Jeune mangaka, Shinji Mito fait partie d’une nouvelle génération qui apportent des idées neuves à un medium qui ne cesse de se renouveler. Récompensé en 2015 lors d’un concours pour jeunes talents aux éditions Kodansha, Shinji Mito a finalement décroché entre 2019 et 2020 sa première série régulière avec Alma dans le Weekly Young Jump. Manga de science-fiction en quatre tomes, le mangaka y dévoile un univers fait d’androïdes alors que l’humanité semble avoir été décimée, avec un jeune garçon bien décidé à trouver un jour d’autres humains comme lui. Célébré pour sa finesse, le manga sort enfin dans nos contrées aux éditions Panini Manga.
Cette critique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.
Au milieu des décombres dans une Europe de l’Est décimée comme le reste de la Terre se trouve Ray. Garçon insouciant né bien après l’apocalypse, il n’a qu’un seul objectif : trouver, avec son amie Trice, d’autres humains. Mais difficile d’imaginer trouver d’autres personnes encore en vie dans un monde qui semble figé par le temps.
Solitude d’un survivant
Le monde d’Alma est fait de terres désolées, de villes en ruines et du sentiment d’être perdu au milieu de zones complètement mortes. En dehors de Ray, le héros, Trice, son amie, et Lambda, une étrange créature, pas âme qui vive à l’horizon. Les animaux ne sont plus, les humains ont disparu, et avec eux toute forme d’espoir pour reconstruire des villes qui semblent avoir traversé d’horribles guerres. Finalement assez classique dans l’approche du post-apocalyptique, le manga recherche tout de même une forme d’originalité dans son contexte, avec un héros qui est né après la catastrophe (dont on ne sait rien) et qui a grandi du côté de l’Europe de l’Est. L’action commence sur l’ancienne Istanbul et se déporte, au fil des explorations du héros, vers Bucarest, traversant d’innombrables lieux qui n’inspirent que tristesse et solitude. Ce sentiment de solitude est d’ailleurs central à l’histoire imaginée par Shinji Mito, avec notamment un chapitre absolument déchirant qui est pleinement consacré à cette thématique. Une justesse d’écriture et un découpage habile permettent de renforcer ce sentiment en voyant un héros isolé, seul, face à un monde gigantesque, figé dans le temps et dénué de toute forme de vie. Fort dans ses thématiques, Alma est une véritable surprise tant l’auteur utilise habilement ses multiples références, allant du manga, jusqu’à la littérature occidentale.
Parce que ses idées sont multiples en abordant autant le transhumanisme que l’écologie et le dérèglement climatique, le tout avec ses androïdes dotés de conscience qui s’interrogent sur leur nature. Un peu comme si ces robots sortaient tout droit d’un roman de Philip K. Dick, que Shinji Mito convoque à sa manière. Il serait toutefois dommage de réduire Alma à ses références tant son auteur place son univers avec précision et malice, opposant aux moments les plus douloureux quelques scènes empreintes d’humour. Une dérision qui n’est jamais de trop pour rappeler l’innocence de son héros, alors qu’il est amené à traverser des situations difficiles, en quête d’explications sur un monde qu’il ne comprend pas. Le même soin est d’ailleurs apporté aux androïdes qui peuplent ce monde, alors que le mangaka joue sans cesse sur l’ambiguïté de leurs caractères et sur les trois lois de la robotique d’Asimov qui, comme bon nombre de récits de science-fiction, sont bien présentes.
La beauté du post-apocalyptique
On pourrait opposer à Alma une certaine forme de lassitude face à une énième œuvre de science-fiction qui aborde la robotique sous le même angle, avec son lot de questionnements sur la capacité des androïdes à penser et à rêver. Mais là où Shinji Mito est particulièrement malin, c’est qu’il propose à ses lecteur·ice·s de se mettre dans la peau d’un héros qui découvre avec elleux l’état de son monde. Jamais plus malin que les autres, avec une innocence particulièrement touchante, face à des dangers et des peurs qui sonnent terriblement justes au moment où l’idée de voir nos modes de vie bouleversés n’est plus vraiment de la science-fiction. Notamment en matière d’écologie, que le manga suggère brièvement en parlant de conditions climatiques invivables pour l’humanité. Ce qui ressort de ce premier tome, c’est la finesse avec laquelle Shinji Mito aborde ces multiples questions, en picorant ses références ici et là sans manquer d’imposer son propre univers.
Un univers qui s’exprime aussi et surtout du côté visuel avec des dessins particulièrement impressionnants. Quelques plans de ce monde sans vie sont somptueux avec un univers fait de villes détruites, d’androïdes qui évoquent Gunnm et de plaines enneigées où le héros est plus seul que jamais. C’est une très grande force pour un manga qui excelle par ailleurs en matière de scènes d’action, notamment celles qui mettent en scène les androïdes, même si l’essentiel du manga n’est pas là du tout.
Shinji Mito a trouvé un superbe équilibre entre l’action et la quête d’humanité de son héros pour un premier tome qui séduit autant qu’il intrigue. Il pourrait prendre une tournure plus politique dans les prochains tomes, notamment sur la recherche et la découverte de ce qu’il s’est réellement passé, mais ce qui plaît avant tout c’est la simplicité avec laquelle l’auteur aborde des questions qui se poseront à l’avenir pour l’humanité. Entre transhumanisme et questionnements sur ce qu’est être humain, Alma rejoint une longue liste d’œuvres de science-fiction qui utilisent avec brio des concepts autrefois abstraits, et désormais plus réels que jamais.
- Le tome 1 de Alma est sorti le 7 avril 2021 aux éditions Panini Manga.