Après une légère accalmie ces derniers temps avec un rythme de publication revu à la baisse, Urban Comics remet un coup de fouet à sa collection DC Infinite en apportant ce mois-ci pas moins de quatre comics qui viennent étoffer la mythologie de l’ère qu’a lancé DC Comics en 2021. Au programme ce mois-ci il y a d’abord la suite et fin de Superman Infinite avec un cinquième tome, en attendant probablement la suite des numéros de Action Comics sous une autre forme. Ensuite, Planète Lazarus, prévu en deux tomes, dont le premier reprend la série Batman vs Robin sortie il y a quelques mois aux Etats-Unis et qui lance enfin les hostilités entre Damian Wayne et son père justicier. Enfin, on voit apparaître le récit complet en un tome Red Hood : Souriez de Chip Zdarsky et enfin, le deuxième tome de Batman/Superman : World’s Finest, série dont je vantais les mérites à la sortie du premier numéro.
Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
Superman Infinite – Tome 5, retour à la maison
Le mois que l’on puisse dire, c’est que Superman Infinite a eu toutes les peines du monde à nous convaincre depuis ses débuts. Parfois un peu longuet, pas toujours très solide narrativement, la série de comics a envoyé Superman dans une longue quête sur le Warworld, un monde fait de désespoir et d’une guerre perpétuelle, pour y affronter l’un de ses ennemis les plus forts. Cet exil a de fait coupé le héros de son quotidien sur la Terre, mais aussi de la dynamique que l’on aime habituellement retrouver avec ses proches. Ainsi, Lois Lane est rarement apparue, comme Jimmy Olsen, ou encore Jon Kent, son fils, qui disposait de sa propre série de comics. Certes, les départs de Superman vers d’autres planètes sont communs et font partie de son identité, mais entre cette série et les évènements de Dark Crisis on Infinite Earths, ça commençait à faire longtemps que l’on n’avait pas vu Clark Kent dans son environnement habituel. Et c’est ce que tente de raconter cet ultime tome, de manière parfois un peu maladroite mais avec beaucoup de coeur. C’est le récit d’un retour à la maison pour celui qui vient d’ailleurs, un retour qui est accueilli avec choix par certain·es, et avec haine par d’autres. Par une partie de la population d’abord, car il débarque avec une planète du Warworld qui s’est rapprochée de la Terre et qui contient un paquet de réfugié·es à relocaliser dans leurs pays et mondes d’origine (avec ce que cela contient de métaphore sur la xénophobie ambiante de nos sociétés vis-à-vis des réfugié·es). Et puis la haine de Lex Luthor, son ennemi de toujours, qui était bien content quand celui qu’il considère comme un simple extraterrestre qui n’a pas sa place sur Terre, était, justement, bien loin de la Terre. Et ce retour est abordé sous un angle intéressant, celui qui montre un Superman qui s’interroge sur son intérêt pour la Terre alors qu’il constate, pour la première fois, que celle-ci a réussi à survivre sans lui, alors que son fils a endossé son rôle protecteur de manière très naturelle et dans un style différent.
Mais parce qu’il faut de l’action, s’enclenche alors une nouvelle confrontation en toile de fond, avec un Lex Luthor qui fait une offre qu’on ne peut refuser à Metallo, dans un nouveau plan machiavélique pour se défaire de Superman. Cependant, contrairement à la précédente intrigue, celle-ci prend vite fin, parce que là n’est pas l’essentiel dans un cinquième et dernier tome où le monde de Superman revient à une sorte de statut quo. Alors certes, il y a eu une évolution : Jon s’est affirmé, il a prouvé qu’il pouvait remplacer son père (et bien plus), mais il y a une sorte de retour à la normalité dans un chapitre où l’on voit Clark Kent retrouver son vieux pote Jimmy Olsen, un autre où il retrouve ses parents, et d’autres encore où il rêve d’une vie plus paisible aux côtés de Lois. Mais la meilleure partie du récit est certainement à chercher du côté des quelques numéros de Superman Son of Kal-El signés Tom Taylor. Parce que oui, Urban Comics a fait le choix éditorial de ne pas continuer la série en question avec un troisième tome, mais plutôt d’inclure la suite dans la série Superman Infinite. Un choix douteux pour les personnes qui préféraient juste suivre les aventures du fils de Superman, mais qui se justifie plutôt bien tant ces quelques numéros sont pleinement intégrés à ce long récit du retour de l’homme d’acier sur Terre. Ces chapitres sont dotés d’une belle sensibilité, de bonnes intentions et de sacrés émotions au moment de raconter la difficulté pour Jon Kent de vivre avec l’héritage de son père. Jusqu’à ce qu’une forme de paix soit retrouvée, après une belle scène de dialogue entre les deux.
En bref, cet ultime tome de Superman Infinite est probablement l’un des meilleurs du lot, même s’il est un peu facile dans ses intentions avec un retour à ce que le héros fait de mieux, mais ça fait du bien après l’interminable guerre du Warworld.
Planète Lazarus – Tome 1, une tempête d’enfer
Sous le nom Planète Lazarus se cache un petit évènement du cru DC signé l’excellent Mark Waid, qui capitalise sur quelques évènements survenus dans des comics sortis ces derniers mois. Il s’agit de Robin Infinite ainsi que du premier tome de Batman/Superman World’s Finest, pratiquement indispensables à la compréhension (et à l’intérêt en général) de ce Planète Lazarus. En deux tomes, dont le premier sort donc ce mois-ci, on découvre d’abord la rancoeur éternelle de l’actuel Robin (Damian Wayne) pour son père Batman. Mais il y a un petit twist : il est possédé par un démon que son père avait emprisonné quelques dizaines d’années plus tôt, des évènements racontés dans World’s Finest. Ce démon, Nezha, a le même objectif qu’à peu près tous·tes les méchant·es de l’univers DC : contrôler le monde. Pour ce faire, il commence par tourmenter celui qui l’avait mis au frais, faisant plonger la Terre dans un mélange de réel et de magie, où la confusion est de mise et où l’on ne peut faire confiance à personne. Tout commence d’ailleurs par le retour d’entre les morts d’Alfred, le majordome de Batman qui avait perdu la vie aux prémices de l’ère Infinite. Alors évidemment, ce retour n’en est pas vraiment un, mais le retour de ce vrai-faux Alfred est surtout une excuse pour emmener le récit dans la psyché de Bruce Wayne et son fils, tourmentés par des sentiments qu’ils n’osent pas s’avouer, alors que l’un est le pire père du monde (sérieusement, il faut le dire) et l’autre le fils le plus insupportable possible. Un duo parfait donc, que Planète Lazarus emmène dans le surnaturel sur l’île de Lazare, où l’on trouve les fameux puits qui permettaient à Ra’s al Ghul de défier la mort et de rester immortel. Pas forcément subtil, cet évènement n’en reste pas moins sympathique chaque fois qu’il aborde les regrets de Batman, confronté à une réalité où il n’a fait que transformer des enfants en arme, chaque fois qu’il a recueilli un orphelin pour en faire son « Robin », jusqu’à ce que son fils biologique endosse le rôle et ne se laisse plus faire comme les autres.
Malheureusement, ça ne va pas bien plus loin sur ce sujet, puisque l’on sait que le personnage de Batman ne sera jamais complètement remis en cause, la critique n’étant que passagère et ne servant que momentanément l’intrigue. On retombe vite sur un récit blockbuster où l’opposition initiale entre Batman et un Robin possédé laisse place à une catastrophe générale, où l’ensemble des personnages doués de magie sont pourchassés par le démon. Si le récit perd en qualité à mesure que l’on avance dans les chapitres et malgré une excellente première partie, c’est la mise en scène qui rattrape le coup avec des planches très dynamiques qui mènent l’action avec brio. Le comics se lit bien, avec des dessins de Mahmud Asrar sur les premiers chapitres qui ont un côté très dessin animé qui fonctionne bien. Ensuite, sur les autres chapitres qui racontent les conséquences du combat contre le Robin possédé et le démon Nezha, la qualité visuelle est plus variable selon les artistes, mais l’ensemble garde toujours une grande exigence sur son rythme et la dynamique de l’intrigue. J’en sors donc plutôt partagé, d’abord complètement séduit par la première moitié, j’ai été plutôt déçu par le reste avec de nombreux chapitres qui tirent en longueur la situation, en racontant sans cesse la même chose sous des angles et dans les yeux de personnages différents aux quatre coins du monde. Et c’est une critique que je pourrais faire à la plupart des évènements DC de ce genre, qui ne trouvent jamais la bonne limite et qui finissent toujours par s’étendre au-delà de l’entendement, comme si on en avait vraiment quelque chose à faire de savoir en détail ce que chaque évènement a comme conséquence sur la vie de chacun des personnages de son univers.
Red Hood : Souriez, en quête de paix
Ce one shot consacré à Red Hood aborde le personnage sous un angle très personnel. C’est attendu parce que cet antihéros, alter ego de Jason Todd (le deuxième Robin), a fondé son identité autour d’une rage acquise très jeune, à une époque où il n’a pas su subir l’autorité de Batman sans la remettre en cause. Red Hood c’est probablement, sous ses airs de personnage impulsif et violent, l’un des Robin les plus rationnels : comme il le dit dans cet excellent comics de Chip Zdarsky, Batman n’a cessé de recueillir des orphelins dans un but militariste, les transformant en armes, sans leur donner la possibilité d’être des enfants. Sa position est évidemment radicale, elle ne tient pas compte du destin morbide qui l’attendait quand Batman l’a recueilli, gamin, alors que sa mère venait de mourir d’une overdose. Mais elle interroge les intentions du héros de Gotham, sa position de milliardaire qui a grandi orphelin certes, mais orphelin plein d’argent, avec l’amour d’Alfred et le soutien d’autres proches. Jason Todd le met face à ses contradictions et lui fait comprendre que oui, il a bien été privilégié tout au long de sa vie, malgré ce qu’il pense. Chip Zdarsky s’appuie sur ce discours pour livrer un récit intimiste qui sonne comme une rédemption où, derrière une enquête sur une nouvelle drogue (qui touche évidemment personnellement Red Hood compte tenu de la mort de sa mère quand il était petit), c’est bien la relation avec Batman qui est au centre des intérêts, qui bouscule les idées pré-reçues sur ses intentions et qui dénonce à sa manière toutes les erreurs commises par un héros qui, de réputation, n’en commet aucune. Un peu comme Planète Lazarus dont je parlais plus tôt, Chip Zdarsky égratigne la réputation du Chevalier noir, et s’inscrit dans un mouvement bien décidé à prendre du recul sur les actes d’un personnage tant aimé.
L’histoire se déroule sur deux temporalités, le présent où Red Hood et Batman enquêtent chacun de leur côté sur une nouvelle drogue et dans le passé, alors que Jason Todd était un enfant dans le costume de Robin, un rôle qu’il avait du mal à tenir. Car son père adoptif était terriblement exigeant, et qu’il ne lui montrait pas suffisamment qu’il lui faisait confiance malgré tout. Comme souvent avec Chip Zdarsky, c’est piquant, bien écrit et haletant. C’est une histoire en un tome qui ne manque pas de punch et qui capte en quelques pages tout l’intérêt de la relation entre ces deux personnages. En plus de ça, il exploite super bien l’univers de Gotham avec l’apparition de quelques personnages que l’on aime forcément, tandis que les dessins d’Eddy Barrows et les couleurs d’Adriano Lucas sont superbes. L’utilisation du rouge, parfois presque bordeaux, de Red Hood est subtile et se fond complètement dans la nuit de Gotham. Il y a une vraie identité visuelle qui se dégage du comics et qui achève d’en faire un excellent comics. S’il y en a un à ne pas louper ce mois-ci, encore plus pour les personnes qui veulent une histoire auto-contenue qui ne nécessite pas de suivre le reste des comics DC, c’est celui-ci.
Batman/Superman : World’s Finest – Tome 2, l’histoire se répète
Cette série de comics n’est pas comme les autres. Imaginée par un duo formé par Mark Waid à l’écriture et Dan Mora aux dessins, elle renvoie les deux héros les plus populaires de DC dans un passé réinventé. Sans définir de période temporelle, le comics suggère que les deux viennent de se rencontrer et continuent de s’apprivoiser, tout en exploitant un univers et des codes qui rappellent l’âge d’argent des comics (1950 à 1970). Cela implique des dessins plutôt colorés grâce au travail de Tamra Bonvillain, des véhicules et machines d’antan utilisés par Batman, un Dick Grayson qui est encore Robin (le premier, alors qu’il est depuis longtemps devenu Nightwing), des costumes plutôt kitsch… Ce deuxième tome reste évidemment sur le même esprit, toujours aussi sympathique, avec une histoire originale où une personne sort de nulle part et s’échoue sur Terre à l’aide d’une nacelle de survie. Le parallèle est évidemment fait avec l’histoire de Superman, lui-même venu d’un autre monde, dans une nacelle de survie tombée de l’espace. Mais c’est aussi un moyen d’introduire l’idée du multivers dans le comics, alors que ces héros d’antan n’en ont encore aucune idée (le concept ayant été introduit bien plus tard dans l’univers DC). Toujours très bien raconté avec un aspect très léger, avec des dialogues dynamiques et positifs comme les comics pouvaient le faire à l’époque, c’est une bonne bouffée d’air frais dans un univers qui a eu tendance à considérablement s’assombrir depuis quelques décennies. Atypique dans son approche, ce deuxième tome recherche la bonté et la positivité qui se trouve au plus profond de ses personnages, comme Batman, qui n’est pas dépeint d’une manière aussi violente que dans les autres séries en cours.
Cela a toutefois une conséquence attendue, celle de se retrouver avec un récit qui est somme-toute dispensable. Inconséquent, il colle à la manière de penser les comics il y a cinquante ou soixante ans, où l’on racontait des petites histoires sans véritablement chercher à alimenter une grande histoire en toile de fond. Cela me va évidemment, car certains comics peuvent être épuisants aujourd’hui, comme je l’évoquais précédemment dans cet article en parlant de Planète Lazarus et de son besoin irrépressible de tout raconter, tout expliquer, et d’inventer des conséquences partout et tout le temps dans l’ensemble de l’univers DC. D’autant plus que son côté kitsch fonctionne du tonnerre, avec des dessins de Dan Mora toujours aussi solides, et une écriture qui ne manque pas de piquant malgré sa légèreté. C’est une belle prise de recul sur ces quelques personnages et leurs destins, et c’est probablement sa véritable force.
- Superman Infinite T5, Planète Lazarus T1, Red Hood : Souriez et Batman/Superman : World’s Finest T2 sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.