Final Fantasy XVI | La flamme ravivée

by Anthony F.

On fait difficilement plus culte que la saga Final Fantasy. Pilier du RPG à la japonaise, la saga accompagne la vie de ses fans depuis la fin des années 1980. Et si ses nombreux épisodes ont connu de nombreuses rééditions et ce de manière régulière, à l’image de la Pixel Remaster, afin de maintenir la présence de la licence dans l’espace médiatique, c’est surtout la sortie d’épisodes inédits qui attire les discussions. Toujours soumises à un débat houleux tant les attentes divergent sur ce que doit être un « bon » Final Fantasy, ces sorties monopolisent l’actualité, et Final Fantasy XVI n’y a pas échappé. Extrêmement attendu parce qu’il est dirigé par Naoki Yoshida, celui à qui est attribué le sauvetage du MMORPG Final Fantasy XIV, ressuscité dans une nouvelle version il y a quelques années après des débuts complètement ratés. Mais alors, que doit-on retenir de ce seizième épisode canonique sorti cet été, sept ans après le précédent ?

Un retour à ses origines

© 2023 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved.

Dès ses premiers instants, Final Fantasy XVI tranche radicalement avec les titres principaux de la saga sortis depuis plus de vingt ans. Visuellement très sombre, à l’inspiration médiévale et à un certain aspect « réaliste », l’univers de Valisthéa est bien loin de la fantasy un tantinet plus habituelle pour la saga depuis son passage à la 3D avec le septième épisode. Dénué d’espoirs, le monde de ce nouveau titre évoque tout particulièrement ceux des trois premiers épisodes de la saga, avec un ton amer, où la victoire n’en est jamais vraiment une, où le peuple est soumis à d’insupportables conditions de vie par des élites politiques qui ne pensent qu’à leur propre intérêt. S’ajoutent à cela tout un pan de mythologie autour des cristaux, sorte de sources d’énergie du monde, et de primordiaux (des créatures mythologiques comme Ifrit, Shiva, Garuda ou encore Phénix), des éléments hérités des trois premiers Final Fantasy à la fin des années 1980, avant que la saga n’embraye sur d’autres manières, plus modernes, d’évoquer la fantasy (comme les notions écologiques du VII ou les guerres politiques et religieuses du X et du XII). Cette proximité avec les origines de la licence est une très belle surprise, avec même quelques références ici et là, tant le premier contact avec le jeu évoque plutôt une référence moins bien mise en avant. Je pense à Game of Thrones, qui transpire dans chacune des deux ou trois premières heures du jeu, mais qui heureusement s’effrite rapidement tant ces références ne sont liées qu’à des personnages très secondaires qui n’ont qu’une présence très limitée au cours du jeu. Alors c’est la volonté de revenir aux fondamentaux, avec une inspiration plus médiévale, proche de la littérature dramatique anglaise, qui donne à Final Fantasy XVI un ton franchement agréable. Si son récit a des longueurs, il est dans l’ensemble plutôt bien mené, grâce notamment à son héros, Clive Rosfield.

Héritier de la famille dirigeante de l’une des régions de Valisthéa, Clive est raconté à trois époques distinctes de sa vie : à 15 ans, alors qu’il voit sa famille se briser et le pouvoir de son père renversé, puis adulte dans la vingtaine, et ensuite un peu plus âgé, alors que sa maturité lui permet de mieux aborder le monde qui l’entoure. Ce noble tombé en disgrâce se lance dans une quête de vengeance contre les Cristaux-mères, qui confèrent la magie à celles et ceux qui vivent à proximité, responsables selon lui des torts d’un monde qui lui a enlevé sa famille et tout particulièrement son frère Joshua, émissaire de Phénix. Un début de récit plutôt bateau, mais qui s’enlise rapidement dans des guerres de pouvoir, mais aussi un commentaire pas inintéressant sur la rébellion contre le pouvoir, l’esclavagisme (avec les pourvoyeurs, une partie de la population réduite en esclavage) et même l’écologie, alors que les Cristaux-mères, source de pouvoir incommensurable, sont à l’origine de toutes les batailles de Valisthéa. Certes, cela ressemble à une critique pas vraiment subtile des guerres du pétrole, mais le jeu le fait plutôt bien, avec une écriture qui a de vrais bons moments. Plus encore, le jeu interroge ses personnage sur le sens de leurs pouvoirs, et les responsabilités face aux peuples et à leurs proches qui en découlent. Et ce sachant que ses personnages principaux sont des « émissaires », c’est-à-dire des personnes capables de manipuler les pouvoirs des primordiaux, se transformant en créature mythologique quand cela leur est nécessaire. Et c’est aussi un moyen d’offrir quelques bonnes choses sur l’écriture des antagonistes qui sont aussi confronté·es à ces questions, car elles·ils incarnent également ces primordiaux. Cela les pousse à l’occasion à se poser de véritables questions sur leur quête et le bon sens de s’opposer à la vengeance de Clive. Mais difficile de ne pas jeter la pierre à l’équipe de Naoki Yoshida pour son traitement des personnages féminins. Il y a Jill, par exemple, principale alliée de Clive tout au long du jeu, qui n’existe jamais vraiment. Toujours reléguée au second plan, ne parlant jamais d’elle ni de son histoire, elle n’a le droit d’ouvrir la bouche que pour féliciter et motiver Clive. Pire encore, elle incarne pourtant un primordial, lui conférant de fait des pouvoirs extraordinaires, mais le jeu ne lui laisse jamais de place. A l’exception peut-être d’une quêtes secondaire dans le dernier quart du jeu où elle se dévoile un peu plus. Pareil pour d’autres, comme Benedikta, antagoniste qui semble tout droit sorti de Bayonetta, archétype caricatural de la femme fatale, qui ne dépasse jamais cette image. Ou encore Annabella, la mère de Clive, centrale pour l’histoire, mais pourtant complètement reléguée derrière ses fils, même aux moments les plus importants pour son destin. Et c’est d’autant plus dommage que d’autres personnages féminins, plus secondaires (mais très présents dans les quêtes secondaires) bénéficient d’une vraie bonne écriture. Mais dès qu’on retourne à la quête principale, les femmes sont au mieux des faire-valoir pour glorifier les héros, au pire complètement absentes.

L’histoire de Final Fantasy XVI est celle d’un récit aux implications politiques nombreuses, parfois faites d’ellipses, quitte parfois à nous perdre en route. Mais le jeu a eu le bon sens d’intégrer un « wiki » à son aventure, mieux fait qu’un « codex » plus classique pour la saga, où de nombreux articles (d’une vingtaine de lignes tout au plus) permettent de comprendre les enjeux, mais aussi ce qu’il se passe en fond. Car Final Fantasy XVI a l’intelligence pendant une bonne partie de son histoire de ne pas faire de la quête de Clive l’alpha et l’oméga de son monde. Au contraire, la majorité des gens qu’il rencontre n’ont aucune idée de qui il est, car leurs régions et leurs villes sont confrontées à leurs propres problèmes. On découvre des régions qui se font la guerre, des conquêtes qui changent la face de la carte, et des enjeux politiques que le jeu développe assez maladroitement dans ses cinématiques, mais qui prennent sens dès lors que l’on débloque l’historienne. Celle-ci se trouve dans la base de la rébellion qu’a rejoint Clive, et permet de s’informer au fil des heures sur l’évolution des relations entre les différents pays. Entre ça, le « wiki » qui permet d’en apprendre plus et aussi le glossaire qui est accessible sur chaque cinématique, le jeu déploie de grands moyens pour ne pas nous perdre en route. Et si c’est plutôt archaïque, cela servant essentiellement de pansement sur une narration pas toujours maîtrisée côté cinématiques, ça se révèle plutôt efficace car ces éléments sont essentiellement nécessaires pour approfondir l’histoire mais pas indispensables à la compréhension de la quête de Clive. Ce qui est bien mieux, que, par exemple, Final Fantasy XIII dont l’histoire était parfaitement incompréhensible sans jeter un oeil au « codex ».

La rage de vaincre

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Beaucoup de choses ont été dites à propos du système de combat de Final Fantasy XVI. Avant même sa sortie, l’équipe de développement assumait l’envie de bouleverser les codes du genre. Le précédent épisode canonique, Final Fantasy XV, avait déjà fait le choix de l’action, délaissant les quelques restes de tour par tour qui pouvaient subsister timidement dans les épisodes XII et XIII. Mais cette fois-ci, le jeu va un peu plus loin en incorporant tout un système de combos hérité de jeux d’action populaire, mais en leur conférant une certaine simplicité qui permet aussi aux adeptes de la saga de pouvoir s’y retrouver. Les combats sont sûrement plus éprouvants que ceux de ses prédécesseurs, toutefois le titre trouve un bon équilibre entre l’utilisation de l’arme de mêlée, une épée (et rien qu’une épée : pas moyen d’obtenir d’autres types d’armes) et des pouvoirs de notre héros. Car pour l’essentiel du jeu, on ne contrôle que Clive, tous les autres compagnons étant dirigés par le jeu, sans que l’on puisse avoir la moindre influence sur leurs actions. A l’exception du chien, l’adorable Talgor, pour lequel il existe un timide système d’ordres que l’on oublie aussi vite qu’il nous est présenté. Heureusement et pour éviter de tourner en rond trop rapidement, les compétences obtenues régulièrement pour Clive au fil de l’aventure permettent de varier les plaisirs. Car contrairement aux autres émissaires qui doivent se contenter des pouvoirs d’un seul primordial, lui est capable d’absorber les pouvoirs de chacun d’entre eux, jusqu’à ce que l’on finisse par se lancer dans des combos mélangeant les pouvoirs d’Ifrit, de Garuda ou encore de Titan. Ces pouvoirs, déclenchés par une pression sur deux touches simultanément, permettent essentiellement de taper plus fort, mais aussi d’accélérer la chute d’une barre de déstabilisation des ennemis. Quand elle est vide, l’ennemi tombe et devient ainsi plus vulnérable aux attaques, démultipliant les dégâts infligés pendant un court laps de temps.

Malgré toutes ses bonnes intentions, le système de combat ne parvient toutefois pas à maintenir le même intérêt sur toute la durée du jeu. Les pouvoirs à obtenir sont nombreux, mais le titre souffre d’une progression plutôt lente, avec un coût en points de compétence (obtenus en combat ou en terminant des quêtes) bien trop important pour débloquer de nouveaux pouvoirs et les renforcer, chaque pouvoir comptant trois niveaux de puissance. Ainsi, on sort assez peu des deux pouvoirs principaux offerts à chaque déblocage d’un nouveau primordial, se contentant de n’en débloquer qu’une poignée à côté avec les rares points de compétence obtenus. Et ce n’est pas faute d’avoir passé du temps sur le contenu secondaire, qui s’avère être dans la deuxième moitié du jeu le meilleur moyen de progresser, mais qui ne suffit pas à essayer et diversifier les compétences utilisées. Cela n’empêche toutefois pas de passer d’excellents moments sur certains combats, à commencer par les combats de boss qui ont pris une orientation tout à fait surprenante mais terriblement bien senties. En effet, influencés par des œuvres inattendues, ces combats s’avèrent parfois incroyablement impressionnants, avec une action déportée dans des zones gigantesques, dans le ciel, des souterrains, voire même dans l’espace, avec une grande influence de quelques anime type shonen, à la Dragon Ball Z, ou un jeu comme Asura’s Wrath, dont les combats de boss stupidement démesurés est la marque de fabrique. Et curieusement, malgré le ton résolument sérieux de son univers et de son histoire, ces moments où la mise en scène s’emballe pour offrir un surplus de moments héroïques et de gros coups de poings qui envoient l’adversaire détruire un flan de montagne, fonctionnent très bien.

Quant à la construction de son aventure, il ne révolutionne pas la saga. La quête principale est assez dirigiste, le jeu n’offrant aucun occasion de se perdre. Mais il propose tout de même des quêtes secondaires qui se débloquent au fil de l’avancée dans l’histoire principale, où l’on trouve un peu de tout, pour le meilleur et pour le pire. Pendant 10 à 15 heures (sur un jeu terminé en 57 heures), ces quêtes ne présentent pratiquement aucun intérêt narratif, se contentant de transformer notre cher Clive en coursier de luxe. Mais plus tard dans le jeu, ces quêtes secondaires offrent des éléments narratifs importants sur le monde qui compose le jeu, mais aussi sur le passé de personnages clés. On y découvre aussi des personnages secondaires parfois plus intéressants que les principaux, avec leur lot de bonnes histoires à partager. Ces moments présentent une vraie importance pour nourrir le récit, et je pense que les ignorer -même s’il faut subir un paquet de quêtes peu intéressantes au début- peut conduire à rater une dimension sociale déterminante sur le monde de Valisthéa. Car on y découvre le quotidien, la vie de quelques personnes qui tentent d’agir à leur manière pour leurs proches et leurs villes, sans véritable considération pour la quête du héros. Ces personnages évoluant dans leur coin, comme je le disais plus tôt, dans un univers qui existe et qui évolue en dehors de la quête du héros, qui n’est pas le centre du monde contrairement à ce qui peut arriver dans d’autres RPG.

Beautés insidieuses

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Et ces quêtes présentent aussi un intérêt inattendu, celui de pouvoir passer plus de temps à explorer le monde que le jeu nous propose. Même s’il souffre d’un manque de diversité dans sa palette de couleurs, étant souvent gris, avec des terres désolées et un désespoir qui se sent face à chaque arbre mort, le monde de Valisthéa a quand même quelques bons moments avec certaines zones qui peuvent s’avérer plutôt impressionnantes. Notamment les zones désertiques, celles de canyon, où la mise en scène gagne en élégance. Une élégance qui est moins évidente toutefois du côté des scènes de dialogues, avec des personnages trop souvent raides comme des piquets, peu expressifs, avec une direction d’acteur·ices qui en pâtit. Cela n’empêche toutefois pas au jeu de livrer quelques séquences chargées en émotion, mais on aurait aimé un peu plus de conviction dans la manière de jouer et d’incarner les personnages, pour des équipes de doublages qui ne parviennent pas toujours à outrepasser une mise en scène toute plate. Quant à la bande-originale de Masayoshi Soken, elle souffre aussi de cette inégalité. Il y a de vrais bons moments, notamment lors des combats de boss évoqués plus tôt où le musicien amoureux de guitare électrique s’emballe dans des compositions qui semblent certes presque hors de propos dans un monde d’heroic fantasy, néanmoins terriblement addictives. Mais il y a aussi quelques thèmes musicaux moins inspirés, notamment lors des séquences d’exploration, qui tournent en boucle et qui peinent à se renouveler.

Enfin, il y a quelque chose qui me chiffonne dans ce Final Fantasy XVI, et ce n’est pas lié aux qualités de son histoire, de sa narration ou encore de sa direction artistique. Mais c’est un problème important qu’il convient de ne pas ignorer, celui de l’inclusivité. Il y a les personnages féminins donc je parlais plus tôt dans cette chronique, des femmes reléguées à des fonctions secondaires, en soutien des hommes, incarnant des stéréotypes dépassés et mal écrits. Mais aussi un manque criant de diversité parmi les personnages. C’est simple, dans le monde de Valisthéa, tout le monde est blanc. Pourtant si Naoki Yoshida a tenté de s’en défendre en disant qu’il s’inspirait de l’histoire médiévale européenne, ce qui expliquerait une galerie de personnages entièrement blanche (comme s’il n’y avait que des peuples blancs à l’époque, mais c’est encore un autre sujet), la réalité du jeu s’avère bien différente. En effet, le jeu finit par nous emmener dans des zones désertiques, notamment aux côtés d’un peuple vivant dans une petite ville au milieu du désert, à l’architecture et au style vestimentaire très clairement inspirée des peuples arabes du huitième ou neuvième siècle. Des peuples qui, visiblement, dans l’imaginaire de Yoshida, blancs comme Blanche Neige.

On ne peut décemment pas ignorer ces problèmes d’inclusivité, qui sont une véritable ombre au tableau d’un jeu sur lequel je ne peux pas cacher avoir passé un très bon moment. Final Fantasy XVI peut se féliciter d’apporter une certaine modernité, un renouveau qui reste dans la continuité d’une saga qui aime se renouveler à chaque épisode quitte à entraîner des débats importants parmi les fans sur ce qu’est un « vrai » Final Fantasy. Et ce, tout en rendant hommage à quelques éléments narratifs et de construction du monde des trois premiers épisodes canoniques. Alors il est d’autant plus dommage de voir le jeu opérer un tel retour en arrière sur sa vision du monde et sur l’inclusivité, bien qu’il se permette tout de même d’offrir la première romance homosexuelle d’un jeu de la saga. Les critiques sont légitimes et doivent exister, avec l’espoir que le prochain épisode prenne conscience de ces erreurs. En attendant, Final Fantasy XVI n’en reste pas moins pour moi un très bon cru à l’échelle d’une saga qui ne cesse de diviser ses fans à chaque épisode, chacun·e venant y chercher des choses différentes, avec sa propre conception de ce que doit être un bon « FF ». Parce que le jeu tente des thématiques intéressantes, évoque les conséquences d’une quête de vengeance sur un monde déjà meurtri, montrant souvent son héros sous une facette moins enviable, l’interrogeant sur les dégâts qu’il provoque pour assouvir son besoin de liberté. Des idées nouvelles qui remettent en cause certains codes des J-RPG, parfois timidement ou maladroitement, mais toujours avec beaucoup de cœur.

  • Final Fantasy XVI est disponible sur PlayStation 5 depuis le 22 juin 2023. 

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