Ces dernières semaines sont sortis les tomes 6 et 7 de Chiruran, fresque historique, un des titres majeurs du catalogue Mangetsu, éditeur dont on sait l’intérêt pour les mangas qui abordent l’histoire du Japon. Dans son récit de la vie du héros japonais Toshizo Hijikata, le manga de Shinya Umemura et Eiji Hashimoto nous a fait traverser bien des émotions, malgré quelques temps morts, jusqu’à nous livrer une vraie leçon de mise en scène avec son tome 5. Le manga peut-il continuer sur cette lancée ?
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par son éditeur.
Fiction ou récit historique
Plus que jamais Chiruran, avec ces tomes 6 et 7, joue avec les limites entre la fiction et l’histoire. Depuis les débuts du manga, je m’évertue à en louer les qualités tome après tome (comme vous pouvez le voir dans de précédentes critiques parues sur Pod’culture), pour un manga qui a su s’approprier l’histoire de Toshizo Hijikata, sorte de héros de l’histoire du Japon, afin d’en faire une épopée relativement classique dans le genre du shonen. Et au milieu de ces codes que l’auteur emprunte au genre, on trouve parfois de grands moments, des instants de grâce où Chiruran dépasse ce carcan pour coller plus que jamais au récit historique. Des moments où on nous livre une sorte de grande fresque médiévale où l’on assiste à des moments clé de l’histoire du Japon, de la chute de la féodalité et l’apparition d’un autre type de pouvoir. Et ces deux nouveaux tomes flirtent plus que jamais avec ces limites. Car si le manga continue d’assumer un côté plus grand public, notamment dans le tome 6 qui nous raconte une curieuse amitié (devenue rivalité) dont les shonen ont le secret, il y a aussi une forte insistance sur le fait historique. On y découvre ainsi un récit beaucoup plus calme, sans grands affrontements, plus orientés vers les luttes internes et manigances opérées pour écarter Toshizo Hijikata et son clan du commandement du Miburoshi gumi, l’alliance de samouraïs qui a vu son influence grossir dans la politique nationale. C’est extrêmement bien écrit, montrant même une vraie amélioration par rapport aux tomes précédents, et cela permet de recentrer le récit sur l’influence du Miburoshi gumi dans l’évolution politique du Japon.
Ces deux tomes proposent en outre des chapitres spéciaux en fin de tome, qui visent à se concentrer sur des personnages secondaires qui gagnent en épaisseur et en intérêt, et ce afin d’étoffer une histoire qui ne cesse de s’étendre dans des dimensions assez inattendues. Le héros devient presque spectateur tant les débats dépassent sa personne, et plus généralement s’étendent bien au-delà du coin où il exerce son influence. Mieux encore, ces quelques chapitres apportent un regard différent sur les événements racontés, y compris sur des personnes du camp d’en face, des méchants, offrant un peu plus de subtilité et de nuance à un récit où l’on règle le plus souvent ses différends à grand coup de duel. Ce qui est particulièrement captivant, surtout, c’est la manière avec laquelle le mangaka restitue l’histoire de Toshizo Hijikata et de tous ses compagnons, avec des touches de shonen plus classique mais aussi en y incorporant un vrai sens du récit historique, avec un sérieux et une volonté assez claire de raconter les réussites et les erreurs de ceux qui ont marqué l’histoire du Japon. On sent un intérêt important pour cette période, une vraie volonté de jeter un regard différent dessus, et surtout une envie de se servir de l’histoire comme d’un tremplin à une fiction dramatique.
La question de la compréhension
Cela a toutefois un inconvénient : l’auteur s’adresse essentiellement à un public qui connaît bien l’histoire du Japon et l’influence du Shinsen gumi, ainsi que les tenants et aboutissants des luttes de pouvoir au sein du Shogunat Tokugawa. On se retrouve plus que jamais submergé par les références à des lieux, des personnes, des événements qui ont réellement pris place dans l’histoire du Japon sans que l’auteur ne s’attarde trop à les expliquer ou, au moins, à les contextualiser. Cette avalanche d’informations nous perd un peu, et je dois avouer qu’à certains moments je me suis laissé prendre par la lecture en ayant bien conscience que la moitié des informations qui me sont jetées à la figure sont soit incomprises, ou seront peut-être assimilées un jour, si on revient dessus. Pas assez didactique, Chiruran se coupe ainsi parfois de cette attente pour la suite, caractéristique de ce qui nous donne envie de suivre un bon manga. Et ce parce que l’œuvre de Shinya Umemura et Eiji Hashimoto fonde parfois ses cliffhangers sur des éléments qui nécessitent une certaine compréhension et connaissance du contexte historique pour être parfaitement assimilés, ce qui rend l’approche plus difficile. Cela n’empêche toutefois pas de savourer l’essentiel du manga, puisque si j’ai déjà loué ses qualités narratives, ces deux tomes de Chiruran montrent aussi de belles choses sur la mise en scène des discussions, des oppositions sans combat, des moments de trahison et de tension, autant de choses qui montrent que Chiruran peut aussi briller visuellement en dehors des habituels combats.
En refermant le tome 7, je n’ai pas d’envie particulière de lire la suite, car les éléments qui ont été suggérés à la fin de celui-ci (censés générer l’attente) échappent en partie à ma compréhension, faute d’une connaissance extensive de l’histoire du Japon. Pourtant, je sais pertinemment qu’à l’image de toute la série, la suite devrait être de bonne facture, et je reste fan des choix narratifs ou de l’audace de mise en scène. C’est avec un sentiment toujours étonnant que j’aborde donc Chiruran, jamais impatient de m’y replonger, alors que j’en sors systématiquement très satisfait, avec l’impression d’avoir lu quelque chose de fort.
- Le tome 6 de Chiruran est sorti le 2 février 2022, le tome 7 est sorti le 6 avril 2022. Les deux sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.