouru d’un fluide brûlant, celui de son sang mis en ébullition par l’affrontement. Le grotesque et la sur-exagération de ces batailles, pourtant assumées au premier degré, fait rejaillir sur nous une joie immense : celle que l’on ressent quand une œuvre réussit à la perfection ce qu’elle entreprend pour nous donner ce qu’on mérite. Ni plus, ni moins.
Et alors qu’est introduit le personnage de Shin, qui est intimement relié à Kenshiro, je ne peux m’empêcher de voir ce qui a tant inspiré Hirohiko Araki pour créer le premier arc de Jojo’s Bizarre Adventure. Le brun contre le blond, frères ennemis qui s’affrontent grâce à un art martial mythique aux effets surnaturels… Et comme je l’ai compris ! Pour le premier grand affrontement de la série, on nous offre un duel au sommet comme si nous étions déjà à la fin d’une épopée de plusieurs dizaines de volumes. Tous les enjeux sont posés à la vitesse de l’éclair. Les motivations de nos gladiateurs tiennent sur une feuille A4, mais elles n’en sont pas moins belles. Elles n’en sont pas moins de parfaits leviers dramatiques pour nous attirer et nous inclure dans leur opposition, où même le plus sanguinaire des deux révèle toute sa faiblesse face au grand drame de son existence. Un combat dont on se dit qu’il ne peut pas se terminer ainsi, alors que ce miroir entre protagoniste et antagoniste en or massif qu’on nous offre semble expédié en quelques chapitres. La suite nous le dira, mais avec un tel sommet atteint en moins de dix épisodes, j’attends avec frénésie la suite de ce manga, dont la publication a duré cinq ans de plus !
Il ne le sait pas encore, mais il est déjà fort
Peut-être n’ai-je pas besoin de le préciser, mais me voici rentré de plein pied dans une œuvre hors du commun. Le fait de découvrir Hokuto no Ken quarante ans après permet non seulement de profiter d’une œuvre dont la puissance n’a pas pris une ride, mais également de la découvrir en sachant ce qu’il est advenu après elle, et de repérer de ce fait tous les codes qu’elle a posé, et à quel point elle fut précurseure en son temps. L’expérience de lecture s’en est trouvée pour ma part encore améliorée grâce à la qualité du livre que j’avais entre les mains. En effet côté édition, on a affaire à un produit très solide. Esthétiquement superbe et très confortable à la lecture de par son format et la qualité des matériaux utilisés, elle vaut sans doute en grande partie son tarif à 15 euros le tome. Une édition plutôt onéreuse donc, mais qui fait honneur au monument qu’elle nous présente une nouvelle fois.
En bref, sans le moindre doute, Hokuto No Ken est déjà le chef d’œuvre qui m’était annoncé, et il reste encore 17 tomes que j’ai envie de découvrir avec une rare excitation !
- Hokuto no Ken, édité chez Crunchyroll, est disponible en librairies depuis octobre 2022. Les tomes 2 et 3 de l’Extrême Edition sont également parus, respectivement en novembre et décembre 2022.