Avec le film Blue Beetle à l’affiche au cinéma ce mois-ci, il était attendu que Urban Comics en profite pour caler un comics éponyme qui avait eu droit à une sortie en VO plus tôt dans l’année. Véritable curiosité du mois, celui-ci s’accompagne des débuts de la série Poison Ivy Infinite, ainsi que la suite et fin de l’évènement Planète Lazarus. Un mois intéressant, notamment parce qu’il permet d’aborder des personnages habituellement moins en vue, qui sortent un peu du carcan habituel de Batman et Superman.
Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
Blue Beetle Infinite, comme une crise d’adolescence
Tandis que le film Blue Beetle est projeté au cinéma et fait un four que tout le monde a vu venir sauf la Warner, Urban Comics en profite pour introduire dans sa collection Infinite la mini-série Blue Beetle: Graduation Day sortie cette année. Sous le titre de Blue Beetle Infinite et en attendant la publication future éventuelle de la nouvelle série de comics (qui commence le 5 septembre aux États-Unis), on y découvre donc les débuts depuis la reprise du personnage par le duo composé de Josh Trujillo et Adrián Gutiérrez. Blue Beetle y est incarné par Jaime Reyes. Un jeune latino, troisième personne à porter le costume dans l’histoire du personnage, qui tire ses pouvoirs d’une sorte de scarabée alien nommé Khaji Da : le comics l’explique dans ses premières pages alors que Jaime se présente dans le fameux mode narratif du “vous vous demandez sûrement comment j’ai fini ici”, très à la mode dans les récits qui visent les ados. L’action débute lors de la remise des diplômes à la fin du lycée, où l’on découvre donc un personnage encore jeune, à peine adulte, qui est en conflit avec ses parents car il ne sait pas encore tout à fait ce qu’il veut faire de sa vie. Un jeune homme coincé entre les attentes de sa famille, et son besoin de trouver sa propre voie, tandis que ses pouvoirs le poussent à jouer un rôle de super-héros qui lui convient finalement assez peu. C’est du young adult pur jus, avec son lot de questionnements sur l’identité, mais aussi avec une forte consonance latino tant le personnage est attaché à sa communauté et à sa famille qui prennent dès le début une place importante.
Néanmoins il reçoit en ce jour important une visite inattendue, celle de l’homme le plus fort de la planète : Superman. Figure quasi-mystique, qui lui annonce que la race alien à laquelle appartient le scarabée qui lui donne ses pouvoirs est prête à revenir et à envahir la Terre. Une terrible nouvelle qui pousse le personnage à faire le point sur sa propre vie, sur ses pouvoirs et à mieux les contrôler, sachant que Superman et Batman veulent plutôt qu’il se cache et ne les utilise pas, puisque c’est ses pouvoirs qui attirent les aliens. Le combat qui s’engage dans ce comics est une métaphore pour Jaime, partagé entre sa vie de super-héros et les attentes de ses parents : il ne sait plus qui il est et ce qu’il veut faire tandis qu’eux poussent pour qu’il aille à l’université maintenant qu’il a fini le lycée. Cette hésitation se trouve aussi dans son combat contre une invasion future puisque, il ressent une responsabilité à utiliser ses pouvoirs pour faire le bien, mais leur utilisation pourrait provoquer une catastrophe. Dans l’ensemble Josh Trujillo brille à l’écriture de ce récit, qui malgré son ton très jeune et enjoué offre quelque chose qui dit des choses franchement intéressantes. Notamment sur la manière dont un jeune en sortie de lycée doit encore se forger sa propre identité, loin d’avoir encore compris le monde qui l’entoure, les attentes placées en lui et ses propres capacités à affronter les obstacles qui se dressent sur son chemin. Et avec un style visuel très cartoon, ultra coloré, qui évoque même parfois le genre du sentai japonais avec ses différents « beetle » aux couleurs différentes, cela correspond bien au ton du récit qui veut s’adresser à tout le monde, et surtout aux jeunes. Mais les couleurs, exclusivement numériques, manquent de nuance et d’imperfection sur les personnages, leur peau notamment. C’est très lisse, trop lisse, cela manque de corps et de personnalité, ce qui est vraiment dommageable alors que l’intention est franchement bonne.
Poison Ivy Infinite T.1, l’homme est un virus
Suite aux évènements de Batman Infinite, dans l’arc de l’état de terreur, Poison Ivy trouve sa liberté. En colère après avoir été privée d’une grande partie de ses pouvoirs, elle tente de se venger. Son amour pour Harley Quinn, qui a participé à la priver de ses pouvoirs, est intouchable, néanmoins sa haine pour l’espèce humaine n’a fait qu’empirer. Ce nouveau récit écrit par G. Willow Wilson, à la plume toujours aussi efficace, profite de la nature même du personnage pour parler d’écologie. L’influence humaine sur la destruction du monde, des plantes, de l’écosystème, une destruction à laquelle Ivy refuse de prendre part. À tel point qu’elle se met à utiliser le « ophiocordyceps lamia », un parasite qui tue presque instantanément les humain·e·s, et qui la tue elle aussi à petit feu. Ce parasite, qui nous rappelle instantanément celui qui inspire le cordyceps de The Last of Us, déchaîne des spores qui transforment les humain·e·s en espèce de champignons horrifiques avant de les tuer. Sans pour autant finir comme des clickers, le récit suggère que les personnes infectées pourraient se réveiller plus tard de leur mort et attaquer les gens qui les entourent sous cette apparence horrifique, même si ce premier tome ne le montre pas encore pleinement. Entre horreur et désir de vengeance, ce premier tome de Poison Ivy Infinite a quelque chose de terriblement accrocheur, tant on se laisse prendre d’empathie pour celle qui incarne une très fine frontière entre le bien et le mal. Personnage ambigu, Poison Ivy l’est encore ici, montrant derrière un déchaînement de violence une certaine douceur et empathie pour quelques personnages dont elle fait la rencontre. Des personnes quelconques, sans influence sur le monde qui les entoure, mais qui prouvent par des petits gestes être foncièrement de bonnes personnes. Des gens qui ne se laissent pas corrompre par un monde sans foi ni loi, et qui incarnent une certaine humanité qu’elle pensait disparue.
Le mode narratif est aussi plutôt intéressant, ce premier tome étant raconté comme une lettre laissée par Poison Ivy à Harley Quinn, une dernière lettre où elle raconte une sorte de baroud d’honneur, une dernière tentative de sauver la Terre. Quitte à devoir éliminer l’humanité. Un récit où l’héroïne commente elle-même son aventure, avec ce que cela implique de biais sur la réalité des faits, mais offre aussi une véritable introspection sur le sens de sa vie et de ses actes. C’est là qu’on y comprend ses motivations, l’amour qu’elle porte à Harley Quinn, sa propre vision de ses pouvoirs et son désir d’un monde nouveau. C’est un excellent nouveau comics, en espérant que la suite soit à la hauteur, sachant que G. Willow Wilson y dévoile déjà les qualités qu’on lui connaissait. C’est-à-dire un récit avec un ton personnel, intime, où ses personnages s’expriment avec leur coeur et leurs propres rêves. Les dessins de Marcio Takara offrent une vraie bonne ambiance à l’ensemble aussi, notamment dans quelques moments de « trips hallucinogènes » où la toxine prend le pas sur l’esprit de Ivy, avec des couleurs éclatantes et des déformations visuelles. Quant à la propagation du parasite, celui-ci évoque beaucoup visuellement The Last of Us comme je le disais plus tôt, mais ce n’est pas un défaut. Au contraire, il est plutôt intéressant de voir réutilisé ce parasite, qui existe sous une forme plus ou moins similaire dans notre monde, avec les spécificités d’un univers tel que celui de DC.
Planète Lazarus T.2, plongé dans le chaos
Dans un premier temps, ce deuxième et dernier tome de l’évènement Planète Lazarus raconte les retombées de l’éruption volcanique de l’île de Lazare qui a provoqué une pluie verte de la fameuse eau capable de faire revivre les morts. Suite directe du premier tome, on y découvre les impacts sur le quotidien de quelques personnes, au travers de héros et héroïnes de second plan qui voient leur entourage et la population changer de comportement face à cette catastrophe. Des gens se découvrent des pouvoirs, d’autres les perdent, et de manière générale, c’est toute une vie qui est remise en cause. Ces quelques chapitres fonctionnent plutôt bien et offrent une bouffée d’air frais entre deux chapitres d’action, où le combat contre le démon fils de Nezha continue, après la « mort » de son père dans le premier tome. Un combat qui n’est pas toujours passionnant, mais qui souffre surtout comme dans le premier, d’un énième rebondissement qui tente de maintenir un suspense artificiel. La surenchère d’entités démoniaques et de changements de paradigme (comme avec un passage où les super voient leurs pouvoirs échangés entre elles et eux) frôle parfois avec le ridicule, peinant à trouver le bon équilibre. C’est un récit inégal, dont l’intérêt réside essentiellement dans la qualité du travail des artistes à l’oeuvre, avec quelques chapitres franchement très beaux, notamment ceux de Mahmud Asrar.
En conclusion de l’event, l’action se déporte vers l’île de Themyscira, où vivent les Amazones. L’île de Wonder Woman subit le contrecoup de la pluie de lazare qui a bouleversé le monde (jusqu’à une résolution que je me garde de vous divulgâcher), avec des Dieux et Déesses qui se rebellent autour de Héra, avec la firme ambition de faire payer à l’humanité ses propres torts. L’île perd alors son invisibilité, désormais visible par tout le monde, tandis que les Amazones tentent tant bien que mal de résister aux assauts des Dieux et Déesses qu’elles vénéraient autrefois. Ces quelques chapitres, tirés d’épisodes de Planète Lazarus en VO consacrés à Wonder Woman et de la série principale, sont le vrai point fort de cet évènement. Il y a plein de bonnes choses dans ces chapitres écrits par G. Willow Wilson et Becky Cloonan, notamment sur la réflexion portant sur la responsabilité humaine, mais aussi l’éternel dilemme auquel Wonder Woman est confrontée de par sa nature de demi-déesse. Elle est tiraillée entre sa volonté de sauver l’humanité et sa proximité avec des figures divines, alors que se présente à ses côtés Mary, la grande soeur de Billy Batson, autrement connu sous le nom Shazam, qui semble avoir beaucoup de choses à dire. Une association surprenante mais efficace, qui offre une belle conclusion à un évènement qui n’a pas toujours été à la hauteur des espoirs.
- Blue Beetle Infinite, Poison Ivy Infinite T.1 et Planète Lazarus T.2 sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.