Hellblazer Rise and Fall | Hommage introspectif

by Anthony F.

Hellblazer est une série à part dans l’univers de DC Comics. Terreau fertile pour la créativité des scénaristes qui ont pu manipuler le personnage de John Constantine, c’est aussi un univers tout à fait unique avec sa magie noire, ses horreurs occultes et la douce ironie d’un anti-héros au ton british. Une œuvre que l’on explore toujours avec plaisir, et qui revient ce mois-ci en VF chez Urban Comics avec un titre intitulé Hellblazer Rise & Fall, une histoire complète en un tome écrit par Tom Taylor (à qui l’on doit notamment les Injustice) et dessiné par Darick Robertson (Transmetropolitan, The Boys…)

Critique écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

« Gamin déjà, j’étais assez futé pour détester les riches »

© DC BLACK LABEL / DC COMICS 2020

En s’imprégnant du monde de Hellblazer, ce qui semble intéresser Tom Taylor est de revenir sur les origines de son anti-héros, John Constantine. Figure de proue de l’œuvre, bien que l’on pourrait arguer que l’univers de Hellblazer est lui-même le héros, Constantine est à l’image du monde dans lequel il tente de survivre : brisé, ironique, flirtant toujours avec le danger et plus proche de la lie de l’humanité que de toute forme d’héroïsme. Et c’est ce qui fait de Hellblazer une œuvre si particulière dans le catalogue de DC Comics, puisque s’il se mélange occasionnellement à un univers partagé avec les super-héros·ïnes en culottes, son ton et son ambiance pleine de sarcasme l’adressent à un public assez différent. Bien que certaines fois, nous l’ayons vu s’intégrer dans des histoires plus légères à l’occasion de crossovers qui ne sont pas toujours inspirés. Mais cessons de nous égarer. Pour revenir à Constantine, Tom Taylor vient nous raconter une histoire personnelle, débutant à la naissance du britannique, avec la mort de sa mère, son enfance avec un père violent, et sa fascination très tôt pour les arts occultes. Gamin, il s’essayait à des incantations lues dans des livres poussiéreux, jusqu’à ce que cela mène à un terrible événement, non pas sans rapport avec les macabres découvertes des derniers jours. En effet, la police enquête actuellement sur des corps auxquels on a greffé des ailes d’ange, retrouvés morts avec un goût certain de la mise en scène qui n’est pas sans rappeler certaines références que je raconterai plus tard. Cette histoire très personnelle sert paradoxalement un propos plus général, notamment sur l’individualisme, mais aussi sur la détestation absolue des riches par John Constantine, qui tient la bourgeoisie en horreur, un sentiment qui ne sort pas de nulle part comme le livre l’explique assez vite.

Sorte de pamphlet anti-capitaliste, Hellblazer Rise & Fall va là où on ne l’attend pas : en servant son histoire foncièrement ancrée dans l’univers de Constantine il y intègre quelques petits éléments, notamment de politique Américaine (que les auteur·ice·s de comics n’hésitent jamais à commenter), qui s’intègrent parfaitement dans l’imaginaire du personnage et dans sa représentation. Il n’est en effet pas incongru de penser qu’un gamin de Liverpool, ville abattue par la désindustrialisation (et le chômage qui vient avec), en vienne à n’avoir qu’une estime tout à fait limitée de la bourgeoisie. Une bourgeoisie qui incarne tous les vices, les excès et les péchés qui servent justement et avec malice un récit à l’arrière plan religieux, entre « Bien et Mal » et apparition soudaine d’un Diable improbable. Parce que « les milliardaires sont les personnes les plus méprisables de la planète » (oui, le comics est généreux en citation de ce ton, pardon aux milliardaires qui nous liraient), cette histoire racontée par Tom Taylor en arrive à un quasi-sous texte sur la lutte des classes. Une approche du plus bel effet, qui donne un peu plus de consistance à son Constantine qui, en réalité, est souvent spectateur des événements.

Des airs d’Ennis

© DC BLACK LABEL / DC COMICS 2020

Fin, intéressant, le comics ancre Constantine dans notre époque de manière intéressante et propre au personnage. Mais ce qui touche un peu plus, c’est l’amour et l’hommage adressé à Garth Ennis, non dissimulé, tant sur les thématiques que les dessins. Evidemment sur ce point, il est difficile d’ignorer la patte de Darick Robertson que l’on associe souvent à Garth Ennis pour leur travail commun sur les comics The Boys. On le voit aussi parfois presque s’inspirer parfois de la mise en scène d’un Steve Dillon qui a longtemps bossé avec Ennis sur Preacher. Un comics que Hellblazer Rise & Fall référence allègrement avec son thème religieux et son sarcasme, bien que Tom Taylor s’éloigne (heureusement ?) du côté très trash d’Ennis, et s’avère plus ouvert sur les thématiques abordées, comme l’homosexualité de John Constantine.

Ce cocktail de références n’est toutefois pas là par hasard, ce n’est ni une facilité ni une évidence. Tom Taylor s’en sert pour rebondir sur Hellblazer, un monde déjà empreint de mastodontes des comics, qui y ont tou·tes·s laissé·e·s leurs idées. De Warren Ellis (dont on n’oublie pas les casseroles) à Grant Morrison, en passant par Neil Gaiman, c’est quelques uns des plus grands noms des comics US qui ont façonné le personnage de Constantine et son monde tels qu’ils sont aujourd’hui. Ce n’est donc que justice pour l’auteur et le dessinateur de référencer leurs aîné·es à l’heure de produire une œuvre qui s’intéresse à la genèse du personnage, à son parcours et à son irrémédiable destin.

Référencé à bon escient, écrit avec un ton qui alterne très justement entre légèreté et solennité, Hellblazer Rise & Fall est une histoire courte qui rend un bel hommage, tant à son anti-héros, qu’à celles et ceux qui ont créé sa légende. Empreint d’un sous-texte intéressant qui rappelle les origines sociales du personnage, le comics se perd peut-être sur la résolution de son « mystère », mais il serait dommage de le bouder pour quelques dernières pages moins inspirées que le reste, notamment le premier chapitre qui est un véritable exemple d’exposition réussie.

  • Hellblazer Rise & Fall est disponible en librairies depuis le 10 septembre 2021 aux éditions Urban Comics.

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