Peu connue, la série des Fallen Legion en est pourtant rendue à son troisième épisode. Créée par les développeurs indonésiens de Mintsphere et YummyYummyTummy, la série a fait ses débuts en 2017 sur PS4, avec l’épisode Sins of an Empire et sur PS Vita avec sa suite, Flames of Rebellion, deux jeux qui ont depuis profité d’une compilation sortie sur Switch et PC. Plutôt confidentielle, la série a toutefois conquis une petite base de fans qui lui permet aujourd’hui de se doter d’un troisième opus, cette fois-ci sur PlayStation 4 et Switch, passant entre nos mains pour voir ce que ce jeu qui s’inspire des jeux de rôle Japonais vaut réellement.
Cette critique a été rédigée à partir d’une clé PS4 envoyée par l’éditeur. Jeu testé sur PlayStation 5 en rétrocompatibilité PS4.
La Terre décimée par la peste, un miasme transforme le peuple en monstres et le château volant de Welkin est le dernier refuge de l’humanité. Mais ils font face à une pénurie des ressources, la famine n’est pas loin, et le château est mené par un tyran fou. On incarne ainsi Lucien, un politicien qui agit dans l’ombre du château avec l’espoir de renverser le tyran, et Rowena, le fantôme d’une femme qui part affronter des monstres sur les Terres désolées pour trouver un moyen de sauver son fils.
Des choix osés pour un jeu atypique
La sortie des deux premiers Fallen Legion constituait en 2017 de petits événements puisqu’il s’agissait des tous premiers jeux Indonésiens disponibles sur console. Si l’Indonésie a un certain intérêt pour le jeu PC et mobile, le développeur Kris Antoni Hadiputra, fondateur du studio indépendant Indonésien Toge Productions, expliquait dans un post de blog sur Gamasutra que les kits de développement qui permettent de porter des jeux sur consoles étaient très difficilement accessibles aux Indonésiens. Un obstacle au développement sur consoles que les développeurs de Fallen Legion ont pu surmonter, jusqu’à finir par obtenir le soutien de NIS America pour que le jeu puisse être disponible. Et il y a une curiosité qui l’entoure, car la promesse est intéressante : un univers de dark fantasy, des influences venues J-RPG, et surtout la promesse d’une histoire où les choix comptent énormément. C’est d’ailleurs le centre de l’expérience pour ce troisième épisode, Fallen Legion Revenants, où l’histoire est assez largement modulée par les nombreux choix effectués au cours de l’aventure. À tel point que l’on peut même souffrir d’un « game over » au bout de quelques heures si une décision mène à la mort cruelle du héros, mettant de côté tout un pan de l’histoire qui n’est accessible qu’en survivant.
Très verbeux, Fallen Legion Revenants joue beaucoup avec les parallèles des situations. Quand on incarne Lucien, membre d’un conseil qui dirige le quotidien du château volant de Welkin, il s’agit de parler à tout le monde, créer des potions pour aider Rowena et nouer des amitiés. Quant à cette dernière, ses séquences se composent intégralement de combats au rythme plutôt hasardeux. Alors quand Rowena est en pleine mission, le jeu renvoie parfois vers Lucien pour raconter ce qu’il se passe au château, et c’est sur ce ressort que joue principalement la narration. Car l’arc narratif de Lucien est ce que le jeu a de plus intéressant à raconter : c’est une histoire politique, avec ses alliances et ses trahisons. Cette forte dimension politique pousse à faire des choix et trouver des soutiens, ou au contraire mener des manigances pour faire peser des soupçons sur des personnes qui peuvent constituer des obstacles à l’accomplissement d’une simili-révolution contre le tyran en place.
Ces dialogues sont parfois convaincants, mais le jeu pousse à l’erreur autant que possible en installant régulièrement un temps limite pour trouver des solutions, convaincre et surtout, prendre une décision. Il faut par exemple parfois convaincre une ou deux personnes en trente secondes avant un vote du conseil, ou trouver le bon angle dialogue qui permet de s’attirer les faveurs d’une personne en une dizaine de secondes. Ce temps limité agit comme un moyen de pression, pour pousser à la faute, comme une manière de montrer que le héros est lui-même incertain de ses choix, loin d’être infaillible. C’est un procédé narratif intéressant, néanmoins il montre vite ses limites car il n’est pas rare de prendre une décision sans avoir pleinement compris ce qu’il se passe. Simplement parce que l’on a pris trois secondes plutôt qu’une avant d’aller parler à quelqu’un et qu’il manque donc ce petit temps en plus pour discuter avec le personnage suivant. Tout se joue à la seconde, rendant le tout très artificiel, et devenant même punitif quand on prend une « mauvaise » décision, que l’on n’aurait pas prise si nous avions pu activer le dialogue suivant pour en savoir plus. Il y a certainement un effort d’équilibrage à faire, car si le temps limité est intéressant en matière de narration, il rend inintelligible quelques bouts d’histoire.
Et c’est d’autant plus dommage que le jeu a de très belles ambitions en la matière. La partie politique du jeu est certainement ce qu’il y a de plus intéressant, avec quelques dialogues bien écrits et une approche plutôt mature propre à la dark fantasy. Les nombreux choix à faire ont une véritable influence sur l’histoire, tant sur ses multiples fins que le cheminement, le destin de certains personnages dépendant entièrement des choix effectués dans la hâte. Y compris pour le héros, Lucien, qui peut mourir bien vite, signifiant la fin prématurée du jeu. Tout cela passe aussi par des séquences d’infiltration pas bien passionnantes, mais qui ont le mérite d’apporter un peu de variété au gameplay au sein du château, où l’ont fait vite le tour de la poignée de personnages dont les dialogues n’évoluent réellement qu’à chaque grande étape franchie dans les chapitres. Tout cela aurait pu très bien fonctionner en y apportant un peu plus de soin, il y a de vraies bonnes idées dans cette machination politique dont la maturité est une bonne surprise. Mais la politique implique aussi parfois de réfléchir pour avoir un coup d’avance, une liberté que ne laisse que trop rarement un jeu qui tente d’aller plus vite que la musique.
Une difficulté inutilement punitive
Fallen Legion Revenants n’est toutefois pas qu’une histoire politique, c’est aussi un jeu qui donne une place très large à l’action, dans toutes les séquences où l’on contrôle l’autre héroïne du jeu, Rowena. Celle-ci a des intentions différentes de Lucien, s’ils collaborent ensemble pour défaire le tyran Ivor, son seul objectif est de sauver son fils emprisonné par le pouvoir. Pour ce faire, elle glane des informations sur Terre, loin du château, en profitant de ses pouvoirs et de sa forme de fantôme pour affronter les hordes de monstres qui se dressent sur son passage. C’est ainsi qu’on découvre un système de combat atypique, avec un défilement vertical qui puise son inspiration du côté de Valkyrie Profile. Loin toutefois de la qualité de ce mastodonte du J-RPG, le jeu met en place un système de combat où chaque touche est attribuée indépendamment à chaque personnage contrôlé, qui peuvent agir librement selon le remplissage de leurs barres d’attaque. Un peu à la manière du système « ATB » (active time battle) d’un Final Fantasy 7, les personnages ne sont pas liés par un système de tours, mais ils disposent chacun d’une barre d’action qui se recharge plus ou moins vite selon les bonus dont ils disposent via l’équipement. Pour attaquer, rien de bien compliqué: il suffit d’appuyer sur la touche attribuée à l’un des quatre personnages (sur PS4, triangle pour Rowena, rond, carré et croix pour les autres) ou de faire une combinaison de touche pour déclencher une attaque spéciale. Mais tout n’est pas une question d’attaque, puisqu’il faut aussi apprendre à gérer le contre et l’esquive avec un autre bouton, qui, déclenché au bon moment, permet d’annihiler complètement l’attaque adverse et même de renvoyer des projectiles. Le jeu est plutôt avare en explications sur l’importance de cette mécanique, mais il suffit de se retrouver confronté à un boss ardu pour réaliser qu’il n’est pas possible de s’en sortir sans parfaitement maîtriser la mécanique.
Car il est là, ce caillou dans la chaussure dont Fallen Legion Revenants ne parvient jamais à se débarrasser. C’est cette mécanique du contre, à la fois si simple sur le papier, mais si désagréable à utiliser en jeu. Une mécanique qui manque de précision, la faute à une certaine « inertie » dans les déplacements des personnages sur les cases qui rend parfois difficilement prévisible le moment où il faut contrer. Une imprécision à des années lumière de l’exigence d’un jeu qui se décide parfois, soudainement, à devenir une sorte d’apôtre de la difficulté. Votre humble serviteur sort d’une cinquantaine d’heures de Nioh 2 où il a pris un malin plaisir à découvrir et à maîtriser des mécaniques importantes pour survivre à un jeu qui fait de sa difficulté un élément fondamental, mourant des centaines de fois jusqu’à trouver les bonnes solutions. Mais votre humble serviteur a été outragé, parfois brisé, souvent martyrisé, et jamais libéré par le gameplay de Fallen Legion Revenants. Le jeu s’amuse en effet à balancer d’immenses murs de difficulté sur certains boss, qui obligent soudainement à maîtriser sur le bout des doigts les mécaniques de contre, ne laissant aucune chance si l’on commet la moindre erreur. Stupidement difficile, le jeu oblige ainsi à connaître par cœur les mouvements des boss avec, pour certains, de multiples transformations. Une totale contradiction avec les heures qui précèdent ces affrontements où Rowena combat essentiellement des monstres qui ne sont jamais dangereux. De nombreux combats plutôt longs, parfois pénibles, poussant même souvent à attaquer en boucle sans trop se poser de questions, jusqu’à ce que l’héroïne se retrouve face à un boss à la difficulté improbable. Injuste, Fallen Legion Revenants exige une précision que le jeu ne parvient pas lui-même à mettre en application avec son gameplay hasardeux qui fait pâle figure face d’autres jeux réputés difficiles, mais qui donnent eux de véritables clés pour s’en sortir et pour progresser.
Car il ne faut pas compter sur un gain d’expérience pour surmonter ces passages : les trop nombreux combats qui sont, pour l’essentiel, bien peu passionnants ne rémunèrent en rien les efforts. À toute peine on récupère des objets qui permet d’obtenir des bonus passifs, dont l’influence sur les combats reste trop limitée, pour des personnages qui ne gagnent pas de niveaux ni d’expérience. On se contente de simplement débloquer de nouveaux « Exemplars », ces armes matérialisées en soldats, qui disposent à peu près tous de la même puissance et qui peuvent simplement s’enrichir de nouvelles compétences d’attaques en remplissant quelques défis. Les combats tentent bien d’instiller des notions tactiques avec le déplacement par case de notre équipe et des ennemis, mais on reste face à quelque chose de très basique et sans grand intérêt, avec pour seul objectif que celui d’être sur la bonne case pour pouvoir récupérer des points de vie les fois où on rate un contre ou une esquive. Tout cela est d’autant plus frustrant qu’on ne peut ni éviter les combats, car dans les « donjons » l’équipe avance toute seule de gauche à droite en réalisant un nombre de combats prédéfinis, ni choisir la difficulté du jeu. Il n’y a aucun mode prévu pour rendre l’expérience plus douce, il faut ainsi se contenter d’espérer que les boss bénéficieront de nouveaux patchs pour les équilibrer, comme cela a déjà été le cas pour deux d’entre eux. Ce défilement vertical sans contrôle met, en outre, de côté toute idée d’exploration, rendant les nombreuses séquences de combat très rébarbatives et sans surprise.
La faiblesse des débuts
Il aurait été possible de se laisser séduire par Fallen Legion Revenants, tant le jeu offre de belles idées sur son intrigue politique. Mais on reste face à un jeu qui peine à imprimer son idée et son style. Il s’agit certes de la production d’un studio indépendant indonésien, et à ce titre on était curieux de le découvrir et il est facile de pardonner quelques éléments, notamment un manque d’envergure évident malgré l’ambition des nombreux choix qui impactent l’histoire. Mais comme ce troisième épisode de la saga Fallen Legion a toutes les peines du monde à convaincre. La faute à une narration pas toujours très fine ni intéressante malgré son contexte politique qui intrigue dans une telle production, et la faute aussi à des personnages qui manquent globalement de consistance. Il y a pourtant quelques moments d’éclats quand le jeu se lance dans les manigances et les histoires de trahisons, d’autant plus qu’il s’appuie sur une direction artistique qui trouve de bonnes inspirations et un équilibre intéressant entre l’influence des productions Vanillaware (Odin Sphere, Dragon’s Crown, 13 Sentinels) et son propre style. On peut reprocher une bande-originale bien peu percutante et du voice acting rarement convaincant (le jeu est entièrement doublé en Anglais -notons d’ailleurs qu’il n’y a pas de traduction en Français et que l’Anglais utilisé est parfois exigeant), mais artistiquement, le jeu se tient et se révèle bien plus maîtrisé que ses deux prédécesseurs. Son univers de dark fantasy rappellerait même parfois du Castlevania, comme un gigantesque condensé de tout ce qui a inspiré les développeurs depuis des années. Parfois présenté comme un « J-RPG », les influences Japonaises de Fallen Legion Revenants sont pourtant plus à chercher du côté de ses choix visuels que de son système de jeu, avec un style qui ressemble parfois à une lettre d’amour à certains de ses illustres modèles.
Fallen Legion Revenants est bien loin d’être à la hauteur de ses ambitions. Il y a une prise de risque sur sa narration avec les nombreux choix à effectuer, mais le jeu est trop rapidement trahi par des systèmes de dialogues et de combats qui tombent tous deux à plat. En ajoutant à cela une difficulté parfois démesurée et décourageante, qui ne semble être là que pour rallonger un jeu plutôt court, sans que cette difficulté ne serve véritablement ce que le jeu tente de raconter. En effet, rien ne la justifie, ni son gameplay imprécis ni son histoire qui a certes de bons moments, mais qui souffre le plus souvent d’un rythme mis à mal par l’omniprésence de combats sans grand intérêt. Le challenge n’est pas forcément un mal, mais il faut que la carotte soit appétissante pour donner envie de le surmonter. Et en l’occurrence, le jeu ne parvient jamais à donner envie de se dépasser, pas même ses multiples fins qui se calent de manière parfois habile sur les choix effectués, et ce malgré quelques bonnes idées narratives qui demandent à être précisées et améliorées dans une éventuelle suite.
- Fallen Legion Revenants est sorti le 19 février sur PS4 et Nintendo Switch, un jeu en Anglais uniquement.