American War | Conséquences d’une politique destructrice

by Anthony F.

Avant d’être un auteur de fiction, Omar El Akkad est avant tout un journaliste. Reporter pour The Globe and Mail, un journal canadien, le journaliste d’origine égyptienne, qui a grandi au Qatar, s’est fait connaître pour son travail de couverture sur la guerre en Afghanistan, les procès de Guantanamo, les printemps Arabes ou encore plus récemment les manifestations autour du mouvement Black Lives Matter. Foncièrement intéressé par les dynamiques de pouvoir et l’influence américaine sur la politique mondiale, et plus particulièrement au Moyen-Orient d’où il est originaire, il en a fait sa principale thématique au moment d’écrire ses premiers romans. C’est ainsi qu’il a écrit American War, livre primé par la critique américaine à sa sortie en 2017, traduit dans la foulée aux éditions Flammarion en France et en poche aux éditions J’ai lu. Un roman d’anticipation, qui imagine les conséquences de la politique américaine dans les cinquante prochaines années.

Inversion des rôles

États-Unis, 2074. Deux cents ans après, le pays affronte sa deuxième guerre de sécession. Si à l’époque l’esclavage était au centre du conflit, c’est aujourd’hui les ressources naturelles qui le provoquent. Face à un monde qui subit le dérèglement climatique après des décennies d’inaction, les États-Unis se voient bouleversés. La Floride par exemple est en partie engloutie par les eaux, les états désertiques sont pratiquement devenus invivables à cause de la chaleur, et les inondations sont fréquentes partout sur les côtes. Tout cela entraîne une instabilité politique au sein du pays, jusqu’à ce qu’une décision provoque la sécession des états du sud : les énergies fossile, le pétrole notamment, sont déclarées illégales. Refusant d’évoluer avec son monde, comme au temps où Lincoln voulait abolir l’esclavage, les états du sud décident de faire sécession et de monter leur propre gouvernement. Cela entraîne immédiatement une guerre, dans laquelle naît Sarat. Une petite fille qui ne comprend au départ pas grand chose à ce qui oppose ces militaires et rebelles, autoproclamés « rouges » au sud et « bleus » au nord. Elle ne sait pas non plus que loin de là existent les pays du sud, devenus « empire Bouazizi » (un nom en référence à Mohamed Bouazizi, dont le suicide a été l’élément déclencheur du « Printemps arabe » en 2011), qui composaient autrefois une Afrique et un Moyen-Orient dominé par les États-Unis, sont ceux qui font subsister le peuple américain en envoyant des aides humanitaires occasionnellement. Parce que ce qui était autrefois la première puissance mondiale a fini par devenir l’un des pays les plus pauvres, déchiré par sa guerre intérieure et une dynamique mondiale complètement inversée. Mais Sarat va vite grandir, et American War raconte son destin à la découverte du monde qui l’entoure, subissant l’évolution d’un conflit extrêmement violent, jusqu’à devenir elle-même une figure déterminante dans l’avenir de son pays.

Sarat incarne, tout au long du récit qui se déroule sur plusieurs décennies, la force des minorités, avec une puissance parfois surhumaine pour affronter ce qu’il y a de pire. D’une enfance vaguement paisible, elle finit par vivre dans un camp de réfugiés où la misère finit toujours par l’emporter, menacée quotidiennement par des drones et des militaires qui peuvent frapper à tout moment. Une déshumanisation qui fait écho à notre réalité, aux camps de réfugiés d’aujourd’hui, où l’humanité délaisse ses principes avec une facilité étonnante. Plus tard elle intègre les rangs de la résistance, tentant de trouver un sens et un échappatoire à son monde. Mais rapidement, elle se trouve désabusée par une politique qui ne cherche qu’à sauver la face, que ce soit au nord ou au sud. Jamais le bien-être du peuple n’est au centre des débats : la guerre n’est qu’une opposition d’égos, entre des personnes qui n’ont aucune considération pour leurs semblables. Intelligente, la jeune fille durant son adolescence est déterminée à comprendre ce qui l’entoure, à lire des livres pour se documenter sur les dynamiques de pouvoir, sur l’évolution de la politique mondiale, mais aussi à s’entraîner pour se battre. Le récit est violent, bouleversant, c’est une aventure terriblement humaine mais aussi parfois difficile, voire insoutenable. Quelques scènes évoquent l’horreur d’une guerre sans merci, entre torture – qui évoque les agissements américains dans le monde depuis longtemps – et des personnes tuées aléatoirement avec pour seul tort d’avoir été au mauvais endroit, au mauvais moment.

Un récit amer, fidèle à son monde

Si Sarat incarne une certaine force, elle montre aussi une fragilité, qu’elle surmonte, mais qui la rappelle sans cesse à l’incapacité de l’être humain à accepter ses propres limites, comme si elle incarnait justement ce refus d’accepter les limites des ressources naturelles, jusqu’à subir une société devenue invivable. C’est un récit amer, avec une conclusion surprenante, où l’espoir n’est plus vraiment permis. C’est un monde noir, sans avenir, détruit par la cupidité et le refus d’accepter ses propres faiblesses : les Etats-Unis sombrent par orgueil, par refus de voir que le monde a changé. Omar El Akkad y livre, sous couvert d’anticipation, une critique de la guerre américaine. Sa violence, son impérialisme, sa volonté de déshumaniser tout ce qui n’est pas sur leur territoire. Une doctrine militaire qui assassine au moyen de drones, des drones qui, dans American War, frappent désormais aveuglément sur leur propre territoire, comme ils le font à notre époque en Afrique et au Moyen-Orient. Un autre passage sur une prison évoque sans mal les tortures perpétrées à Guantanamo, tandis que les camps de réfugiés tels qu’ils sont décrits ressemblent comme deux gouttes d’eau aux camps à la frontière mexicaine aujourd’hui, ou autour de la Syrie. Fort politiquement, le récit est une concentration des thématiques auxquelles s’est attaché l’auteur depuis le début de sa carrière journalistique, en ne manquant jamais d’y apporter un véritable intérêt littéraire. Car il ne faut pas résumer le roman à ses seules qualités politiques : American War est une très belle oeuvre d’anticipation, à l’écriture fine, capable de transmettre les nombreuses émotions que traverse Sarat au cours de son aventure. Une écriture capable de nous faire voyager dans ce monde-là, nous faire envisager un renversement des pouvoirs, avec des pays du sud tout puissants face à un occident incapable de s’adapter aux bouleversements climatiques et économiques.

Quelle belle surprise, ce American War. Un livre que j’ai acheté un peu au hasard, me fondant uniquement sur sa quatrième de couverture dans une librairie du Moyen-Orient, où étaient mis en avant quelques romans d’auteurs et d’autrices du monde Arabe. L’envie de découvrir une littérature à la sensibilité différente, une vision du monde qui diffère de celle que l’on trouve dans des romans très centrés sur l’occident, m’a emmené dans une aventure parfois éprouvante, mais terriblement intelligente. Le destin de Sarat est bouleversant, victime d’un monde qui a refusé de se remettre en question, et d’un occident qui n’a jamais accepté que les pays du sud puissent être son équivalent. Au-delà du sous-texte politique, Omar El Akkad fait briller son récit avec une très belle écriture, capable de raconter l’aventure et le suspense dans un récit palpitant, où chaque étape du voyage de Sarat passionne par l’authenticité qui s’en dégage. C’est un vrai bon roman d’anticipation.

  • American War est disponible en librairie aux éditions Flammarion et en livre de poche aux éditions J’ai lu.

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